La décision de la CJR concerne plusieurs dossiers dans lesquels le ministre de la Justice française est accusé d'avoir profité de sa fonction pour régler ses comptes avec des magistrats.
C'est une première pour un Garde des sceaux en exercice : la Cour de justice de la République (CJR) a ordonné ce lundi un procès contre Eric Dupond-Moretti, accusé d'avoir profité de sa fonction pour régler des comptes avec des magistrats à qui il s'était opposé quand il était avocat. Ce qu'il conteste.
Il est notamment reproché au garde des Sceaux d'avoir diligenté des poursuites administratives contre un ancien juge d'instruction détaché à Monaco, Edouard Levrault, qui avait mis en examen un de ses ex-clients quand il était avocat. Eric Dupond-Moretti avait critiqué ses méthodes de "cow-boy". Le CSM a décidé le 15 septembre de ne pas sanctionner M. Levrault, estimant qu'"aucun manquement disciplinaire ne saurait lui être reproché".
Une décision qui a sonné comme un désaveu du ministre. Tout au long de l'enquête, Eric Dupond-Moretti a répété n'avoir fait que "suivre les recommandations de son administration".
Pourvoi en cassation
Le ministre de la Justice, qui était en déplacement en Guyane durant le week-end, s'était fait représenter par ses avocats devant la commission de l'instruction de la CJR à Paris. "Comme malheureusement nous nous y attendions, c'est un arrêt de renvoi qui a été rendu par la commission de l'instruction", ont annoncé Me Christophe Ingrain et Rémi Lorrain à leur sortie de la CJR, indiquant avoir "immédiatement" formé un pourvoi en cassation.
Selon Me Lorrain, il appartient "désormais à l'assemblée plénière de la Cour de cassation de se saisir de ce dossier" avec une nouvelle décision sur l'ensemble de la procédure, "et de se prononcer notamment sur les nombreuses irrégularités qui ont émaillé ce dossier depuis deux ans".
Le pourvoi n'annule pas le renvoi, mais en suspend les effets. Selon une source proche du dossier, il n'est pas possible de dire à ce jour à quelle échéance la Cour de cassation rendra sa décision. Sollicité par l'AFP, Matignon a indiqué qu'Eric Dupond-Moretti avait "toute la confiance de la Première ministre" Elisabeth Borne et que "la question de son maintien au gouvernement ne se [posait] pas".
Eric Dupond-Moretti avait été officiellement écarté de toutes les affaires en lien avec ses anciennes activités d'avocat, en vertu d'un décret de "déport" paru en octobre 2020. "La procédure est en cours, le garde des Sceaux a exercé un recours comme c'est son droit", a-t-on assuré à Matignon. "Le dispositif de déport a été organisé de manière à ce que cela n'affecte en aucune manière l'exercice de sa mission de ministre de la Justice."
Associations et syndicats vent debout
Pour la Ligue des droits de l'Homme, "une telle mansuétude à son égard renvoie l'image déplorable d'un monde de décideurs s'estimant au-dessus de la loi commune et faisant fi d'une justice égale pour toutes et tous".
"Nous estimons que sa démission du gouvernement permettrait d'éviter que cette séquence ne nourrisse le sentiment de défiance de l'opinion publique à l'égard de l'ensemble de la classe politique", a estimé l'ONG Transparency International.
Nommé à la tête de la Chancellerie à l'été 2020 et reconduit à ce poste après la réélection en mai d'Emmanuel Macron, M. Dupond-Moretti répète sans cesse tenir sa "légitimité du président de la République et de la Première ministre et d'eux seulement".
Les deux principaux syndicats de magistrats, l'Union syndicale des magistrats (USM) et le Syndicat de la magistrature (SM), ont souligné dans un communiqué une situation "inédite" pour le ministre, au vu des soupçons d'"atteinte grave à la probité" qui lui valent ce procès, craignant un "nouveau conflit d'intérêts" s'il "devait nommer son propre accusateur" après le départ programmé à la retraite, en juin, de François Molins.
(Avec AFP)