Une inscription découverte dans le bassin antibois, des croix gammées à Hyères et dans un immeuble du secteur toulonnais; ou encore 25 actes à caractère antisémite annoncés par le procureur de la République de Nice en un seul mois, 5 par celui de Toulon... En Côte d'Azur, une forte hausse de l'antisémitisme est constatée, la communauté juive ne cède pas pour autant à la panique.
Depuis les attaques terroristes du Hamas sur le sol israélien le 7 octobre, une recrudescence des actes à caractère antisémite a été enregistrée sur le territoire français. Au niveau national, il y en a eu plus d'un millier. Davantage en un mois qu’en une année complète. C’est ce qu’a déclaré le ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin ce 5 novembre, avec 486 interpellations à la clé.
Une évolution constatée aussi en Côte d'Azur. Invité sur France Bleu Azur ce lundi 6 novembre, le nouveau procureur de la République de Nice Damien Martinelli a révélé que 25 actes antisémites avaient été enregistrés en seulement quatre semaines dans sa juridiction.
"On fait [ce] constat. Si l’on regarde depuis le 7 octobre le nombre de faits à caractères antisémites, on a une augmentation bien sûr très significative par rapport à septembre. Le décompte que nous avons réalisé, ce sont 25 faits de nature à présenter une dimension antisémite."
Parmi ceux-ci, "des faits d’apologie, des faits de menaces, des faits de dégradation avec cette circonstance aggravante". Une quinzaine d’enquêtes est en cours, il y a eu cinq poursuites pénales (deux concernant des mineurs et trois concernant des majeurs) affirme le successeur de Xavier Bonhomme.
Il faut être ferme et rapide sur ce type de faits.
Damien Martinelli, le procureur de la République de NiceAu micro de la matinale de France Bleu Azur
"Pour les majeurs, nous faisons le choix de poursuites rapides par le biais de comparutions immédiates pour une réponse ferme. Pour ces trois majeurs, nous avons eu deux mandats de dépôts, des affaires qui sont en cours de jugement, et une condamnation à de la prison ferme avec exécution à domicile au moyen d’un bracelet électronique."
Contacté, le procureur de la république de Toulon, Samuel Filniez, confirme quant à lui - ce mardi 7 novembre en début de soirée - avoir "enregistré 5 actes sur l'arrondissement judiciaire de Toulon". Soit 5 fois moins que son homologue niçois pour la même période.
"Pour le ressort de Draguignan, nous comptons 5 signalements portés à la connaissance du parquet de nature antisémite (tags, propos tenus en classe etc.)" a réagi Pierre Couttenier, le procureur de la République de Draguignan.
Le préfet des Alpes-Maritimes, Hugues Moutouh, a évoqué 45 faits de nature antisémite et 28 interpellés. Ceux-ci concernent des éléments d'apologie du terrorisme, injures et menaces).
"Nike les sionistes free Palestine"
À Antibes-Juan-les-Pins, selon des informations corroborées par deux sources, une inscription a été découverte ce lundi 6 novembre, puis constatée par les forces de l'ordre : "Nike les sionistes free Palestine".
"On n'en avait pas pour l'instant" souligne au téléphone un policier contacté ce 7 novembre. Cette inscription a été découverte sur un mur, mais "personne de la communauté juive [ne vit] dans cet immeuble".
David Zakine ne cède pas à la peur. Depuis des années, il préside la communauté juive antiboise et affirme qu'elle n'a jamais connu d'acte antisémite. Pour autant, "on est vigilant, on fait ce qu'il faut au niveau sécurité, ce qui est de notre pouvoir", explique-t-il.
De nouvelles précautions ont été prises, parfois coûteuses sur le plan matériel : "On a été obligé de changer le portail, pour améliorer tout ce qui est mécanique au niveau de la synagogue et du centre culturel." Des travaux récents, effectués dans la foulée des évènements du 7 octobre.
On a une gestion très sérieuse avec la police d'Antibes, ça se passe bien.
David Zakine, président de la communauté juive d'Antibes-Juan-les-Pins
De quoi se protéger un peu plus d'une potentielle intrusion, et surtout pour rassurer. "Dans la communauté, c'est sûr que des gens ont peur. Ça s'est un petit peu vidé, de par ses fidèles. C'est une communauté qui est composée de personnes âgées, de jeunes couples... Ils sont un peu réticents à l'idée de venir à la synagogue." explique-t-il. "Pour le moment, aucun évènement n'est annulé" poursuit David Zakine alors que dans un mois, les fêtes d'Hanouka vont débuter.
"Nulle part en sécurité"
Toujours dans les Alpes-Maritimes, un autre fait récent a suscité l'inquiétude. Le 18 octobre dernier, un homme armé d'un couteau a menacé une autre personne, puis a été arrêté par la brigade anti-criminalité de Cannes. Une intervention saluée par le ministre Darmanin dans un tweet. La scène s'est déroulée en face de la gare, à deux pas du lycée Bristol, et de l'association cultuelle israélite.
Si le motif reste encore flou, aucun lien apparent n'est établi à cette heure avec la proximité de ce lieu de la communauté juive.
