Le 14 octobre, 3 organisations d’agriculture biologique (la Fédération nationale d'agriculture biologique, Forébio et Génération futures) ont demandé aux préfets de 14 départements d'interdire le prosulfocarbe. Au printemps dernier, en Mayenne, Patrice Lefeuvre en a été victime. Il témoigne.
Patrice Lefeuvre, est installé au nord-est de la Mayenne, près de Saint-Thomas-de-Courcelliers. Il travaille en GAEC (groupement d’Intérêt Collectif) depuis 1994. Paysan bio depuis 1997, ils vivent à 5 sur 108 hectares.
Il cultive du blé panifiable, du sarrasin, de l’orge et des céréales destinées à l’alimentation de ses vaches. La petite dernière se nomme d’ailleurs Salsa.
Au printemps dernier, il reçoit un mail de Biocer, sa coopérative lui annonçant que le lot de sarrasin dont faisait partie sa livraison allait être détruit. Il avait été contaminé au prosulfocarbe. Dans un premier temps, il s’étonne et pense que son sarrasin a dû être mélangé avec un autre.
« On a découvert avec une sacrée stupeur, que les ¾ des livraisons contenait du prosulfocarbe sur cette période-là. Ce n’est pas un épiphénomène, le truc qui arrive de temps en temps, non ! La plante devait être humide, un nuage est passé, la molécule s'est collée dessus, le soleil s'est pointé, il a fait bon moissonner... Et hop-là, on a attrapé l’herbicide du voisin. On est isolé, en bio. Tous nos voisins traitent et nous n’avons aucun moyen de savoir d’où cela vient. Ça peut venir de très loin, la molécule est très volatile".
Faute de responsable identifié, les assurances refusent d’indemniser. Pour lui c'est une perte de 1200 euros pour 2 hectares et demi.
Le prosulfocarbe peut se promener sur une distance de 5 km, voire plus. Il est utilisé les agriculteurs en automne avant que le blé ne sorte de terre et au printemps.
"Le plus raisonnable, c’est de cesser l’utilisation."
Pourtant, les agriculteurs en conventionnel s’engagent à ne travailler que le matin tôt, le soir, sans vent, et à plus d’un kilomètre d’une culture non-cible (pomme, cresson, chia…). Patrice déplore que "Les règles d’utilisation ne sont pas suffisantes. Le plus raisonnable, c’est de cesser l’utilisation. Notre livraison contenait 1,3 fois plus que la limite maximale de résidus qui est de 0,01 mg/kg. J’ai une collègue, elle, c’était 170 fois cette limite."
Les conséquences sont terribles. Les récoltes sont anéanties, détruites en méthanisation. L'an dernier, en France, 14 producteurs de sarrasin biologique ont vu leurs récoltes contaminées, avec des résidus allant jusqu’à 100 fois les limites maximales autorisées. 80 000 euros de récoltes ont été perdus.
"Les pouvoirs publics ne peuvent pas faire les sourds"
Patrice s’insurge également :" Il m’est arrivé par deux fois de voir des pulvérisateurs, fuir sur la route. Ça n’étonne personne ! Les contrôles sont effectués par Biocer. Ils ont embauché un technicien d’agro-fournitures. Jamais il n’avait effectué ce genre d’analyses auparavant. Il y a un manque de perception de la gravité du sujet. Admettre qu’il y a un danger pour certains agriculteurs intensifs est impossible. Les pouvoirs publics ne peuvent pas faire les sourds. Il va falloir que l’on se réveille collectivement pour que les choses changent".
Désormais, Patrice et ses associés s’interdisent de cultiver du sarrasin. L’an prochain, ils devront trouver une autre idée, utiliser une autre plante qui ne risque pas d’être semée au moment des semis de blé.
Les préfets de Mayenne, Sarthe, Loire-Atlantique, ,Maine-et-Loire, et Vendée ont 2 mois pour répondre à la demande d’interdiction du prosulfocarbe, demandée par les organisations écologiques.