En ce deuxième jour de procès, ce mardi 6 septembre, le président de la cour d'assises spéciale a soulevé une question qui fait débat : les images de vidéosurveillance du soir de l'attentat du 14 juillet 2016 montrant le camion foncer délibérément dans la foule sur la Promenade des Anglais à Nice seront-elles diffusées lors du procès ?
Montrer l'horreur... Une question épineuse que Laurent Raviot, président de la cour d'assises spéciale en charge du procès de l'attentat de Nice, n'a pas encore tranché. Ce mardi 6 septembre, lors du deuxième jour de procès, il en a informé l'audience.
Toutes les images de vidéosurveillance sont actuellement sous scellés. Pour le moment, la cour n'a donc pas vu ces images. Toutefois, le président sait que certains avocats des parties civiles souhaitent demander à la cour de diffuser ces images lors du procès. C'est pourquoi le président a décidé d'en parler dès ce mardi matin.
Il a souhaité prendre la température sur le ressenti des avocats, mais aussi du ministère public quant à la pertinence de diffuser de telles images. Il semble avoir bien fait, car cette question a éveillé plusieurs réflexions dans la salle d'audience.
Tout ou rien
Laurent Raviot a expliqué n'avoir "aucune pudeur par rapport aux faits" mais voulait que les avocats qui feraient la demande de la diffusion se posent les questions suivantes :
Y a-t-il un intérêt pour la compréhension du déroulé de l'attentat ?
Y a-t-il un intérêt pour fixer les responsabilités éventuelles des accusés ?
Il tient notamment à éviter "le voyeurisme et le sensationnalisme".
Le président a tout de même précisé que si la cour décidait finalement de montrer la vidéosurveillance, ce sera forcément dans son intégralité, "pour ne pas faire une sélection subjective et arbitraire".
Il dit avoir conscience que cela peut aider à "un travail de réparation" pour les victimes, "mais il faut mesurer le prix à payer". En effet, certaines parties civiles ont pu assister à un visionnage d'une partie de ces images avec leur avocat et la juge d'instruction.
Ces victimes ont "remercié" la juge d'avoir permis ce visionnage qui les a aidées à avancer dans leur reconstruction.
S'adressant aux avocats des parties civiles, le président demande alors s'ils ont des commentaires à ce propos. Plusieurs avocats ont confirmé que leurs clients souhaitaient voir ces images diffusées lors du procès, car "c'est souvent salvateur", dit l'une des avocates.
Une vidéo qui pourrait permettre à plus de personnes d'être parties civiles
Pour une autre poignée d'avocats, cet avantage bénéfique pour les victimes est à ajouter à un autre point important concernant la recevabilité des parties civiles.
Lors du premier jour d'audience, ce lundi 5 septembre, les représentants du ministère public ont indiqué que, selon eux, les personnes qui sont arrivées après la mort du terroriste sur la Promenade des Anglais ne devraient pas être reçues comme parties civiles.
Ces personnes, des primo-intervenants qui sont les premières à avoir vu les victimes sur l'ensemble de la Promenade, ont assisté à des scènes choquantes et traumatisantes. Si les images étaient diffusées lors du procès, alors le ministère public pourrait éventuellement revoir sa réquisition concernant la non-recevabilité de ces primo-intervenants. Cet avocat souligne que vu les grandes précautions prises pour savoir si ces images seront diffusées ou non sur un écran, cela laisse seulement imaginer ce qu'ont pu ressentir les personnes qui ont vu cela en vrai.
Maître Virginie Le Roy, avocate de l'association Promenade des Anges, insiste alors sur ce point :
C'est quelque chose qui nous a été demandé de nombreuses reprises pour la reconstitution de mémoire et pour pouvoir confronter la cour, le parquet et les accusés. Le parquet a pris la précaution ou l’avance pour s’exprimer sur la recevabilité des parties civiles mais ça ne peut pas être décorrélé de la réalité de cet attentat, de l’horreur, la stupeur, du sentiment extrêmement terrifiant. Je ne vois pas comment le parquet et la cour pourraient trancher sur cette problématique de recevabilité sans avoir vu ces images.
Maître Virginie Le Roy, avocate.
Pour Maître Samia Maktouf, qui défend plusieurs parties civiles, ce visionnage est important "pour donner une réponse aux avocats généraux sur l’ampleur et l’étendue de ce drame", même si "le prix est très cher".
"Il ne faut pas donner le sentiment dans un grand procès comme celui là qu’une censure est intervenue", ajoute un autre avocat en s'adressant au président.
Peur d'une faille de sécurité
Ce dernier répond alors que même si le procès est enregistré pour les archives judiciaires nationales, il pourrait se permettre de couper le moment où les images seraient éventuellement diffusées "pour ne pas les voir sur les réseaux sociaux dans 20, 30 ou 40 ans".
Maître Philippe Soussi, également avocat de parties civiles, a souhaité rappeler que lors du procès contre Mohammed Merah, la diffusion des images avait également fait débat : certaines parties civiles étaient "violemment opposées" à leur diffusion.
Mais l'avocat explique qu'il y avait une différence importante avec les vidéos des tueries perpétrées par Mohammed Merah : il avait filmé lui-même ses crimes avec une caméra Go-Pro pour que celles-ci soient regardées. Ici, seules des images de vidéosurveillance sont concernées.
Maître Soussi estime qu'il n'y a "pas de bonne solution" selon lui mais se dit "favorable" à ce visionnage.
Alors que de nombreux avocats continuent à signifier l'importance selon eux de diffuser ces images, l'un d'entre eux prend la parole et indique que parmi ses clients, certains n'ont pas d'opinion et d'autres sont "hostiles à la diffusion".
La question ne fait donc pas consensus au sein des parties civiles. D'après ses clients, "la justice devait avoir les moyens de se faire, entre les photos et les témoignages". Il ajoute : "ils trouveraient indécent de revoir les corps de leurs proches projetés sur écran de cette façon".
Deux autres avocates s'avancent pour soutenir ce point de vue : elles expliquent craindre qu'avec la retransmission du procès en direct à l'Acropolis à Nice et dans des salles annexes au palais du justice de Paris, la sécurité ne soit pas garantie et qu'une captation soit faite.
La question se transforme alors en débat entre les avocats des parties civiles qui s'interpellent et se contredisent. Le président les reprend : ce sera à lui et la cour de prendre cette décision, hors de question que la salle d'audience devienne une "foire d'empoigne".
Laurent Raviot donne alors la parole au ministère public qui ne pas avoir d'observation à ce propos et laissera la cour apprécier sur la question.
Quant aux avocats de la défense, l'une d'entre eux, Maître Adélaïde Jacquin, avocate de Ramzi Arefa, prend la parole pour indiquer qu'après une consultation de ses collègues, ils en sont arrivés à la conclusion que selon eux, il ne serait pas nécessaire de montrer ces images.
Elle explique que trois des accusés sont poursuivis pour association de malfaiteurs terroriste et non pour complicité. "On considère que ce n’est pas nécessaire à l’appréciation de la responsabilité des accusés", déclare Adélaïde Jacquin.
La cour n'a pas indiqué à quel moment elle statuerait sur cette décision.