"Ce n'est pas à l'ordre du jour et ça se fera naturellement". Entretien avec le maire du hameau du Pra, menacé d'évacuation

Un arrêté préfectoral du 26 août réclame l'évacuation du hameau du Pra, dans les Alpes Maritimes, à cause des risques d'éboulements. Pour le maire, cette décision n'est pas nouvelle, elle est surtout futile : "personne n'y habite à l'année."

Jean-Pierre Issautier a du mal à se souvenir depuis combien de temps il est maire. "27 ans probablement", songe-t-il. Cet éleveur de brebis est à la tête de la commune de Saint-Dalmas-le-Selvage et donc du hameau du Pra. Depuis près de trente ans, il voit ce village disparaître petit à petit.

Un drame pour celui qui considère l'arrêté préfectoral obligeant les habitants à évacuer comme une redite. Dans les années 1960, la mairie avait déjà pris cette décision. "Mais personne ne vit ici à l'année !" Et pour cause : le hameau est isolé plus de six mois par an à cause des routes impraticables.

Il revient sur la situation particulière et complexe de ce village. 

L’évacuation du hameau du Pra est-elle à l’ordre du jour ?

"Il n’y a pas d’évacuation prévue. Ce n’est pas d’actualité. Ni aujourd’hui, ni demain. De toute façon, elle va se faire naturellement parce qu’à l’automne, les personnes qui viennent au Prat en résidence secondaire rentrent chez elles. Le restaurant du hameau, lui, devrait fermer dans les prochains jours", affirme le maire.

Y-a-t-il des habitants dans le hameau du Pra ?

"Il n’y a que trois familles, mais elles ne viennent que quelques week-ends par an. Une femme vient, elle, deux mois, en été. La vraie problématique, c’est le restaurant. Quand il est en service, s’il reçoit une vingtaine de personnes, elles s’exposent à un risque."

Qu'attendez-vous de l'Etat ?

"Nous avons effectué plusieurs réunions avec de services de l’Etat pour voir ce qui peut être mis en place pour le hameau. Nous nous donnons deux mois pour réfléchir. On pourrait par exemple faire appel aux fonds Barnier pour indemniser les gens si on les oblige à partir."

Quels sont les derniers effondrements qui ont touché le hameau du Pra ?

"Le hameau n’a jamais vraiment été impacté par des éboulements. Il y en a eu en avant et en arrière du hameau, mais jamais directement sur le hameau. On y a toujours vu des phénomènes naturels mais les derniers éboulements ont impacté surtout Saint-Étienne-de-Tinée."

Pourquoi cette interdiction d’habitation ?

"En fait une étude récente a probablement motivé la décision de la préfecture. La RTM, la restauration des terrains en montagne, a démontré que l’érosion s’est amplifiée et déplacée vers l’est. La commune travaillait avec ce service de l’Etat avant. On traitait les problèmes de crues dans le Salso Moreno. Deux barrages ont été créés dans le Torrent. Ils ont été construits par la commune, dans les années 1970/1980. C’est une solution qui a fonctionné jusqu’à maintenant. Nous avons aussi construit 300 mètres de digue, en béton armé, de 4 voire 5 mètres de haut."

Avez-vous été surpris par l’arrêté préfectoral interdisant d'évoluer et d’habiter au hameau du Pra ?

"Pas du tout. Je n’ai d’ailleurs jamais contesté cet arrêté. Avant ce dernier, j’avais moi-même pris un arrêté, sur demande du préfet, le 17 août dernier. Il s’agissait des mêmes termes que cet arrêté préfectoral à savoir l’interdiction de stationner et d’habiter dans le hameau du Pra. Mais tout arrêté doit se faire appliquer et pour cela, il faut des moyens. Or, je n’ai pas de moyens."

Cette interdiction est-elle nouvelle ? Vous inquiète-t-elle ?

"Je ne suis pas inquiet du tout. En fait, à la fin des années 1960, il y avait déjà un arrêté municipal, de l’ancien maire, qui interdisait de vivre dans le hameau. Mais les gens y habitaient quand même, à leurs risques et périls. Malgré cela, un restaurant a ouvert ses portes plus de vingt ans plus tard, « Le Pratois », du nom des habitants. Celui qui l’a ouvert était venu acheter une maison. Il l’a transformé en restaurant dont les clients sont des habitués. Certains viennent de Nice pour la soirée. L’histoire du hameau du Pra est vraiment particulière."

Quelle est l’histoire de ce hameau ?

"Dans les années 1930, il y avait encore une trentaine d’élèves au hameau. La plupart des parents étaient éleveurs. C’est un hameau qui était habité à l’année mais les gens vivaient en autarcie de la Toussaint jusqu’à mai à cause des avalanches : les routes étaient coupées donc il n’y avait pas de liaisons. Petit à petit, dans les années 1960, les bergers sont allés ailleurs, en Provence, dans le Var ; ils se sont débrouillés. C’est devenu un habitat temporaire et saisonnier. Aujourd’hui, ceux qui ont des habitations, qu’ils occupent quelques week-ends dans l’année, connaissent tous bien l’endroit : ils connaissent le danger, la plupart ont déjà vécu ici."

Avez-vous peur de voir le hameau disparaître ?

"Un hameau est un lieu habité, un village qui a un passé. Le Pra est un endroit emblématique du pastoralisme, de la transhumance. Ici, il y avait l‘armée, la douane, la gendarmerie parce que nous ne sommes pas loin de l’Italie. Bref, c’est un village qui vivait, avec des lieux de vie. Donc c’est dramatique de le faire disparaître. Il a une belle église, un four à pain, un lavoir… Alors imaginer sa disparition aujourd’hui est un drame."

Comment en est-on arrivé à ce « drame » ?

"C’est un drame qui arrive à cause de l’érosion superficielle de la montagne mais c’est un problème qui perdure. Surtout, depuis quelques années il n’y a plus de travaux réalisés. Avant, c’était la compétence de la commune mais maintenant elle n’a plus cette compétence. Par exemple, le Torrent, qui passe près du hameau, est une compétence de la Métropole. Tout ce qui est foncier, en amont du hameau dépend de la commune de Saint-Étienne-de-Tinée et c’est domanial donc ça appartient à l’Etat. Donc même si je voulais commander des travaux je ne le pourrai pas car je n’ai pas les moyens."

Peut-on encore sauver le hameau du Pra ?

"C’est difficile à dire. En ce moment la Métropole prolonge la route de la Bonette qui passe en amont du hameau, c’est la route goudronnée la plus haute d’Europe. Cette prolongation devrait protéger la route et donc le hameau. Chacun fait ce qu’il peut, la Métropole fait ce qu’elle peut, ce n’est pas évident."

Actuellement, il n'y a plus personne dans le hameau du Pra, à l'exception du restaurateur, qui va bientôt fermer son établissement saisonnier. 

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