Mauro Colagreco, chef triplement étoilé au Guide Michelin, nommé n°1 dans la catégorie "Best of the Best" du prestigieux classement The World’s 50 en 2019, n’en finit plus de surprendre. Son nouveau défi, nous faire découvrir le poisson maturé dans l'un de ses deux nouveaux restaurants de la Côte d'Azur.
Si le procédé de la maturation a fait ses preuves pour les viandes en améliorant leur tendreté et en exhaussant leurs goûts, qu’en est-il pour le poisson ? C'est le chef Mauro Colagreco qui veut y répondre.
Une chambre de maturation
Pour ce faire, ce virtuose de la gastronomie a fait équiper le Ceto, l’un des deux restaurants du Maybourne Riviera à Roquebrune-Cap-Martin (Maybourne Hotel Group) d’une chambre de maturation. Une salle qui fait partie intégrante du restaurant puisqu’elle en est une des pièces centrales.
Cet endroit permet d’approfondir les méthodes de conservation des poissons et de prolonger leur maturation en développant toutes les saveurs et les arômes des chairs.
Depuis sa pêche, où il est conservé dans de l’eau de mer et non dans de la glace comme traditionnellement, le poisson est ensuite stocké dans cette chambre de maturation où il peut être conservé plusieurs jours. Chaque espèce est ainsi étudiée et chaque partie utilisée au mieux.
Un chef dynamique écoresponsable
Cette démarche engagée de Mauro Colagreco et de ses équipes sur la biodiversité marine participe à la volonté du respect de la nature et des espèces qui la composent.
Tout est réfléchi pour travailler avec une pêche locale, mais aussi pour développer la courbe gustative des poissons beaucoup plus longtemps et beaucoup plus élevé que si le poisson était conservé dans une chambre froide ou dans un réfrigérateur. La nature est une prodigieuse source d’inspiration et la nourriture c’est ce qui nous relie le plus à la terre. Ce lien précieux entre la vie et la créativité est au centre de ma philosophie et de mes actions pour protéger la planète
Mauro Colagreco
Maturation du poisson, non protéolyse !
Si la maturation de la viande permet d’améliorer la tendreté des fibres musculaires et transforme son goût, pour le poisson il en va tout autrement.
D’ailleurs, si le terme de maturation est utilisé pour la viande, pour les poissons les spécialistes, qu’ils soient scientifiques ou chefs de cuisine, emploient plutôt le terme de protéolyse, comme l'explique Bruno Goussault, biochimiste et président du Centre de Recherche et d'Études pour l'Alimentation (CREA).
"Le phénomène de protéolyse est issu de la transformation biochimique des enzymes protéolytiques présentes dans les poissons. Seulement, la protéolyse, au lieu de créer de bons aromes comme dans le cas de la viande, libère dans la chair des poissons des acides aminés à odeur d’ammoniaque. D’où la nécessité impérieuse de maîtriser ce processus. En la matière, ce processus est connu et maîtrisé depuis des millénaires par nos voisins asiatiques".
L’over-chilling
Parmi les différentes méthodes de conservation du poisson frais, l’over-chilling, est connue en Asie depuis des millénaires.
Et plus particulièrement au Japon et en Corée du Sud. C'est d'ailleurs au Japon que Mauro Colagreco s'est formé à cette technique culinaire.
Les poissons qui viennent d’être péchés sont conservés à une température de -2 ou -3 °C. Grace à ces températures, plus froides qu’en Occident, les enzymes protéolytiques, ou plus simplement le phénomène chimique qui altère la chair du poisson, sont neutralisées.
Autre astuce, qui permet une meilleure et plus longue conservation du poisson, le stockage, au frais donc, mais également au sec. Grace à l’air sec, le développement microbien est plus faible. Cette pratique permet donc de doubler la durée de conservation.
Une durée de conservation doublée
Habituellement, un poisson entier, correctement saigné, éviscéré et recouvert de son mucus, en grande partie formé d’eau, se conserve une dizaine de jours.
Si l’on applique la technique de l’over-chilling, il se conservera une vingtaine de jours en développant des saveurs qui n’auront pas été altéré ni par la température ni par l’eau puisque ni les enzymes protéolytiques ni par le développement microbien n’auront pu se développer.
En Europe, le poisson est généralement stocké sur de la glace. En fondant, la glace se transforme en eau ce qui lance immédiatement la formation microbienne et donc la dégradation du poisson.
Le petit plus
Son petit plus, ajouter du sel de l'Himalaya. Grace à cet ingrédient, les deux ennemis d'une chambre de maturation, l'humidité et les bactéries, sont "encore plus contenus" puisque absorbés par ce sel aux propriétés si particulières.
Garce à cette technique, Mauro Colagreco et le chef-exécutif nouvellement étoilé du Ceto, Andrea Moscardino, peuvent pousser la durée de conservation des poissons jusqu'à trois mois. Un atout majeur sur lequel se fonde la politique écoresponsable de l'établissement.
Selon un client, on y retrouve "toujours le goût du thon et le côté un peu graisseux de ce poisson, mais avec un goût bien plus prononcé".
Toujours plus loin...
Prochaine étape : tenter d'allier les techniques de conservation et de salaison pour arriver à créer de la charcuterie de poisson.
Nul doute que ce surdoué de la cuisine devrait y parvenir. Après, il n'y aura plus qu'à déguster et apprécier... Ou pas.