Effet d'annonce ou réelle piste pour traquer le coronavirus ? Ce 10 février, en conseil métropolitain, Christian Estrosi a annoncé vouloir faire analyser les rejets des WC des avions à l'arrivée de l'aéroport de Nice. L'idée serait de contrôler l'entrée des cas de variants sur son territoire.
Parmi les actions de lutte contre la propagation du virus et notamment de ses formes venant de l'étranger, Christian Estrosi a fait ce mercredi 10 février une série d'annonces de nouvelles mesures. L'une d'elle, la plus novatrice, serait de faire analyser les eaux usées dites "eaux noires" des avions atterrissant à l'Aéroport Nice Côte d'Azur.
Selon le maire, "la technologie de séquençage dans les eaux usées que nous utilisons depuis des mois à Nice est peu répandue. Elle nous permet pourtant de détecter 36 heures avant les tests de dépistage la présence de ces virus. Elle apporte des informations précises sur la situation épidémiologique et permet de mieux anticiper."
C'est donc maintenant vers les avions qu'il se tourne :
Nous proposons aujourd’hui d’aller plus loin en travaillant sur l’analyse des rejets des eaux usées des toilettes des avions pendant leur escale. Cette approche permettrait d’identifier la menace et d’agir en conséquence. Je me rapproche aujourd’hui de l’aéroport pour mettre en place un protocole d’étude.
A minima sur les longs courriers, nous pourrons analyser les virus que l’on nous apporte depuis d’autres territoires,
Christian Estrosi rappelle que "les variants sont présents et risquent de devenir majoritaires. Il est en effet établi que le Covid-19 et ses variants, peuvent se multiplier dans les entérocytes, un type de cellule de la muqueuse de l'intestin grêle.
L'idée n'est pas nouvelle. En juillet dernier, des chercheurs australiens affirmaient déjà que tester les eaux usées de transports de passagers, comme les avions et les bateaux de croisière, pourrait aider à la surveillance de la circulation du coronavirus.
Des essais ont ainsi été réalisés sur le territoire français. "Nous avons proposé ce type d’approche à la Polynésie (particulièrement pertinent : il n’y a qu’un aéroport pour les vols internationaux, des longs courriers), précise Vincent Maréchal, professeur de virologie à l'Université Paris-Sorbonne. "L’idée était de limiter l’entrée du virus en Polynésie et de tracer les porteurs pour les isoler. Mais les collègues polynésiens n’y ont trouvé aucun interêt… dommage."
Pour rappel, depuis le 24 janvier, la France impose un test PCR négatif à tous les arrivants par voies aériennes.
Déjà des études à l'aéroport
Actuellement, le trafic à l'aéroport Nice Côte d'Azur est restreint. Le nombre de vols est même en baisse en ce moment : "nous avons entre 30 et 40 rotations (Atterrissage et décollage du même aéronef), précise Aymeric Straub chargé de la communication. 95% du trafic se fait sur les laisons en vols domestiques et depuis l'espace Schengen, quelques liaisons avec la Tunisie, le Maroc et la Turquie subsistent. Aucun long-courrier au départ ou à l'arrivée de Nice à cette date.
Passée la surprise de l'annonce non anticipée du maire de faire ces tests, les services ne sont pas pour autant pris au dépourvu. En effet, depuis plusieurs semaines "on cherche à savoir en partenariat avec Véolia si cela est envisageable", précise Aymeric Straub.
Des travaux sont en cours pour savoir comment le faire sur notre site. Aujourd'hui, les eaux usées sont acheminées collectivement sur un seul bassin de la station Haliotis qui se trouve à proximité de l’aéroport et qui traite les eaux usagées. Elles y sont alors traitées et ensuite rejetées dans les circuits existants,
L'étude des rejets semble techniquement faisable mais c'est sur le volet organisation que le dispositif semble plus complexe : "concrètement, comment organiser le test de chaque passager pour savoir qui est à l'origine de la contamination ? Contamination qui doit avoir une charge virale suffisante aussi pour être visible dans les eaux des WC."
L'aéroport vient par ailleurs d’obtenir l’ACI Health Accreditation (Accréditation Santé ACI ) qui valide sa démarche et les mesures mises en œuvre sur la plateforme pour prévenir le Covid.
