Procès de l'attentat de Nice du 14 juillet 2016 : un premier jour d’audience sous tension

Le 14 juillet 2016, 86 personnes ont été tuées sur la Promenade des Anglais, fauchées par un camion de 19 tonnes. Six ans plus tard, ce lundi 5 septembre, le procès de l’attentat de Nice s’ouvre à Paris. Récit d’une première journée d’audience.

L’agitation se fait déjà ressentir depuis le début de la matinée aux abords du palais de justice, en plein centre de l’île de la Cité à Paris. Le secteur est contrôlé à plusieurs endroits par les forces de l’ordre, les fourgons de police défilent, les parties civiles s’installent dans la file d’attente pour prendre place dans la salle d’audience.

Sur la place Dauphine, située derrière le Palais de justice, de nombreux journalistes sont déjà présents pour parler de cet événement judiciaire hors norme.

L’esprit de camaraderie, « de famille » certains disent, est bien visible entre les parties civiles qui se rejoignent à Paris ce lundi 5 septembre. Mais elles sont bien peu nombreuses. Le mécontentement se lit sur le visage d’Alain Dariste, co-président de l’association de victimes de l’attentat Promenade des Anges - 14 juillet 2016, dès son arrivée sur l’île de la Cité.

« On ne comprend pas comment le ministère n’a pas pu faire en sorte qu’on puisse venir nombreux ici », explique-t-il.

Selon lui, seuls quatre membres ont pu faire le déplacement. L’association compte plus de 400 membres.

Je ressens une colère énorme. Pour moi, cela est le signe d’un mépris total. Je ne sais pas s’ils croient qu’à Nice on est tous milliardaires mais les victimes que je connais n’ont pas les moyens de venir. 

Alain Dariste

Stéphane Erbs, lui aussi coprésident de l’association de victimes, semble moins amer en ce lundi matin. « Ça fait 6 ans qu’on attend donc forcément il y a énormément d’impatience, mêlée de stress », confie-t-il deux heures avant le début du procès. Il regrette également de ne pas avoir à ses côtés davantage de membres de l’association : « C’est dommage parce qu’à mon sens l’ouverture du procès, c’est quelque chose qu’il faut vivre. Il y a des jalons dans le chemin du deuil et ça, ça en fait partie, évidemment. »

Le début d'un procès historique

Une heure avant l’heure d’ouverture du procès, l’effervescence résonne dans la salle des pas perdus. Des dizaines d’avocats attendent en robe pour faire leur émargement et les caméras des journalistes parquées derrière une barrière sont braquées sur l’entrée de la salle d’audience.

C’est avec près d’une trentaine de minutes de retard que le président de la cour d’appel de Paris, Laurent Raviot, s’installe sur le siège qui lui est dédié dans la salle Grand Procès du Palais de Justice de Paris. Quelques minutes de retard qui pèsent peu face à l’ampleur de ce procès qui doit durer trois mois et demi. 

Sur les premiers bancs, on reconnaît quelques visages de victimes qui ont déjà témoigné à plusieurs reprises dans les médias. Certains ont la mine grave, d’autres se lancent des regards de soutien, au moment où démarre enfin le procès et que le président demande à la salle d’audience de se lever.

Les premières personnes à prendre la parole sont les interprètes qui doivent prêter serment. Une tâche qu’ils ont l’habitude de faire, tout comme le président. Pourtant, l’importance capitale de ce procès semble peser sur les premières minutes de l'audience. Certains bégayent, le président demande les informations de manière brouillonne…

C’est encore "l’échauffement" dans cette salle où la tension est palpable. 

C’est ensuite le moment pour les accusés de se présenter. Le président rappelle que l’un des huit accusés est absent parce qu’il est « a priori détenu en Tunisie ».

Brahim Tritou, né en 1985 en Tunisie, a été mis en examen le 16 juillet 2016 puis placé sous contrôle judiciaire. Un mandat d’arrêt a été déposé contre lui en mars 2021. Le président Laurent Raviot indique qu’il a informé les autorités judiciaires tunisiennes des dates d’audience, même s'il n’en avait nullement l’obligation légale.

"C’est quoi le mieux ?"

