Près d'un tiers des moins de 18 ans utilisant internet consultent chaque mois au moins un site porno selon une étude publiée jeudi. Pour Alexandra Borchio Fontimp, rédactrice du rapport "Porno, l’enfer du décor", l'État a les moyens de lutter.
Quelque 2,3 millions de mineurs visionnent, en moyenne, plus de 50 minutes de contenu pornographique chaque mois. Les trois-quarts utilisent exclusivement leur téléphone, donc hors du regard parental, selon une étude Mediamétrie, dévoilée jeudi 25 mai, réalisée en 2022 auprès de 25 000 panélistes, et commandée par l'Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (Arcom).
Un phénomène qui s'aggrave
La sénatrice des Alpes-Maritimes Alexandra Borchio Fontimp a participé à la rédaction d'un rapport et à l'adoption par le Sénat d'une proposition de résolution contre les dérives de l'industrie pornographique.
Elle a participé avec trois autres sénatrices : Annick Billon (UDI), la communiste Laurence Cohen et la socialiste Laurence Rossignol.
Pour l'élue azuréenne, lutter contre ce fléau requiert deux actions principales : faire de la prévention auprès des mineurs pour les sensibiliser aux extrêmes dangers qui découlent de l’accès à de tels contenus. Et sanctionner les plateformes qui permettent à ces mineurs d’y être exposés.
"Ces mineurs sont encore plus jeunes que ce qu'on pensait", alerte auprès de l'AFP Laurence Pécaut-Rivolier, de l'Arcom.
21% des garçons de 10-11 ans regardent des sites porno chaque mois, et 51% des garçons de 12-13 ans (mais 31% des filles du même âge).
Arcom
Ces "chiffres effrayants" montrent "l'urgence à agir", a réagi dans un communiqué le Haut Conseil à l'égalité entre les femmes et les hommes, car les contenus porno font "le lit d'une société qui banalise la violence envers les femmes et participent à la hausse des violences sexistes et sexuelles".
"Qu'attendons-nous pour nous attaquer à ce problème de santé publique ?", a demandé de son côté l'association Osez le féminisme! "Nous exigeons que le gouvernement fasse enfin appliquer la loi", a-t-elle ajouté.
Le gouvernement a justement présenté le 10 mai un projet de loi visant à "sécuriser et réguler" internet. Ce texte confie à l'Arcom le pouvoir de bloquer et déréférencer les sites porno qui ne respectent pas la loi.
"Nous devons faire quelque chose et vite"
"L’État a-t-il les moyens ? Oui, seulement s'il se les donne", affirme Alexandra Borchio Fontimp. Pour la sénatrice, c’est une question de volontarisme politique. "Mon rapport sur l’enfer du porno et les prochaines mesures défendues dans le futur projet de loi sur l’espace numérique démontrent que nous pouvons faire quelque chose, surtout que nous devons faire quelque chose et vite".
Le projet de loi prévoit que bloquer et de déréférencer les sites pornographiques qui se contentent de demander l'âge pour permettre l'accès au contenu.
Il a été évoqué des outils comme l'utilisation de cartes bancaires, de la carte d’identité, l'interdiction de la gratuité des sites et même l'utilisation d'une intelligence artificielle pour faire une analyse faciale et produire une estimation d’âge.
Le moyen le plus légal et le plus fiable semble être le "double anonymat", évoqué par le ministre délégué chargé du Numérique, Jean-Noël Barrot. C'est une sorte d'attestation de majorité sur internet. Elle est fournie par un tiers qui ne saura pas la raison de cette demande. Un peu comme une quittance EDF, ce "double anonymat" peut être fourni par un opérateur téléphonique.
"Déconstruire les images"
Saisie par des associations, l'Arcom a mis en demeure 15 sites pour qu'ils instaurent un vrai contrôle d'âge, et a saisi la justice pour obtenir le blocage de sept d'entre eux, dont Pornhub. Le tribunal judiciaire de Paris doit se prononcer sur ce dossier le 7 juillet.
Lors d'une audience en avril, les gérants des sites ont refusé de mettre en place une vérification d'âge car ils jugent la loi insuffisamment claire sur les modalités techniques attendues.
Cette question relève aussi de la responsabilité des parents, qui doivent s'intéresser de près à ce que font leurs enfants sur internet, et aider les adolescents à "déconstruire les images" visionnées.
Quant aux enfants plus jeunes, qui "sortent de l'école primaire", ils "n'ont pas la maturité pour voir ces images, conçues pour des adultes", souligne le psychologue Samuel Comblez, de l'association e-Enfance qui gère la ligne d'écoute 3018 sur les violences et les usages numériques.
"Certains sites montrent des images scatophiles, zoophiles, font la promotion de l'inceste, des images agressives vis-à-vis des femmes. Et tout cela est aujourd'hui accessible en trois clics", déplore ce spécialiste.
Sur la ligne 3018, "on a des jeunes qui nous appellent pour nous signifier qu'ils ont été perturbés", et qui "se taisent", car il leur est "difficile de dire à leurs parents qu'ils sont allés voir des sites pornographiques".
avec AFP