Ils ont entre 14 et 18 ans, sont scolarisés à Barcelonnette et s'interrogent sur leur avenir. Certains s’épanouissent ici, beaucoup rêvent d’ailleurs. Lucie Boudaud les a suivis durant plusieurs mois et signe la chronique attachante d’une jeunesse rurale qui veut rester en prise avec la société.
"Je suis obligée d’avouer que c’est beau. C’est là où j’ai grandi, où j’ai appris à évoluer, là où j’ai eu mes premiers potes… C’est ce qui me rattache à jamais à cette vallée, même si j’ai envie de m’en détacher".
Lilou vit en Ubaye et comme près de 700 élèves, elle fréquente le collège-lycée André Honnorat à "Barcelo". Barcelonnette fait un peu figure de chef-lieu, dans cette vallée qui compte environ 7.700 habitants répartis sur quinze villages.
Ici, les enfants du pays côtoient les élèves de la section sport étude et de l’internat d’excellence, spécificité de l’établissement. Une "micro-société" souligne Lucie Boudaud, qui s’est attachée à suivre au long cours plusieurs adolescents de cette cité scolaire.
Comment vit-on sa jeunesse dans un territoire rural ? Quelles perspectives d’avenir quand tout est plus compliqué qu’à la ville : l’accès aux études, aux loisirs, aux transports, aux entreprises, à la projection de soi dans la société… ?
Des interrogations qui sont familières à la réalisatrice. "Je travaille depuis longtemps sur ces problématiques d’entre soi, être à côté et en même temps vouloir faire partie de… J’ai grandi en Anjou dans ce qu’on appelle les zones péri-urbaines, à côté d’une grande ville. Pas en zone rurale comme ces jeunes de Barcelonnette mais il y a des points communs" raconte Lucie Boudaud.
"Les questions qu’ils se posent, elles m’ont traversée aussi. L’envie de partir d’un endroit où tout le monde vous connaît, pour pouvoir évoluer, et en même temps la difficulté de partir... Il faut en faire plus, cela demande plus de courage que si l'on grandit en ville, où l’on est en quelque sorte sur des rails. Ces jeunes ont une grande force."
Etre soi-même
De janvier 2020 au printemps 2021, on suit ainsi le quotidien de Lilou, Léo, Iony, Carla, Léa, Camille, Michèle et Rahma. Avec lucidité, ces ados confient leurs envies, leurs espoirs, leurs doutes.
Comme Lilou qui rêve d’intégrer un lycée de cirque, à 750 km de là, tout en sachant qu’elle devra quitter sa famille et ses deux meilleures amies. "Même si ça me fait peur, je n’attends que ça" dit-elle. "Je suis comme enfermée dans cette vallée et ça m’empêche de m’ouvrir en quelque sorte au monde. C’est compliqué ici de pouvoir être moi-même complètement… Et je sais que si je pars et que je me retrouve dans un lycée, en plus un lycée de cirque, je pourrai être moi-même à fond !"
Pour Iony, passionné de hip hop, l’avenir passe aussi forcément par le départ. "On est considéré comme les enfants de la vallée et rien d’autre" regrette-t-il. "L’anonymat n’existe pas du tout ici et c’est aussi ce qui me donne envie de partir... Pour m’épanouir, il faut que je voie plus grand, que je passe de Barcelonnette à Paris, et c’est vraiment le plus gros challenge."
A l’inverse, Léo qui marche dans les traces de son père pompier, s’épanouit dans la vallée et ne ressent pas l’isolement. "On n’est pas coupé du monde, on n’est pas non plus des petits provinciaux qu’on oublie, qu’on met de côté. On a notre place dans la France" souligne-t-il. Il sait qu’il devra partir pour suivre des études supérieures "mais pas pour toujours, je reviendrai dans cette vallée parce que j’y suis attaché et que je ne l’abandonnerai pas."
Ce lien de Barcelo
Même épanouissement chez Carla, en 1ère de sport étude. Pour la jeune fille, qui veut enseigner comme monitrice de ski, la vallée permet de s’accomplir, de vivre sa passion tout en nouant des amitiés indéfectibles : "on a ce lien de Barcelo, on s’en souviendra toute notre vie" dit-elle entourée de ses copines de l’internat. "J’ai une belle jeunesse, je suis avec mes amies, je fais du sport, je n’ai pas de quoi me plaindre !"
Autres témoignages, ceux de Michèle et de Rahma : les deux marseillaises se sont connues ici, à l’internat de la réussite, qu’elles vivent comme une deuxième famille et où elles peuvent se concentrer sur les études. "Mes amies ne savent pas où c’est, Barcelonnette, je vis dans un autre environnement. J’ai de la chance de venir ici, car je travaille plus" raconte Michèle.
Le film alterne entre les interviews face caméra, les séquences plus posées et poétiques, et les stories filmées par les adolescents. Ces dernières tiennent une grande place dans le documentaire, comme autant de moments de vie pleins de fraîcheur.
"Les jeunes ont vraiment joué le jeu" se réjouit Lucie Boudaud. "Ils sont mes co-réalisateurs, ils m’ont fourni beaucoup de matériel vidéo qu’ils ont accepté de partager pour la télévision. Ce n’était pas évident, surtout sur le long terme."
Une belle expérience même si le tournage, qui s'est étalé sur 15 mois, a été perturbé par l’épidémie de covid. Malgré ces péripéties, "La Vallée" dessine une fresque touchante et passionnante. Celle d'une jeunesse en éclosion et par là-même, d'une vallée en pleine mutation.
"La Vallée"
Un film de Lucie Boudaud.
Une coproduction Bliss / France Télévisions.
Diffusions lundi 25 octobre à 23h et mardi 26 octobre à 9h50 sur France 3 Provence-Alpes-Côte d’Azur.
Le film s’inscrit dans une collection documentaire, intitulée "Jeunesse (in)visible", consacrée aux jeunes qui grandissent loin des métropoles.