Face à une population qui peine à se renouveler, la fédération des chasseurs des Alpes-Maritimes a morcelé la période de chasse au chamois, qui a repris ce dimanche 11 décembre. Une chasse "injustifiable" selon un député. Car, "épuisés après le rut", les chamois deviennent des "proies faciles", dénonce une association.
Depuis samedi 11 décembre, la chasse au chamois, ongulé emblématique de nos montagnes, est rouverte dans les Alpes-Maritimes.
À l'origine, elle devait se dérouler du 12 septembre au 29 novembre, selon l'arrêté préfectoral du 6 mai 2021. Mais la fédération de chasse des Alpes-Maritimes a obtenu la modification de cet arrêté, le 26 octobre dernier. Après une fermeture de la période de chasse du 12 novembre au 11 décembre, les chamois pourront de nouveau être chassé jusqu'au 9 janvier 2022.
Objectif : déranger au minimum le chamois pendant sa période de reproduction, aussi appelée période de rut, qui se tient pendant les mois de novembre et de décembre, pour ne pas fragiliser la population.
Les chamois "épuisés" deviennent des "proies faciles"
Un argument qui ne passe pas pour Vigilance Mercantour, une association qui veille à la préservation du massif du Mercantour et, plus généralement, du milieu naturel des Alpes-Maritimes.
Quelques semaines avant la réouverture de la chasse au chamois, le 16 novembre dernier, l'association avait déposé un recours gracieux auprès de la Direction départementale des territoires et de la mer pour tenter d'annuler "l'arrêté d'extension de la chasse au chamois pour cette année et les années à venir".
"Nous ne sommes pas pour l'interdiction de la chasse", s'empresse de souligner Laure Scarzello, secrétaire de Vigilance Mercantour. "Nous n'avons seulement pas compris pourquoi il y a eu cette demande de prolongation".
Car, en ouvrant la chasse après la période de rut, le chamois, "épuisé", "deviendra une proie facile car il lui sera plus difficile de fuir dans la neige sur laquelle il se voit de loin", alerte dans son recours, Philippe Bourges, président de l'association.
À savoir que le chamois n'est pas une espèce destructrice ou qui doit être régulée, et ne fait l'objet d'aucune mesure de conservation.
Philippe Bourges craint que "la non-sélectivité des classes d'âge" entraîne "presque exclusivement du tir de mâles reproducteurs". Ce qui risque de provoquer "à long terme l'accès à la reproduction avec des mâles moins performants".
Sur Twitter, lundi 13 décembre, Loïc Dombreval a lui dénoncé une chasse de "loisir" et de "trophée", "injustifiable". Le député LREM de la deuxième circonscription des Alpes-Maritimes l'a comparé à celle, plus marginale mais toujours pratiquée, de la marmotte.
"On ne va pas se mentir, la chasse est un vrai lobby dans le département", concède Laure Scarzello. "C'est beaucoup plus facile d'aller chercher un beau chamois quand il y a de la neige, après le rut, et qu'il est fatigué. Ça fait un bien meilleur trophée". Et rien à voir avec la consommation : "La viande de chamois est immangeable après le rut", balaie-t-elle.
Pour Loïc Dombreval et Vigilance Mercantour, la survie de l'espèce est en jeu. Car "les populations de chamois ne redécollent pas depuis la fin des années 2000", note le député LREM dans un tweet (petit bémol, la photo est celle d'un bouquetin).
Il est difficile de connaître avec précision l'évolution des effectifs de chamois dans les Alpes-Maritimes, et plus généralement en France. En 2010, il y avait près de 103 000 chamois dans les montagnes françaises, selon les chiffres du gouvernement.
Le site internet gouvernemental des parcs nationaux de France constate que "le chamois présente des effectifs importants dans les Alpes françaises, où on dénombre environ 50 000 individus (15 000 dans les Écrins, plus de 8 000 dans le Mercantour, 6 000 en Vanoise)", en précisant que les populations "sont plus importantes en cœur de Parc national qu'en aire d'adhésion où la chasse est autorisée".
Quoi qu'il en soit, "le chamois est en bon état de conservation dans les Alpes françaises et dans le Mercantour en particulier, où la densité est l’une des plus élevées d’Europe", estime le site internet (plus récent) du parc national du Mercantour.
"Les populations de chamois sont fluctuantes, car soumises à de nombreux facteurs", ajoute Louis Bernard, chef du service départemental de l'Office français de la biodiversité.
