En Europe, on cite souvent l'Italie comme le pays où, même si l'IVG est permise, cela se fait avec grande difficulté. Ni tout à fait en Europe, ni franchement pays lointain, Monaco interdit toujours l'interruption volontaire de grossesse, sauf dans des cas thérapeutiques ou suite à un viol par exemple. En cause, la religion catholique qui est ici, religion d'État. Pour autant, les choses évoluent. Rencontre avec Juliette Rapaire qui en a fait son combat.
Nous la retrouvons place d'Armes, à Monaco, en ce jour froid de novembre, irradié par le soleil. Le lieu est hautement symbolique, car c'est là le 8 mars 2023 qu'elle a osé ce que peu de femmes ou d'hommes feraient, revendiquer le droit à l'IVG, l'interruption volontaire de grossesse, dans un pays où la pratique est interdite.
Juliette Rapaire est lumineuse. Elle affiche à la fois un large sourire et quand on commence à parler avec elle, une détermination qui surprend. La jeune femme âgée de 28 ans n'a pas hésité une seule seconde avant d'accepter de nous rencontrer.
Pour parler de son vécu, une IVG quelques années plus tôt et son combat d'aujourd'hui. S'afficher sur un thème comme celui-là n'est pas forcément bien vu à Monaco même si les lignes bougent. En partie grâce à elle.
L'avis des Monégasques
Il y a quelques semaines, le Conseil National de Monaco, l'équivalent de l'Assemblée nationale française, a lancé une vaste consultation sur les thèmes qui préoccupent les quelque 36 000 habitants. De ce référendum qui n'en a que le nom, car aucune valeur législative, beaucoup ne retiennent que la question sur l'avortement, à savoir, faudrait-il le légaliser.
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Dans les coursives feutrées du Conseil National posé sur le Rocher, face au Ministère d'État, la question ainsi rédigée fait parler, pour ne pas dire plus.
C'était sans compter sur, à la fois, la participation énorme, 27 868 des Monégasques interrogés ont répondu à cette consultation et 80% de ceux-là se disant pour une légalisation : "on n'y croyait pas, nous dit-on, on a même rappelé l'institut de sondage pour être sûr que ce n'était pas plutôt 80% contre !"
Une nouvelle que Juliette Rapaire a accueillie avec soulagement. Un soulagement qui cache la gravité de ce qu'elle a vécu il y a deux ans, un avortement qu'elle a dû pratiquer de façon quasi-clandestine, elle a dû débourser 500 € en liquide, en France.
La religion ne doit pas entraver la liberté sur le corps des femmes.
Juliette Rapaireà France 3 Côte d'Azur
En mars 2023, elle organise un sit'in dans les rues de Monaco.
Autour d'elle, d'autres femmes qui militent pour cette même cause. Ce fait politique rare suscite tendresse et soutien. À quelques pas de là, la police excédée par les slogans pro-IVG qui figurent sur les pancartes finit par baisser la garde, une première victoire hautement symbolique pour Juliette et ses amis.
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Aujourd'hui, elle ose parler dans ce pays où la religion catholique est très puissante : "la religion ne doit pas entraver la liberté sur le corps des femmes, ça, il faut en parler, car c'est d'une hypocrisie de dire que c'est dépénalisé, mais l'acte reste illégal, ça veut dire Mesdames, vous avez le droit d'avorter, mais pas chez nous".
Pour Juliette Rapaire, ce combat a commencé voici plusieurs années. Elle qui se revendique comme féministe déjà du temps où elle résidait à Paris : "ces questions ne doivent plus être un tabou. Paradoxalement mon combat est bien perçu, j'ai beaucoup de remerciements de femmes qui se sont fait avorter. Derrière chaque IVG, il y a une femme, un contexte, une histoire personnelle".
Au départ, son engagement ne s'est pas fait sans difficulté. La première manif', sachant que l'organiser à Monaco n'est pas simple, et la présence sur les réseaux sociaux en appui sur lesquels elle fait part de son combat.
En 2023, la jeune femme se présente comme candidate d'opposition aux élections nationales sur la liste Nouvelles idées pour Monaco : "j'ai voulu mettre ce sujet sur la table et je pense que ça a fait bouger les choses, ça a insufflé le fait qu'on en parle aujourd’hui".
Depuis 2019, les femmes n'encourent plus de peine de prison, mais les médecins peuvent, eux, toujours être poursuivis.
Peut-on parler d'évolution sociétale ?
Le mot ne sera pas prononcé par Thomas Brezzo, le Président du Conseil National de Monaco que nous rencontrons. La question est délicate, mais le résultat de la consultation est là et politiquement, c'est un engagement fort que les Monégasques attendent : "je pense d'ici au début de l'année 2025, la proposition de loi d'ici à deux ans, on arrivera au vote d'une loi".
Quoiqu’il arrive, la décision reviendra, in fine, au Prince Albert II. Selon des observateurs aguerris de la Principauté, il est inimaginable que le souverain ne signe pas.