Les plages privées de Menton dans les Alpes-Maritimes sont en plein chantier. La délégation de service public a été entièrement renouvelée par la mairie, qui a choisi huit délégataires pour gérer dix de ses onze plages pour l'été prochain. Un marché public qui suscite quelques polémiques.

À Menton (Alpes-Maritimes), le long de la route qui mène jusqu’en Italie, le bord de mer est en pleins travaux. Après des semaines de bataille médiatique l’été dernier, les nouvelles plages privées de la ville commencent à sortir petit à petit de terre…

Ce vendredi, le maire Yves Juhel faisait une visite de terrain et se satisfaisait de l’avancée du chantier. "Ce qui est important c’est de voir que la jonction est faite avec l’esplanade des Sablettes, grâce à une unicité dans les matériaux et l’esthétique."

Des nouvelles plages qui seront désormais vitrées et avec une volonté de monter en gamme. "Les prix de la restauration et des matelas restent, à 10% près, les mêmes", veut rassurer le maire. "Ce ne seront pas les prix de Monaco, ni de Saint-Tropez !"

Six entreprises et une dizaine d’ouvriers travaillent chaque jour "sur un ensemble d’environ 8 000 m² d’aménagement", précise Christophe Zazzera, du service des grands travaux de la mairie. "L’ensemble des locaux sera démontable à la fin de la saison."

Dalles de béton

Mais ce projet de réaménagement à 6,786 millions d’euros (subventionné à 80% par l'État) fait quelques remous. À commencer par la direction départementale des territoires et de la mer (DDTM), venue inspecter récemment le chantier.

La DDTM est intervenue [...] pour faire interrompre l'installation de nouvelles dalles de béton sur la plage  (en remplacement d'ouvrages dégradés) et a préconisé la réalisation d'une structure plancher réversible sous la forme d'un plancher posé sur des plots et des longrines préfabriquées. Cette solution technique [est] conforme à la loi littoral (principe de non artificialisation définitive du domaine public maritime).

Préfecture des Alpes-Maritimes

"Cela a donné lieu à deux jours de discussion courtoise et le problème est réglé !", poursuit Yves Juhel, assurant que cela n’engendrera pratiquement aucun surcoût financier.

L’objectif, c’est que tout soit prêt entre le 15 et le 20 juin pour lancer la saison 2024.

Yves Juhel, maire DVD de Menton

Pour l’heure, huit des neuf lots de plages de la nouvelle délégation de service public ont été attribuées. Deux sont concernés par des procédures judiciaires.

Une plage en suspens

La plage n°9 d'abord. Son attribution a été suspendue lors du dernier conseil municipal car l’un des actionnaires de la société retenue, Laurent de Gourcuff, a été condamné début février pour corruption active dans un autre dossier, la concession de l’hippodrome de Longchamp. Une condamnation dont il a annoncé faire appel.

Tant que l’appel n’a pas eu lieu, il y a la présomption d’innocence, donc on attend.

Yves Juhel, maire de Menton

Cette plage pourrait donc bien ne pas fonctionner cet été. "Le lot pourra être attribué pour la saison d’après", continue l’édile.

Quant à la plage n°1, l’un des candidats malheureux a fait un recours. L’audience était prévue ce lundi au tribunal administratif de Nice. Contacté, ce professionnel des plages ne souhaite pas s’exprimer sur le sujet.

La plage n°1 a été attribuée à AJP Solutions, une société basée à Bures-sur-Yvette, en Essonne. En conseil municipal, la conseillère d’opposition (Horizons) Isabelle Thouvenot s’en est étonnée : "M. le maire, pour la transparence, pourriez-vous nous dire qui est derrière AJP Solutions ?"

Questionné lors de la visite de chantier vendredi, Yves Juhel a répondu : "il y a un associé qui est à Paris et un autre qui est à Menton et qui est un commerçant mentonnais", en l'occurrence Amar El Achi, le propriétaire du restaurant "Le 31".

Collusion d'intérêts ?

Dans un mail qu’a écrit Arnaud Delisée, le gérant d'AJP Solutions, à Amar El Achi, et que France 3 Côte d'Azur a pu consulter, une troisième personne fait son apparition : Christian Debieuvre, directeur du développement durable à la mairie de Sainte-Maxime dans le Var et président de la société Syner Sea 83, spécialisée dans les "procédures administratives de création de projet ou de renouvellement des autorisations".

Selon ses réseaux sociaux, Christian Debieuvre indique avoir travaillé à la direction départementale des territoires et de la mer (DDTM) du Var entre 1996 et 2010 en tant que directeur des services techniques. Il s'occupait de la gestion du domaine public maritime.

À la même période, entre 2005 et 2009, Philippe Pissarello était secrétaire général de la direction départementale de l’équipement et de l’agriculture du Var (aujourd’hui appelée DDTM). Selon son profil LinkedIn, il assurait notamment des intérims du chef du service maritime. Aujourd’hui, Philippe Pissarello est l’assistant maître d’ouvrage (AMO) pour la délégation des plages de Menton, c'est-à-dire qu'il conseille la mairie dans l'attribution des lots.

