Malgré la tempête Alex, le Covid et, désormais, la sécheresse, Catherine Debray a repris les clefs du refuge de La Valmasque dans le Parc du Mercantour. Un retour aux sources pour cette enfant de la Roya. Avant 2020, 3.300 personnes venaient passer la nuit au refuge l'été.
Le refuge de La Valmasque est là, construit sur une petite colline, à 2.233m d'altitude dans la zone coeur du parc national du Mercantour (Alpes-Maritimes). Un endroit préservé dans le parc, où l'activité humaine est réduite au maximum : pas de voiture, ni de camping-car, encore moins d'activité de chasse ou de survol de drone. Ici, les animaux et la flore sont rois.
À notre arrivée au refuge, ce sont d'ailleurs des étagnes (la femelle du bouquetin) qui nous accueillent. Pas très farouches, elles se laissent facilement prendre en photo, mais refusent les caresses.
Du côté des bipèdes, c'est Catherine Debray qui s'occupe des lieux, au bord du Lac vert. Elle a repris le gardiennage du refuge cette année. Son prédécesseur est parti en retraite, après 25 ans de bons et loyaux services.
On n’est pas des hôteliers comme les autres. Ce qui me plaît, c’est vivre en montagne et être utile aux gens, les régaler un minimum, les secourir quand ils ont besoin car on est aussi le premier maillon de la chaîne du secours en montagne... Ce n’est pas juste une activité commerciale.
Catherine Debray
Durant la période estivale d'ouverture du refuge (jusque fin septembre/début octobre), Catherine est aidée de Pauline et Sébastien. Ensemble, ils se relaient pour accueillir les visiteurs, servir à manger et à boire, préparer les dortoirs, gérer les stocks de nourriture...
Le ravitaillement, c'est Catherine qui le fait, une fois par semaine, à dos d'âne.
Vie en communauté
Ce jour-là, le refuge est presque complet et accueille deux groupes (des adolescents de Mouans-Sartoux et des Tchèques) et quelques particuliers.
Un peu avant 19h, deux soeurs et leur maman, originaires de Savoie, arrivent, backpack sur le dos et bâtons de randonnée en mains. Après avoir échangé les chaussures de marche pour des Crocs obligatoires, direction l'un des dortoirs. 24 personnes, hommes et femmes confondus, peuvent y dormir.
"C'est bon d'être accueillies et, souvent, on mange très bien dans les refuges !", dit Lisa, l'une des deux soeurs.
L'ambiance dans les refuges, c’est assez unique. On est perdu en montagne, moi j’aime bien !
Lisa, une randonneuse
"On mange dans 10-15 minutes", prévient Sébastien, l'un des aide-gardiens. "Le petit déjeuner, c'est de 6h30 à 8h demain matin."
"On peut se faire une petite toilette ?", demande Catherine, la maman.
"En ce moment, à cause de la sécheresse, on n’a pas les douches, par contre, on a des robinets aux sanitaires", répond Sébastien. Il faudra faire avec.
Restrictions d'eau et nature préservée
Depuis plusieurs semaines, les Alpes-Maritimes sont en alerte sécheresse. "Le bilan de la saison de recharge (de septembre 2021 à mars 2022) du département est très déficitaire sur la totalité du territoire", détaille la préfecture des Alpes-Maritimes. "Le déficit de 40 % à 60 % par rapport à la normale est au deuxième rang des valeurs les plus basses depuis 1959." Les restrictions en eau y sont donc nombreuses, jusqu'aux refuges alpins.
Tout est précieux ici. Cette année, c’est assez compliqué : il n’y a pas eu de neige cet hiver, pas de précipitations au printemps, donc on a décidé de fermer les douches. C’est une petite contrainte pour les gens.
Catherine Debray
Une contrainte vite évacuée par certains randonneurs qui n'hésitent pas à piquer une tête dans le lac vert. "Je connaissais cet endroit, c’est la troisième fois que je viens ici", explique un Hollandais de passage. "C’est un refuge très agréable et confortable. C’est très accueillant."
