Une sélection de très haute volée, mais des allées souvent bien vides : cette 72e édition laisse un petit goût d'inachevé aux commerçants cannois.
Quels sont les ingrédients d'un festival réussi ? Une question qui taraude bien du monde sur la Croisette, quelques heures après le 72ème festival international du film de Cannes. Et quelque chose de ce cru 2019 laisse comme un goût d'inachevé, un goût de "c'était mieux avant". Une phrase qu'on entend souvent proférée à tort et à travers. Mais que commerçants et restaurateurs cannois aiment prononcer ces derniers temps.
10 à 15% du chiffre d'affaires annuel
On estime à 60 ou 70.000 visiteurs le nombre de visiteurs par jour au festival. La population de la ville de Cannes double donc pour l'occasion.Et c'est là que le bât blesse. "Dans le temps, ça triplait," assène Michel Chevillon, président du syndicat des hôteliers de Cannes et lui-même directeur d'hôtel et plagiste à Cannes depuis 1992. "Le festival reste très important et on peut dire qu'il représente 10 à 15% du chiffre d'affaires annuel pour certains hôteliers."
Reste que 2019 est une année mitigée. Un cru moyen en termes de fréquentation, une situation qui malheureusement tend à devenir une nouvelle norme, année après année. "On constate par exemple que le temps de présence, la durée du séjour effectif, s'est réduit à cinq ou six jours en moyenne," explique Michel Chevillon, "là où il était plus fréquent par le passé de rester pour la quinzaine, ou tout du moins une semaine." C'est entendu, l'hôtellerie parvient à sortir son épingle du jeu, comme d'habitude, mais forcément, "plus on est éloigné du palais des festivals, plus cela devient difficile".
Une compétition de grande qualité
De l'aveu de tous, la qualité de la compétition n'est absolument pas en cause. Cette année, la plupart des habitués jugent la sélection particulièrement remarquable : difficile de faire mieux sur la qualité ainsi que la variété des films en lice, une savante alchimie de réalisateurs bien connus de la Croisette, de vedettes américaines et de films exigeants. Mais la qualité d'un festival n'est pas toujours liée à la qualité de la compétition.La place du marché semblait bien souvent déserte, pendant la quinzaine. "Cela fait trois ans maintenant qu'on voit beaucoup moins de monde," confirme cette vendeuse de bijoux. "Il n'y plus cette affluence qu'il y avait avant." Parmi les points négatifs cités fréquemment : la météo. Il n'y a qu'à la boutique officielle que les affaires semblent au beau fixe. A l'approche de la fin, les festivaliers dévalisent les rayons.
Les plages font grise mine
Mais à peine un peu plus le kiosque numéro 7 est loin d'être pris d'assaut. "C'est très calme. Et avec cette météo, je dirais qu'on en est à 30% de chiffre en moins par rapport à l'année dernière", assène Laurence derrière le comptoir. "Mais ce qui est inquiétant c'est que la baisse est continue chaque année." Une situation renforcée par l'absence cette année de jours fériés. D'ordinaire la quinzaine en comporte un voire deux, permettant aux visiteurs de "faire le pont".Même son de cloche chez les restaurateurs: avec cette grisaille, les plages font largement moins recette. A la plage du Croisette Beach, on tourne à 40 couverts par jour. Trois fois moins qu'en cas de grand soleil. Même combat pour les terrasses, même proches du palais des festivals : pas besoin de se battre pour trouver une table. "On doit faire 20% de couverts en moins que l'année dernière," déplore Christophe, responsable de salle au "Il Festival by tripodi". "Surtout: le ticket moyen baisse considérablement. Ce n'est plus la même clientèle. Désormais, le Mipim ou le Lion's sont devenus des événements bien plus intéressants pour nous."
"De notre côté on n'a pas à se plaindre : ici on est plutôt satisfait de notre festival." A sa manière, Magali de la boutique I love Cannes de la rue d'Antibes abonde dans le sens des restaurateurs: "chez nous les gens viennent chercher des souvenirs. On parle de sommes relativement modestes : c'est pour ça que ça marche toujours." Mais elle aussi entend ses collègues se plaindre.
Moins de chic ostentatoire, moins de soirées privées. Un constat partagé par le syndicat des hôteliers. "Même certains grands établissement n'affichent qu'un ou deux événements importants," confirme Michel Chevillon. Parallèlement, ou paradoxalement, l'engouement populaire n'est plus non plus ce qu'il était. "Le festival tourne de plus en plus en circuit fermé, sur le mode : toujours au même endroit aux mêmes heures, avec les mêmes personnes. Reste un grand événement culturel mais fermé au plus grand nombre."
Finie l'époque où l'on pouvait croiser une vedette comme Madonna faisant son jogging sur la croisette ou tomber sur Marcello Mastroiani attablé à une terrasse. Révolution médiatique oblige, aujourd'hui le grand public ne voit plus grand'chose. Pour Michel Chevillon, cela fait deux axes de développement futur pour le festival : retrouver cette âme de grand événement populaire, et, de l'autre côté de l'échiquier, attirer à nouveau une clientèle select. Pour cela l'avenir est à l'Est, en Asie et en Inde. Deux contingents de visiteurs en nette augmentation ces derniers temps, et qui représentent un potentiel alléchant pour le tourisme de luxe. Les professionnels notent aussi une légère embellie en fin de festival, grâce notamment au Grand Prix de Monaco.
Pour le maire : "un grand cru événementiel au déroulement exemplaire, confirmant son statut de premier festival culturel au monde"
Le maire a dressé un bilan ce lundi. Pour lui, cette édition "démontre une fois de plus la capacité de Cannes à accueillir de façon sécurisée un événement international particulièrement exposé." David Lisnard salue le travail de sécurité.
Pour lui, "l’édition 2019 restera comme un grand cru événementiel, où le Festival de Cannes aura confirmé de manière éclatante son statut de premier festival culturel au monde avec pendant onze jours une densité de grands noms du cinéma rarement atteinte.
Le Préfet, qui a pris ses fonctions quelques jours avant l’ouverture du Festival, a fait preuve d’une grande maîtrise en développant une approche conciliant grande exigence et souplesse dans les échanges. Il s’agit d’une première réussie !
Je tiens également à souligner l’action exemplaire en matière de sécurité et de logistique urbaine des services municipaux, qui permet à Cannes d’être aujourd’hui la première ville de l’hexagone (hors Paris) dans l’accueil d’évènements professionnels internationaux.»