Que disent les eaux usées ?
Le dépistage dans les eaux usées des égouts ou des avions consiste à extraire "les acides nucléiques présents dans l'échantillon : les ARN, dont les ARN du Covid" et à les quantifier "par une technique de RT-PCR qui est très proche de celle qu'on utilise chez les malades", nous explique Vincent Maréchal, par ailleurs cofondateur du Réseau Obépine.
Ce réseau est un observatoire épidémiologique des eaux usées qui mets à disposition des autorités sanitaires et du grand public des données permettant d'établir une "carte météo" nationale de la circulation du virus.
Elles sont tirées de l'analyse de prélèvements dans les égouts dans différentes localités, dont Nice et Marseille.
?#COVID19 | Soutenu par le ministère @sup_recherche, le réseau #Obépine publie désormais les données relatives à la détection du virus SARS-COV-2 dans les eaux usées de certaines villes de France afin de suivre l'évolution de l'épidémie sur le territoire.https://t.co/qiJslRamLM
— Frédérique Vidal (@VidalFrederique) January 26, 2021
Pour le Pr Vincent Maréchal, "la vraie question qu'il faut se poser c'est : est-ce que le risque sanitaire est vraiment lié à ces avions et le transport de ses passagers ? Il est clair que sur des vols intérieurs, la fréquentation des sanitaires est limitée, donc il est peu probable d'avoir des résultats pertinents."
Selon ce spécialiste, aujourd'hui, il faut que chaque dispositif "apporte vraiment quelque chose à la lutte. Comment assurer une fois la cuve de l'avion testée, la "traque du passager contaminé ? "
Selon lui, ces tests vont dans le bon sens mais sont assez difficiles à déployer : "est-ce envisageable de tester tous les passagers à leur arrivée ? Par quel test rapide mais surtout par quel test fiable ? " Dans son projet, le maire de Nice de préciser : "cette identification sera complétée par des tests PCR de criblage qui débutent au Centre Hospitalier Universitaire de Nice avec les automates qui permettront en 36 heures de classifier le variant dont le patient est atteint."
Les scientifiques eux, reconnaissent ne pas encore maîtriser un point : "quelle est la relation entre la charge virale et le nombre de personnes qui excrètent le virus ?"
On ne sait pas quelle est la proportion de gens infectés qui sécrètent du virus dans les selles, ni quelle quantité de virus les personnes asymptomatiques sécrètent dans leurs selles,
La durée de la sécrétion est également imprécise : le virus peut être présent dans les selles "jusqu'à trois à quatre semaines, parfois même plus, après l'apparition des signes cliniques, alors que la personne n'est plus contagieuse", précise ce professeur.
Le dépistage dans les eaux usées permet de détecter le virus avant l'apparition des cas cliniques, assurent les membres du réseau Obépine.
On est sur quelque chose de qualitatif et non pas quantitatif. Cela nous permet de dire s'il y a des cas ou non, mais pas de savoir combien,
Cette idée d'analyser les "eaux noires" n'est donc pas nouvelle et on peut même se demander pourquoi ne pas l'appliquer au trafic maritime et ferroviaire ? Envisager ces recherches est déjà un pas, la mise en place du plan d'action un second, semble-t-il plus complexe.
Des voix s'élèvent aussi pour noter que le nettoyage des cuves d'avion sont aussi un point à ne pas négliger. Ce professionnel de l'aéroport de Nice précise par exemple "qu'il faudra aussi que chaque avion qui atterrit ait eu sa cuve de WC parfaitement nettoyée avant le départ (donc coordination avec tous les aéroports de départ)" :
- on ne peut tester les rejets que dans la cuve de vidange (camion), cela implique donc que chaque cuve doit être propre avant chaque vidange
— Lustu (@Lustublog) February 11, 2021
- les avions ne sont pas vidangés après chaque vol, cela implique donc de les vidanger après chaque vol
- il faudra donc un camion par pic.twitter.com/jRI1i2AV9I
En attendant, la mise en place risque d'aller moins vite que les propagations du virus et de ses variants venant de l'étranger.