Il est situé dans la vallée de la Tinée, sur la commune de Saint-Damas-le-Selvage, près du col de la Bonette. Le hameau du Pra serait en danger de mort d’après la préfecture des Alpes-Maritimes, qui pointe les risques d’éboulements et d’inondations. Des familles y vivent une partie de l'année, et n’ont pas l’intention d’en partir.
Les habitants du hameau se taisent. Ils attendent. Le cœur vrillé. Tendus. L’inquiétude et la tristesse vissées au ventre. Des questions à n’en plus finir bourdonnant dans la tête. Dans le cadre idyllique de leur alpage, ils se savent dans l’œil du cyclone. Leur calme est trompeur. C’est celui qui précède la tempête.
La préfecture a décidé de les rayer de la carte.
Elle s’appuie sur des études récentes qui confirment la vulnérabilité du hameau aux risques d’inondations, de crues torrentielles et de mouvement de terrain.
Le 26 août, le couperet est tombé : évacuation des maisons et restaurant. Interdiction d’y revenir.
La zone doit être évacuée par ses occupants. Il est interdit à toute personne d'évoluer, de se déplacer ou d'habiter à l'intérieur de cette zone d'habitation, et notamment dans les bâtiments.
Arrêté de la préfecture des Alpes-Maritimes
Des habitants bien décidés à rester sur place
Les habitants, eux s’inscrivent en faux. Lorsqu’ils recevront un acte d’expulsion, dans leur boîte aux lettres, ils aviseront, font-ils savoir, mais, d’ores et déjà, ils entendent se battre pour rester sur place. Leur maire, celui de la commune de Saint-Dalmas-le-Selvage, Jean-Pierre Issautier, a contesté l’arrêté préfectoral.
Pourtant, il a lui-même pris un arrêté, le 17 août, interdisant "d’évoluer et d’habiter sur le hameau du Pra. Cependant, il a également déclaré que ses administrés sont adultes et qu’il ne leur demandera pas de partir. Lui, comme les 3 familles du hameau, ne pensent pas qu’il y ait danger de mort.
"Ce que vivent les Pratois est dramatique, explique Jean-Pierre Issautier, la gorge nouée. Ils ne sont là que l'été, entre le 15 juin et le 15 octobre."
"Ils sont nés ici. Ils ont vécus ici. Ce sont des familles de 9 ou 10 enfants. Leurs morts y sont enterrés. Ils reviennent, ponctuellement à la Toussaint et, en saison, dans leur maison du cœur qu'ils ont du quitter par nécessité. L'hiver au Pra, tout est bloqué, mais c'est le lieu de leur racine."
Jean-Pierre Issautier, maire de Saint-Dalmas-le-Selvage
Son coin de montagne, le maire le connait bien. Lui aussi est d'ici. Les caractères y sont durs , forts, intègres, et tendres aussi malgré les vicissitudes de la rude vie dans les alpages.
"Si le Pra existe encore, c'est grâce au travail que la commune de Saint-Dalmas-le-Selvage a effectué dans le lit du Salso Moreno. Ce sont 2 ouvrages, dont une digue de près de 300 m de long, qui ont été réalisés avec l'aide du département et de l'Etat dans les années 1980. On a entretenu et curé mais, depuis une quinzaine d'années, on ne peut plus faire de travaux car nous n'avons plus la compétence. Et le manque d'entretien est problématique. De plus, la route métropolitaine passe en amont du Pra. Le merlon n'a plus été entretenu lui non plus."
Au hameau il y a encore un berger, qui est originaire du Pra. Il y revient, année après année dés la mi juin. Son troupeau, il le mène dans les pâturages, puis il revient, à la fin d'octobre pour la transhumance.
Quant au restaurant, si son propriétaire n'est pas né sur cette terre, il y appartient un peu désormais et reçoit de nombreux clients chaque jour de l'été.
Alors quoi ? Principe de précaution ?
La dure leçon tirée des tragédies et dégâts de la tempête Alex en octobre 2020 dans les vallées et l’aggravation des phénomènes naturels, dictent la décision de la préfecture. L’interdiction d’occupation des lieux s’appuie aussi sur l’exposition particulière du hameau aux phénomènes de coulée de boue et chutes de blocs de plusieurs m3 en provenance du versant (Côte Morgon) qui le surplombe.
A quoi il faut ajouter, les crues tumultueuses du torrent Salso Moreno.
Mais, Jean-Pierre Issautier, explique, de son côté, que les gros éboulements de juin ont eu lieu en dehors de la commune de St Dalmas et n’ont pas impacté le hameau du Pra. "Les cailloux viennent d'un espace domanial, donc c'est la responsabilité de l'Etat. Le Pra est une enclave dans la commune de St Etienne sur Tinée. Cette configuration qui remonte loin, implique des
De récentes intempéries à l'origine de l'arrêté préfectoral
De son côté le préfet, lui, affirme que le Pra a été touché cet été par de fortes intempéries.
Entre la soirée du 18 août et la matinée du 19 août, en raison de laves torrentielles générées par un orage, la route métropolitaine 64 (route du col de la Bonette) a été coupée dans les deux sens de circulation, à hauteur du hameau du Pra.
Préfet des Alpes-Maritimes
Il semblerait également que, dans la nuit du 27 au 28 avril, deux blocs de 3 et 4 m³ aient dévalé le versant, dont un jusqu’à la route, à proximité du hameau.
Pas étonnant que le temps ne soit pas au beau fixe entre préfecture et habitants du Pra.
Un hameau, point de départ de nombreuses randonnées
Il faut dire que le hameau, dont le nom signifie « pré », situé à 9km de St Dalmas, à 1.700 m d’altitude, a un charme incontestable et qu’il y fait bon vivre l’été. Situé sur les annexes du GR5, bordé de mélèzes, il est le départ de randonnées toutes plus magnifiques les unes que les autres à l’instar de celles vers les Lacs de Vens ou les lacs de Morgon.
Son premier peuplement date du XIVème siècle et des générations se sont succédé, y vivant en totale autarcie. En 1928, 162 habitants étaient recensés. Désormais le hameau n’est plus habité qu’a la belle saison mais les lieux emblématiques sont toujours là : l’église vouée à Marie-Madeleine, le four à pain, le lavoir, l’ancienne école qui accueillit une quarantaine d’élèves jusque dans les années 1930 et plus.
Une réunion avec les habitants prévue prochainement
Le préfet des Alpes-Maritimes a annoncé qu’une réunion sera organisée "à destination des habitants pour leur apporter toutes les précisions utiles relatives aux modalités d’évacuation dans les prochains jours".
C'est le maire de Saint-Dalmas-le-Selvage qui l'a demandé. "Il faudra bien débattre sur le devenir des habitants du Prat" dit il, inquiet.
Il rappelle que les risques naturels auxquels ce hameau est exposé sont désormais récurrents…
Les habitants du Pra et le maire de Saint-Dalmas-le–Selvage n’oublient pas que le vieux village de Roquebillière a fait l’objet d’un arrêté similaire et qu’aucun de ses habitants ne l’ont pour autant déserté.
Alors est ce que le compte à rebours est entamé pour le petit hameau du Pra ? Son avenir semble être celui d’une chronique de mort annoncée. Mais c’est peut-être faire peu de cas de l’attachement des hommes de la vallée à leur patrimoine.