L’audience retient son souffle quand vient le moment où le premier accusé présent est appelé à parler. Ils doivent tous décliner leur identité, leur adresse et confirmer qu’ils ont bien compris leur droit au silence. Le président leur précise qu’ils auront le droit pendant le procès de répondre aux questions ou bien de garder le silence et peuvent faire l’un ou l’autre comme ils le souhaitent durant toute la durée du procès. 

Par ordre alphabétique, c’est Ramzi Arefa qui est appelé en premier. Depuis le box des accusés, où il est assis, car il est en détention provisoire depuis juillet 2021. L’homme né en 1994 répond timidement au président, les yeux baissés. Au moment où il peut se rasseoir, il s’accoude sur le côté de sa chaise comme soulagé que ce moment soit enfin passé.

Vient ensuite le tour de Maksim Celaj, qui comparait libre car il est sous contrôle judiciaire. En tenue sportive, le jeune homme à la barbe bien taillée s’avance jusqu’au pupitre placé devant la cour d’un pas nonchalant, en voutant son dos. Accompagné d’une interprète qui fait les traductions en albanais, Maksim Celaj a le regard dans le vide lorsqu’il répond aux questions du président. 

Chokri Chafroud se tient droit dans le box des accusés lorsque son nom est appelé. Chemise à carreaux gris, noir et blanc boutonnée jusqu’en haut, masque chirurgical qui dépasse de la poche, Chokri Chafroud semble plus sûr de lui que les autres accusés.

Lorsque le président lui parle de son droit au silence, l’accusé répond qu’il souhaite répondre à toutes les questions qui lui seront posées.

La question du droit au silence, une formalité parmi d’autres que le président doit répéter à chacun, semble déstabiliser Endri Elezi. Lui aussi venu en tenue décontractée, jogging gris et t-shirt blanc, répond, « C’est quoi le mieux ? » au président, à cette question qui ne demande pourtant pas de réponse. Celui-ci lui intime d’en discuter avec son avocat. Premier instant où la tension semble retomber dans la salle. 

Mais la crispation revient lorsque le nom de Mohamed Ghraieb est appelé. Cet homme qui est accusé d’association de malfaiteurs terroriste comparait libre. Les lunettes de soleil qui pendent au col de sa chemise lui donnent des airs de vacanciers. Un décalage avec l’ambiance solennelle de la salle d’audience. Lui aussi assure qu’il veut répondre aux questions de la cour.

Les deux derniers à se présenter sont Artan Henaj, depuis le box des accusés car il est détenu pour une autre affaire, et sa compagne au moment des faits, Enkeledja Zace.

Qui sont les parties civiles ?

Le plus éprouvant de la journée est terminé, la tension se dissipe dans les rangs de la salle d’audience. Les représentants du ministère public ont pris le temps d’expliquer lors d’un propos liminaire les conditions de recevabilité des parties civiles, une question épineuse de ce dossier judiciaire.

La réponse est évidente pour les victimes directes qui se trouvaient dans le périmètre de la trajectoire du camion, qu’elles aient été blessées ou choquées sur cette parcelle de la Promenade des Anglais (entre Lenval et le Palais de la Méditerranée).

Toutefois, la question de la recevabilité des parties civiles se posera pour les personnes « intervenues ou arrivées sur les lieux après la neutralisation de l’auteur » de l’attentat, ou encore pour les témoins de scènes traumatisantes à la vue des corps sur la Promenade.

Selon le ministère public, ces personnes « n’ayant pas été directement et immédiatement exposé au risque d’attentat, elles ne peuvent être reçues comme parties civiles », tout comme les personnes ne se trouvant pas sur la Promenade des Anglais ce soir-là, même si elles ont été blessées lors d’un mouvement de foule par exemple. 

Le ministère public confirme qu’il y aura aussi une étude en cas par cas pour certaines personnes qui souhaitaient se constituer partie civile. Le statut de nombreuses de ces personnes sera décidé après le procès.

Les parties civiles et les avocats vont et viennent dans la salle d’audience en attendant que les noms de toutes les parties civiles soient cités. L’attention n’est pas exemplaire, car c’est un moment protocolaire, nécessaire pour que la suite du procès se déroule normalement. 

Mais ce n’est pas un sentiment d'ennui que ressentent les victimes en sortant. Certaines se disent plutôt choquées de devoir passer le procès si proche des accusés qui comparaissent libres, qui peuvent eux aussi aller et venir dans le palais de justice.

Un sentiment auquel les victimes vont devoir s’habituer au fil des mois à venir.

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