Les vœux d'Emmanuel Macron aux professionnels de santé se veulent encourageants ce vendredi 6 janvier. Mais les principaux intéressés restent dubitatifs au vu du besoin d'une réforme massive du système de santé publique.
"On va mettre une décennie pour apporter des changements en profondeur", a prévenu le chef de l'Etat en adressant ses vœux aux professionnels de santé ce vendredi. Malgré la fin du numerus clausus, impossible de former des médecins en un an ou deux.
Le président annonce toutefois que "pour faire face à l'urgence, nous allons accélérer le recrutement des assistants qui passeront d'environ 4 000 aujourd'hui à 10 000 d'ici à la fin 2024".
Pour le docteur Caroline Brémaud, cheffe du service des urgences à Laval, rien de nouveau sous le soleil. "Ce sont des annonces qui sont assez vagues. Ce n'est pas un plan d'action vraiment précis".
C'est un discours qui se veut rassurant pour la population générale mais pour nous, soignants, ça apporte rien de vraiment très concret.
Caroline BrémaudCheffe du service des urgences au CH de Laval
La cheffe de service souligne aussi un certain manque de précision : "Nous, soignants, on est épuisés, rincés, lessivés. Ce sont les conditions de travail qu'il faudrait revoir, au-delà des 35 heures. Il n'y a rien eu sur les ratios, il n’y a pas eu grand chose sur le travail de nuit sur la retraite sur la pénibilité".
"On a des urgences qui explosent"
Caroline Brémaud fulmine : les mots ne valent pas les actes. "Derrière un discours comme ça, on peut mettre tout et n'importe quoi. C'est pas satisfaisant, il nous manque toujours deux tiers des urgentistes à l'hôpital, il nous manque des lits pour hospitaliser les gens, on a des urgences qui explosent", énumère-t-elle.
On a des soignants qui sont au bout du rouleau, à bout de force. On a beaucoup de patients comme tous les hivers, sauf que là, on a on n'a pas d'endroit où les hospitaliser.
Caroline BrémaudCheffe du service des urgences au CH de Laval
"Quand vous commencez votre journée de garde avec 25 patients dans le couloir, forcément, vous savez plus où mettre les brancards. C'est ça qui nous épuise : ce flux constant de patients qui arrivent et qu'on ne sait pas où mettre. C'est le résultat d'une politique pendant des années de réduction des lits d'hospitalisation", témoigne la cheffe de service.
Face à cet épuisement, le docteur Brémaud appelle la population à la rescousse "Il faut avant tout une mobilisation des usagers pour sauver l'hôpital public". Pour cela, elle appelle à un rassemblement citoyen samedi 7 janvier 2023 à 14h devant les centres hospitaliers.
Car le monde de la santé n'en finit pas de soigner ses plaies. Le diagnostic est multiple et de tous bords les doléances arrivent.
Trop de "paperasses" pour les généralistes
Les médecins généralistes, débordés parce qu'ils se font rares, aimeraient que le tarif de la consultation puisse doubler. Et puis globalement, ils ne comprennent pas le fonctionnement de l'Agence régionale de santé (ARS). L'organisme leur demande toujours de "paperasses" se plaignent-ils.
Preuve à l'appui : "Via Trajectoire", interminable formulaire avide de détails pharamineux et destiné à préparer l'entrée en EHPAD d'un patient. Il faut du temps pour s'atteler à remplir le document. "Et il n'est pas définitif, il faut le renouveler au fil de l'évolution de la personne" précise un généraliste exerçant en Mayenne. "Sans compter que s'agissant souvent de personnes grabataires, ils ne peuvent se déplacer au cabinet. On se demande vraiment qui a pu créer un truc pareil...".
Des assistants supplémentaires, très bien, mais qui va les embaucher, qui va les salarier ?
Médecin généraliste exerçant en Mayenne
Autant de temps perdu alors qu'à la porte des consultations les files d'attente s'amplifient.
"Et ce n'est la qu'un exemple. Quant aux secrétaires, elles ont déjà trop de travail et de pression pour pouvoir nous aider", ajoute t-il. C'est l'un des motifs de la grève récente des médecins généralistes.
Plus assez de lits dans les hôpitaux
Et puis il y a l'hôpital et sa cohorte de lits fermés. En cause : le manque de personnel. Médecins, infirmières, même aides-soignantes. Des professions "en tension" qu'il devient particulièrement difficile de trouver.
Même si l'apport des médecins étrangers reste une bouffée d'oxygène. Une douzaine de chirurgiens originaires d'Algérie, du Brésil, du Portugal exercent à l'hôpital de Château-Gontier-sur-Mayenne. Une aide précieuse pour l'établissement comme pour les patients.
"On trouve moins d'infirmières par ce biais qu'auparavant" précise Romain Girard, le Directeur des ressources humaines de l'hôpital de Château-Gontier-sur-Mayenne. "On n'en trouve plus pour une bonne raison : les infirmières espagnoles, par exemple, n'ont plus besoin de venir chez nous. Elles ont vu s'améliorer les salaires et les conditions de travail, donc la source s'est asséchée".
Quelles remèdes à la crise de la santé publique en France ?
Compter sur l'embauche de professionnels de santé d'origine étrangère ne suffira pas à endiguer les tensions auxquelles est exposé le système de santé publique français.
Pour certains médecins, il faudrait repenser les études de médecine. Le fameux numérus est certes supprimé à l’entrée des études, mais il est est maintenu pour l'entrée en 2e année. Or, il faudrait 20 000 étudiants en formation pour résorber les déserts médicaux d'ici 10 ans.
Autre priorité : former plus de réanimateurs. Quant à l'hôpital, il ne pourra être sauvé que par des mesures fortes. Des accords directs entre établissements seraient plus judicieux et sûrement plus économes et efficaces qu'une administration pesante.
Des idées non-exhaustives car le chantier est vaste.