Par exemple, les ongulés ont été victimes entre 2007 et 2010 d'une grande épidémie de kératoconjonctivite, qui s'est ajoutée à des hivers très rigoureux.
Plusieurs groupes de chamois ont été durement touchés, "avec des baisses d’effectif pouvant approcher 40 %", souligne le schéma départemental de gestion cynégétique des Alpes-Maritimes 2021/2027. Et, "si les plans de chasse ont depuis été réduits, les populations n’ont pas toutes reconstitué leur effectif".
Moins de chevreaux observés cet hiver 2021
Depuis ces épisodes, "la population de chamois peine à se relever parce qu'il n'y a pas de renouvellement", explique à BFM Nice Jean-Pierre Caujolle, président de la fédération départementale des chasseurs.
Cette année, les chasseurs auraient observé "deux à trois fois moins" de chevreaux et de jeunes chamois dans les Alpes-Maritimes.
Face à ce constat, cet hiver 2021, "on a diminué de 30 % le plan de chasse aux chamois. On a fait ce qu'il fallait faire", déclare Jean-Pierre Caujolle. Il se félicite d'ailleurs que, lors de cette seconde période de chasse, il n'y a plus de battues mais "une chasse à l'approche".
Laure Scarzello souffle. "La solution [au renouvellement de la population] n'est pas de prolonger la période de chasse", insiste-t-elle, "ce n'est pas logique". Pour la secrétaire de Vigilance Mercantour, les anciennes périodes étaient amplement suffisantes.
Pour le président de la fédération départementale de la chasse, le principal prédateur des chamois n'est pas l'homme. "On ne sait pas si [le faible taux de chevreaux] est lié au réchauffement climatique ou à la prédation du loup", soulève-t-il, toujours à BFM Nice.
L'homme, un loup pour le chamois ?
"Il n'y aucune donnée concernant l'impact du réchauffement climatique sur le chamois" dans le département, balaie Louis Bernard. Néanmoins, les conditions météorologiques, "notamment la durée de l’enneigement, peuvent en effet "conditionner très largement l’importance de la mortalité", indique le Parc national du Mercantour sur son site internet.
Quant à la prédation : "le loup est là depuis 30 ans, on voit bien que le chamois résiste bien", continue le chef du service départemental de l'Office français de la biodiversité.
"Bien que constituant une part importante de leur régime alimentaire, il n’a pas encore été observé de diminution sensible des effectifs de chamois dans les massifs montagneux sur lesquels le lynx ou le loup sont présents", peut-on lire dans la fiche espèce/habitat consacrée au chamois éditée par l'Office national de la chasse et de la faune sauvage.
Si la baisse d'effectif des chamois était causée par les loups, la population baisserait sur tout le territoire. Or, il y a une vraie différence entre le parc naturel du Mercantour et les zones où les chamois sont chassés.
Laure Scarzello, secrétaire de Vigilance Mercantour
Par ailleurs, les chevreaux peuvent aussi être menacés par les aigles, qui s'attaquent aux jeunes vulnérables.
Philippe Bourges, président de Vigilance Mercantour, souffle : "J'habite dans les montagnes. C'est une réalité : les chamois, on en voit que dans le parc, où ils ne peuvent pas être chassés. Ce n'est pas la faute d'un prédateur naturel comme le loup. Il y a un autre prédateur : c'est l'homme".
Pour le Parc national du Mercantour, "la principale menace pour l’espèce serait l’inadéquation des plans de chasse avec la dynamique réelle des populations qui peut localement diminuer les populations et ralentir la recolonisation de l’espèce dans certains milieux qui lui sont favorables".
C'est ainsi que "chaque année, les comptages faits par différentes institutions, dont le Parc national du Mercantour, permettent de définir un nombre d’animaux que les chasseurs peuvent prélever sans mettre en danger les populations".
Depuis 2010, les attributions (nombre de chamois qui peuvent être tués selon les plans de chasse) sont parfois largement supérieures aux réalisations (chamois effectivement tués), selon les tableaux de la fédération des chasseurs des Alpes-Maritimes. "Pourquoi ne pas simplement baisser les taux d'attribution, plutôt que de d'augmenter la période de chasse ?", s'interroge Laure Scarzello.
Elle conclut : "On ne dit pas que la chasse est responsable de tout. Mais, alors que la fauve sauvage est en grande difficulté, il faut se poser la question : quelles seront les conséquences des actes que l'on fait aujourd'hui ?"