Orages en Corse : un Azuréen raconte comment il a échappé au naufrage de justesse avec six enfants à bord

Jeudi 18 août, la Corse a été touchée par de violents orages qui ont fait cinq morts et plusieurs blessés. Romain Mautin, un habitant de Mougins, a vécu cette tempête en mer alors qu'il était avec six adolescents et deux autres adultes. Il nous raconte cette expérience bouleversante.

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Un jour plus tard, l'émotion est évidente dans la voix de Romain Mautin. Cet ingénieur informatique de Mougins a l'habitude de naviguer en mer. Mais des orages comme celui qui s'est abattu sur la Corse ce jeudi 18 août 2022, il n'en avait jamais vu. Alors qu'il était en train de faire tous les efforts possibles pour diriger le catamaran qu'il avait loué pour la semaine, il s'est demandé s'ils allaient s'en sortir.

Sur le bateau, Romain, 45 ans, était en compagnie de six enfants, âgés de 12 à 17 ans, et de deux amies adultes. Mais il est le seul à savoir naviguer.

Vers 7h30 du matin, Romain et le groupe partent en mer après avoir dormi au nord d'île Rousse. Un orage avait été annoncé par la météo mais rien qui ne vaille la peine de trop s'inquiéter pour celui qui a l'habitude de naviguer. Pourtant, une heure à peine après avoir pris la mer, l'orage se révèle être d'une ampleur inouïe.

A 8h40, en un quart de seconde, l'orage s'est déchaîné sur nous. Tout s'est passé en une fraction de seconde.

Romain Mautin

Les assiettes et les bouteilles de jus de fruit tombent en fracas de la table de petit déjeuner installée à l'extérieur. Maxime, le fils de Romain âgé de 15 ans, se réveille en sursaut. "J'ai entendu les pleurs d'une fille qui était avec nous sur le bateau, se souvient-il. Et là je vois qu'on essaye de sauver les affaires de dehors alors que la tempête est déjà très forte." 

"On ne voyait pas à deux mètres"

Tout le monde s'organise : Sarah, une adulte, rentre immédiatement avec les enfants à l'intérieur du catamaran. Valérie, elle aussi adulte, tente d'assister Romain au mieux en suivant ses consignes. Romain, lui, reste à la barre. Pendant plusieurs minutes, Romain est complètement déboussolé : impossible de savoir si le bateau se dirige vers la côte ou vers le large. "On ne voyait pas à deux mètres, détaille-t-il, J'essayais de me tenir pour rester debout tout en comprenant ce qu'il se passait."

La pluie est si forte que l'homme croit que ce sont des grêlons qui le frappent. "J'ai senti que ça n'allait vraiment pas bien quand mon père (Romain) nous demande de sortir les gilets de sauvetage", reprend Maxime.

Son père lui demande de regarder les cartes sur son téléphone portable mais entre le vent qui les fouette, les cris pour s'entendre et la pluie qui empêche d'utiliser correctement le téléphone, la démarche s'avère très compliquée pour Maxime.

Romain finit par réaliser qu'ils se dirigent bien vers le large. "Si le bateau se rapprochait des terres, je n'aurais pas pu m'en sortir", admet-il, ce vendredi 19 août. Il reprend peu à peu le contrôle du bateau, parvient à le "mettre en fuite", de façon à maintenir le bateau en vent arrière. Un premier soulagement... qui n'en est pas vraiment un. "Comme le vent nous poussait, on suivait la direction de l'orage donc ça a clairement augmenté notre temps de souffrance", soupire-t-il.

C'était l'apocalypse. Le vent a continué à être hyper fort et la mer commençait à monter.

Romain Mautin

Un "carnage" à l'intérieur du bateau

Pendant ce temps, à l'intérieur de la cabine, Maxime décrit un "carnage". Les deux plus jeunes enfants de 12 ans vomissent à l'arrière, les bocaux et les assiettes continuent de tomber. Les débris de verre leur coupent les pieds. "Il y avait du sang partout", décrit l'adolescent.

A un moment, un trou destiné à l'évacuation de l'eau dans la cabine fait entrer de l'eau dans le bateau à cause de la puissance des vagues. "Quand j'ai vu ça, j'ai vite mis un coussin et une serviette par-dessus et je n'ai rien dit aux autres, je ne voulais pas qu'ils paniquent", raconte Maxime. Sa technique se révèle efficace, ouf, un problème de moins.

Mais l'adolescent perd son père de vue : celui-ci était monté sur le toit pour rattraper la grand voile qui était accrochée au mât. "Elle se soulevait par l'arrière, explique Romain, elle prenait le vent, il fallait absolument la rattacher." Valérie prend alors la barre et Romain exécute cette manœuvre périlleuse. Avec le recul, Romain se dit que ce geste aurait pu très mal tourner : "A ce moment-là, c'était vraiment risqué mais je n'avais pas le choix".

Le mât entre alors "en résonnance". Un bruit "comme une corne de brume à 5 cm de nous", raconte Romain. De quoi ajouter à l'atmosphère déjà lourde et inquiétante. 

"Mayday, mayday"

La tension ne redescend pas, les vagues et la puissance du vent non plus. Romain demande alors à Sarah et Maxime de communiquer avec les secours par la radio et par satellite. "Quand il m'a dit de crier "mayday" dans la radio, là j'ai vraiment flippé", se rappelle Maxime. Il poursuit : "D'un coté, c'était rassurant de parler au secours mais d'un autre pas du tout parce que ça voulait dire que notre situation était critique."

Pour Romain, ils n'étaient pas "en péril" mais avec six enfants à bord, il préférait que les secours sachent où ils se trouvaient. "C'était une décision difficile parce que je ne voulais pas qu'ils nous privilégient par rapport à d'autres bateaux encore plus en détresse mais au moins ils pouvaient nous surveiller."

Le vent redescend alors aux alentours de 100 km/h, une puissance déjà très forte mais bien moins élevée que les 200 relevés plus tôt. Mais le groupe n'est pas encore sain et sauf, il doit faire face à des vagues hautes de 4 mètres à présent. "C'était dur de maintenir le vent arrière", reconnaît le navigateur.

Petit à petit, le vent se calme et leur permet de regagner les côtes. Lorsque la tempête a commencé, ils étaient à moins de 2 km de la côte. Pour la regagner, ils ont mis plus de trois heures.

Sur le chemin du retour, une ambiance "macabre" règne sur la mer. 

On prenait les jumelles pour voir si on n'apercevait pas quelqu'un à l'eau. On voyait les carcasses de bateaux sur les rochers, complètement déchiquetées ou pliées en deux. On passait sur des débris de bateaux, et même une balise de détresse.

Maxime

Arrivés au port, "on avait juste envie de se jeter sur le quai", raconte Maxime. Il ne peut pas s'empêcher de laisser enfin les larmes couler. "Pendant toute la tempête, j'ai montré le moins possible que j'avais très très peur parce que je ne voulais pas ajouter du travail aux parents et inquiéter les plus petits", explique le jeune homme. Même s'il faisait "vraiment confiance" à son père pour les sortir de là, "dans ma tête, j'étais sûr qu'on allait finir à l'eau".

Une fois à terre, l'orage a repris. Le groupe et resté à quai pour la nuit mais Maxime n'a pas fermé l'œil, tout comme les autres enfants.

Ce vendredi, il est temps de ramener le bateau au loueur situé à Ajaccio. Romain sent déjà que cela va être difficile pour les enfants de repartir en mer. Maxime, qui a pourtant déjà vécu une plus petite tempête avec son père il y a quelques années, a la boule au ventre.

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