Pourtant, ce fait divers a eu un écho. De l'autre côté de la Méditerranée, Rebecca vit avec ses deux filles au sud de Tel Aviv. Cette Cannoise expatriée a entendu parler de cette interpellation. Son père vit dans la cité des festivals, et lui a arrêté de se rendre dans son lieu de culte.
Depuis le 7 octobre, les alertes aériennes se multiplient en Israël. Elles sont désormais quotidiennes au-dessus du pays. Rebecca, qui habitait à Cannes jusqu'en 2013, a fait son Alya. "J'ai déjà connu quatre guerres" se souvient-elle. "Deux heures après mon accouchement, alors que j'avais ma fille dans les bras, une alerte nous a obligées à descendre dans un abri anti-missile".
On est en sécurité nulle part, même si je rentre en France, tout peut arriver, même dans la rue.
Rebecca, ancienne habitante de Cannes expatriée en Israël
Pourtant, elle n'envisage pas pour le moment de revenir dans cette ville azuréenne alors qu'elle et ses deux filles ont la nationalité française. Elle s'est déjà renseignée auprès du Quai d'Orsay, mais elle souhaite rester en Israël.
Une éventuelle offensive du Hezbollah sur le pays, depuis le Liban, pourrait changer la donne et la pousser à quitter momentanément le pays dans lequel elle vit depuis 10 ans.
Caddy abandonné et octogénaire paniqué
L'Alya, beaucoup y pensent de plus en plus. Cela fait désormais partie des discussions du quotidien nous dit-on. "On a peur, on se sentirait plus en sécurité en Israël qu'en France" lâche la tenancière d'un commerce ce mardi soir. Derrière son comptoir, elle encaisse les dernières courses d'un habitué. Une pizza et quelques bricoles. L'établissement qui propose des produits casher ne va pas tarder à fermer.
Lorsque l'on aborde la recrudescence des actes antisémites dans les Alpes-Maritimes, deux épisodes viennent tout de suite en tête des trois personnes dans ce commerce de l'une des grandes villes du littoral azuréen.
Dans la journée, un caddy à roulettes, avec à l'intérieur un gros sac-poubelle, a été laissé sur le trottoir, "Là, juste en face". "Vous savez, le type de Caddy qu'utilisent les personnes âgées, quelqu'un a dû l'oublier".
La rue est ponctuée par une école de confession israélite où les enfants de la commerçante sont scolarisés. "L'armée est arrivée" - par l'intérmédiaire des soldats de l'opération Sentinelle - et les forces de l'ordre étaient aussi présentes sur place. "Opération de déminage" nous affirment ces trois témoins. Tous saluent la présence quotidienne des militaires et de la police dans cette rue à sens unique qui est peu fréquentée. Quelques instants plus tard, une 3008 de la police passe calmement face à la devanture du magasin. Le décor est planté, celui d'un quotidien tourmenté.
Le client qui va bientôt déguster sa spécialité italienne, empaquetée et casher, relate ce qui est arrivé à une de ses connaissances, un octogénaire. "Hier il est allé à la gare, il a croisé trois jeunes qui lui ont crié 'Juden, Juden'" affirme-t-il. Le tout en ricanant. L'intervention d'un passant plus âgé a fait arrêter l'incident. L'octogénaire s'est alors réfugié dans un restaurant. "Je le connais, il en tremble encore" explique celui qui vient de régler ses courses.
À l'heure où le dîner approche, cette mère de famille confie que les mezouzas ont été retirées devant certains appartements ou maisons. Plus loin, un autre commerçant en passe de fermer explique ce sont "les kippas que l'on a enlevées".
Croix gammées à Hyères : la Ville porte plainte
"Deux plaintes ont été déposées immédiatement par la Ville d'Hyères suite à la découverte de croix gammées peintes à la bombe" confirme David Girard, le chef de cabinet du maire de la commune varoise d'Hyères, par mail ce mardi 7 novembre.
Parmi les lieux tagués, un bâtiment de l'école Paul Long (sur une climatisation), et la promenade du front de mer. Sept croix gammées ont été retrouvées au total, deux sur le sol, et cinq sur les bancs.
"Le maire souhaite que les auteurs de ces tags soient recherchés, arrêtés et condamnés ; et a témoigné son émotion et son total soutien à la communauté juive d'Hyères." affirme le chef de cabinet de l'édile Jean-Pierre Giran.
Monsieur le maire a également demandé une présence et une surveillance renforcée de la police municipale.
David Girard, chef de cabinet du maire d'Hyères
D'après nos informations, quelques jours après le 7 octobre et les attaques terroristes du Hamas, un membre de la communauté juive a retrouvé un tag similaire, une croix gammée dans son immeuble. L'affaire n'a pas été médiatisée, apprend-on ce mardi. Surtout par crainte du résident de se voir dans la presse.
Gilles Zeitoun, le directeur de la communauté juive de Toulon, lui, tempère. "Pour l’instant, il y a des tensions, on les sent", mais n'évoque "rien de catastrophique".
Dans la plus grande ville du Var, il salue les efforts des forces de l'ordre et de la préfecture. "Au niveau de ma communauté, à Toulon, la police fait son travail, la sécurité est assurée, les offices ont lieu, mais les gens sont moins nombreux".
Une situation qui tend à se banaliser, au plus grand dam des Azuréens de confession juive interrogés.