Les laboratoires Servier ont été reconnus coupables à Paris de "tromperie aggravée" et d'"homicides et blessures involontaires" dans le scandale du Mediator, un médicament tenu pour responsable de centaines de décès. A Antibes, le compagnon de l'une des victimes réagit.
Pour Frédéric Boussinot, c'est la fin d'un long combat juridique qui aura duré 11 ans. Plus d'une décennie pour que la culpabilité soit reconnue. Aujourd'hui, après avoir pris connaissance du jugement auquel sa fille assistait à Paris, il s'estime satisfait du travail judiciaire accompli. Même si il ne connaît pas encore le montant des indemnisations.
C’est surtout un soulagement :
« On arrive enfin... après tant de temps, Servier est condamné pour ce qu’ils ont fait ».
Il va pouvoir faire son deuil. Ses enfants aussi. Sa compagne est morte à l'âge de 52 ans, brutalement, après la prescription de médicaments coupe-faim, le désormais fameux Mediator.
Il précise : "On ne savait absolument pas ce qui s’était passé, elle est morte subitement." Les mêmes propos seront tenus par sa fille devant le tribunal : "Ma mère est morte en quinze minutes dans mes bras".
La famille a été l'une des premières à porter plainte et à se constituer partie civile.
"Tromperie aggravée, homicides et blessures involontaires"
Ce lundi 29 mars, à Paris, les laboratoires Servier ont été condamnés à 2,7 millions d'euros d'amende. Ils ont été reconnus coupables de "tromperie aggravée" et d'"homicides et blessures involontaires" dans le scandale du Mediator, un médicament tenu pour responsable de centaines de décès.
"Malgré la connaissance qu'ils avaient des risques encourus depuis de très nombreuses années, (...) ils n'ont jamais pris les mesures qui s'imposaient et ainsi trompé" les consommateurs du Mediator, a déclaré la présidente de la 31ème chambre du tribunal correctionnel, Sylvie Daunis. Le groupe pharmaceutique a toutefois été relaxé du délit d'"escroquerie".
6.500 personnes parties civiles
C'est l'épilogue d'un long scandale sanitaire. Quelques dizaines de parties civiles, sur les plus de 6.500 constituées à l'occasion de ce procès "hors norme", étaient présentes au tribunal pour entendre ce jugement.
Deux heures de lecture ont été nécessaires pour expliquer le jugement. Alors qu'ils "disposaient, à partir de 1995, de suffisamment d'éléments pour prendre conscience des risques mortels qu'ils faisaient courir aux patients", les laboratoires "ont maintenu envers et contre tout la commercialisation sur le marché d'un médicament dont le bénéfice était très discutable", écrit le tribunal dans son jugement d'environ 2.000 pages.
Les laboratoires "n'ont pas pris l'initiative de suspendre la commercialisation du produit" et ainsi "porté une atteinte immense à la confiance publique dans la chaîne du médicament et dans notre système de santé", soulignent les juges.
"Alertes répétées sur sa dangerosité"
Lors des "517 heures et quelques minutes d'audience" d'un procès-fleuve ouvert en septembre 2019 et clos en juillet 2020, une question a été centrale: comment le Mediator a-t-il pu être prescrit pendant trente-trois ans malgré les alertes répétées sur sa dangerosité ?
Pour l'accusation, les laboratoires Servier ont sciemment dissimulé les propriétés anorexigènes (coupe-faim) et les dangereux effets secondaires de ce médicament, utilisé par 5 millions de personnes jusqu'à son retrait du marché en 2009.
"Choix cynique"
Dans ses réquisitions, la procureure Aude Le Guilcher avait appelé à "restaurer la confiance trahie" en sanctionnant le "choix cynique" et le "sinistre pari" d'une firme ayant privilégié "ses intérêts financiers" à la santé des consommateurs du médicament, malgré "les risques qu'elle ne pouvait ignorer".
Les laboratoires Servier se sont toujours inlassablement défendus d'une "volonté délibérée de tromper". "Ils n'ont pas identifié un signal de risque significatif avant 2009", a argué l'un des avocats du groupe, François de Castro.
"Mission de police sanitaire"
A l'encontre de l'Agence nationale de sécurité du médicament (ANSM, ex-Afssaps), qui a "gravement failli dans sa mission de police sanitaire", le parquet avait demandé une amende de 200.000 euros. Finalement, l'Agence est condamnée à 303.000 euros d'amende pour "homicides et blessures involontaires". "Elle a fait preuve de négligence et d'imprudence notamment en tardant à suspendre le médicament (...) alors qu'elle disposait à compter de 1999 de toutes les informations nécessaires" sur la toxicité du Mediator, considère le tribunal.
Jugée pour "homicides et blessures involontaires" par négligence, pour avoir tardé à suspendre le Mediator, l'Agence avait reconnu lors du procès une "part de responsabilité" dans le "drame humain" du Mediator.
Scandale révélé par la pneumologue Irène Frachon
Les premières alertes sur la toxicité du médicament, à l'origine de graves lésions des valves cardiaques (valvulopathies) et d'hypertension artérielle pulmonaire avaient émergé dans les années 1990.
Une décennie après, l'affaire du Mediator reste l'un des pires scandales sanitaires français révélé par la pneumologue Irène Frachon. Elle continue d'ailleurs à soutenir les victimes.
4,7 milliards de chiffre d'affaires
Jean-Christophe Coubris, un avocat des parties civiles avait prévenu : "Quand bien même le tribunal irait au plafond des peines d'amendes encourues, elles seront ridicules au regard du chiffre d'affaires du groupe Servier, qui se situe autour de 4,7 milliards annuels", a-t-il jugé, "l'exemplarité sera obtenue si les condamnations civiles sont conséquentes".
Les parties civiles avaient réclamé au total "un milliard" d'euros de dommages et intérêts en réparation des préjudices subis, dont plus de 450 millions pour les caisses d'assurance maladie qui ont pris en charge le remboursement du Mediator au taux maximal de 65% et qui s'estiment victimes d'"escroquerie".