"On oublie tout : les soucis, la vie quotidienne, c’est une déconnexion complète !", poursuit Catherine, la maman savoyarde, qui réalise son premier trek.
Dans cette nature préservée du bruit et de la pollution, deux petits cris aigus se font entendre. Le temps de trouver leur provenance, une tête de marmotte disparaît sous terre. Trop furtif pour capturer l'instant. Nous aurons plus de chance sur le chemin du retour...
Au refuge, c'est l'heure du repas. Les petits groupes et les particuliers sont mélangés pour favoriser la convivialité. Chacun se sert dans les plats communs à la tablée. Au menu ce soir-là : soupe, daube et pâtes, fromage et dessert.
20h30, le dîner est terminé et le calme revient. Alors que la nuit tombe, certains décompressent ou profitent du paysage pendant que d'autres préparent la marche du lendemain. Ici, pas de réseau téléphonique, ni de wifi. 22h, certains s'affrontent lors de jeux de société, les autres sont partis rejoindre Morphée.
"Des clients recherchent une connexion à tout prix. Mais la convivialité du refuge, c’est important. On a envie de conserver cet esprit-là", commente la gardienne.
Retour aux sources pour la gardienne
Catherine Debray n'est pas une novice en la matière et connaît bien les lieux. Enfant de la vallée de la Roya, elle a travaillé cinq étés à La Valmasque dans les années 1990. "Ca a été mon tout premier refuge en tant qu’aide-gardien avant de me lancer en 2001 à mon compte en gardant deux refuges dans la vallée de la Tinée (Longon et Vens) jusqu’à l’été dernier", se remémore-t-elle. L'occasion pour elle de "retravailler dans ma vallée" et de se rapprocher de sa famille, qui vit à La Brigue.
Dans le Mercantour, les sept refuges sont mis en location par le CAF, le Club alpin français. "Je paie au CAF un loyer annuel et leur reverse les nuitées. Moi, je gère les autres charges (stocks, héliportage, gaz, salariés) grâce à la partie restauration."
J'arrive à me sortir un petit salaire. Mais il faut qu'il y ait un minimum de fréquentation. Ici, une saison normale (avant 2020, ndlr), c'est environ 3.300 nuitées. Pour faire un comparatif : l’année dernière, l'ancien gardien a eu un peu moins de 1.400 nuitées. Il a eu juste de quoi payer ses charges.
Catherine Debray
À La Valmasque, comptez 49€ par personne pour la demi-pension ; et 10€ le pic-nic du lendemain midi. Les drap housse, oreiller et couvertures sont fournis.
Pour cette saison, la nouvelle gardienne se veut optimiste. "J’ai l’impression que ça redémarre. Les gens ont besoin de nature, d’authenticité après cette vague de Covid. Tout le monde a envie d’être dehors et de reprendre une vie à peu près normale."
Catherine Debray observe toutefois une petite évolution parmi sa clientèle. "Beaucoup de gens sont en recherche de confort. Pas forcément des chambres individuelles, mais un peu plus d'espace pour dormir."
Une nouvelle journée commence
Le lendemain, vers 7h du matin, le refuge se réveille. Dehors, une étagne fait le tour des humains pour lécher bras et jambes, à la recherche de sels minéraux.
"Vous allez aller voir un médecin ?" Au petit-déjeuner, Catherine Debray s'enquiert de la santé d'une touriste qui s'est faite piquée par un insecte la veille. Son doigt a doublé de volume. "En ce moment, c’est pas bleu, donc pas de problème, j’attends et j'irai à la pharmacie", lui répond-elle. "Demain, on sera à Menton."
Chacun reprend alors ses bâtons de marche et son parcours, à l'instar du trio de Savoyardes qui continue leur trek de quatre jours. Le soir, de nouveaux randonneurs viendront se reposer au refuge.