Doit-on y voir une collusion d'intérêts ? "Si ce sont juste des anciens collègues, il n’y a pas de problème", analyse Louis Le Foyer de Costil, avocat spécialisé dans les marchés publics. "S’il y a un renvoi d’ascenseur derrière, c’est interdit. Mais c'est difficile à démontrer."

Plusieurs plagistes ont fait appel à Syner Sea 83

Contacté, Arnaud Delisée explique que Syner Sea 83 lui a été "recommandée". Par qui ? Il n'en dira pas plus, se retranchant derrière le recours étudié par le tribunal administratif.

De son côté, son associé Amar El Achi indique que c'est "un autre plagiste" qui lui a parlé de cette entreprise. "J'ai rencontré cette société et on a monté le dossier tout à fait normalement. Je ne comprends pas tout le tapage qui est fait autour cette plage."

Selon deux sources généralement bien informées sur ce sujet, Christian Debieuvre n’aurait pas œuvré que sur le dossier du lot n°1. Syner Sea 83 serait intervenue pour la quasi-totalité, voire la totalité, des dossiers acceptés.

Les candidats malheureux, quant à eux, seraient ceux n’ayant pas fait appel à l’entreprise varoise. C’était le cas de Michèle Léoni, à la tête de la plage "Da Mitchou" depuis plus de dix ans.

De nouveau candidate à une délégation de plage, elle se souvient avoir trouvé la carte de visite de cette société devant son établissement "entre mai et juin 2022".

Je n'ai pas parlé avec eux. Des personnes qui ont l'habitude de faire des dossiers m'ont dit 'Prends-les, il faut faire un dossier béton et avec eux, tu y arriveras'. Je savais que leur ordre de prix était d'environ 20.000 euros.

Michèle Léoni, ancienne plagiste de Menton

Trop chère pour l'ancienne plagiste, qui est aujourd'hui en conflit avec la mairie concernant l'ancienne délégation de service public. Un autre plagiste, qui ne souhaite pas être cité, nous a dit avoir eu recours aux services de Syner Sea 83 pour faire valider son dossier.

France 3 Côte d'Azur n'a pas réussi à joindre Christian Debieuvre pour le faire réagir.

"Je ne sais pas pourquoi mon dossier a été rejeté"

Dans le courrier lui indiquant le refus de son dossier, il est expliqué : "à l'examen de vos garanties professionnelles, financières et votre aptitude à assurer la continuité du service public et l'égalité des usages devant le service public, celles-ci ne lui [la commission, NDLR] ont pas apparu suffisantes".

Une surprise pour cette professionnelle, à la tête sa plage pendant onze ans et qui revendiquait "un des plus gros chiffres d'affaires".

"J’ai reçu une lettre avec indiqué 'non conforme, non conforme, non conforme'", continue Michèle Léoni. "J’aurais aimé au moins être accueillie en mairie en me disant ce qui n’allait pas dans mon dossier."

Aujourd'hui, Michèle Léoni a repris "Da Mitchou campagne", son ancien restaurant à Gorbio, une petite commune dans l'arrière-pays mentonnais.

"Dans les dossiers rejetés, il y avait des motifs bidons", affirme de son côté Christian Tudès, alors premier adjoint d'Yves Juhel et membre de la commission "Délégation de service public - DSP". "Par exemple, certains candidats voulaient récupérer des matériaux des anciennes structures pour les réutiliser dans les nouvelles. L'assistant maître d'ouvrage disait que ça ne respectait pas le cahier des charges. Je me suis élevé contre cela à plusieurs reprises."

"Chacun était libre de choisir"

Du côté de la mairie, on assure que tous les dossiers n'ont pas été faits par la même personne. Seuls "trois ou quatre compétiteurs ont choisi le même bureau d’études, avec des architectes différents", poursuit Yves Juhel.

Il a été recommandé à chaque candidat de se faire accompagner par un bureau d’études ou par un architecte pour que le dossier soit le plus technique et le plus abouti possible car c’était une compétition. Ensuite, chacun était libre de choisir qui il voulait. On n’a imposé personne.

Yves Juhel, maire de Menton

Pendant l’étude des dossiers, "on ne regardait pas qui avait fait le dossier. C’était inscrit dessus, mais on étudiait surtout le dossier par rapport au cahier des charges", précise le maire de Menton, qui commence à en avoir marre des polémiques et "des sous-entendus" : "on a choisi cet AMO parce que c’était le meilleur". Le reste, "c'est de la jalousie mal placée de la part de gens qui ne veulent pas que vous réussissiez votre projet. Alors par principe, on va prouver que c’est un bon projet".

Rendez-vous est donc pris en juin prochain, au moment de l'inauguration des plages.

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