Pendant trois jours, du mercredi 2 au vendredi 4 novembre, le cas de Mohamed Ghraieb est scruté par la cour d'assises spéciale au procès de l'attentat de Nice. Cet homme de 46 ans, qui était ami avec celui qui a commis l'attentat du 14 juillet 2016, est accusé d'association de malfaiteurs terroriste.
Après cinq semaines consacrées aux témoignages des victimes, puis une semaine sur le profil du terroriste du 14 juillet 2016, un nouveau chapitre s'ouvre au procès de l'attentat de Nice. Jusqu'au mardi 22 novembre, la cour d'assises spéciale s'intéresse à chacun des huit accusés. A partir de ce mercredi 2 novembre et jusqu'au vendredi 4, c'est sur le cas de Mohamed Ghraieb que les magistrats se penchent.
Agé de 46 ans, Mohamed Ghraieb est un franco-tunisien arrivé en France "entre 2003 et 2005", a-t-il déclaré ce mercredi 2 novembre. A Nice depuis 2006, au moment de l'attentat, il travaillait en tant que réceptionniste et veilleur de nuit dans un hôtel de l'avenue Jean-Médecin.
Des réponses floues
Durant son interrogatoire de personnalité ce mercredi dans la matinée, l'homme est souvent flou sur des questions qui peuvent pourtant paraitre sans équivoque : son arrivée en France et sa rencontre avec sa future épouse, par exemple. Un point qu'a tenu a soulevé son avocat, William Bourdon, qui lui demande pourquoi "sur des questions sans enjeu, sans impact, vous semblez un peu tâtonner". "Je ne sais pas", répond l'intéressé. A se demander avec quelle précision il répondra lors de l'interrogatoire sur les faits qui lui sont reprochés, prévu pour vendredi 4 novembre...
Celui qui clame son innocence est notamment soupçonné d'avoir aidé Mohamed Lahouaiej-Bouhlel dans la recherche de la location du camion car il a reçu plusieurs sms de la part du terroriste faisant mention d'agence de location ou du lieu où le terroriste a loué le camion. Toutefois, l'enquêteur de la SDAT (sous-direction anti-terroriste) a souligné qu'aucune communication à propos de la location du camion n'avait été établie entre Mohamed Ghraieb, Ramzi Arefa et Chokri Chafroud, les deux autres accusés soupçonnés pour le même fait, car eux aussi destinataires de sms à ce propos de la part du terroriste.
Quelle pratique de la religion musulmane ?
Il lui est aussi reproché d'avoir eu conscience que son ami s'était radicalisé. Mohamed Lahouaiej-Bouhlel lui avait confié que son abonnement internet avait été suspendu car il regardait "trop fréquemment des vidéos d'exécutions par les islamistes". De plus, dans ses auditions datant de juillet 2016, Mohamed Ghraieb avait parlé de la barbe naissante de Mohamed Lahouaiej-Bouhlel, sur laquelle il l'avait questionnée. Celui-ci lui avait répondu qu'il se laissait pousser la barbe pour des raisons religieuses.
Mohamed Ghraieb est lui-même vu comme proche de la radicalisation par certains avocats des parties civiles. Lors de son interrogatoire, Mohamed Ghraieb s'est décrit comme "pas pratiquant", bien qu'il fasse le ramadan, car cela lui "rappelle l’ambiance familiale" en Tunisie. Sa sœur et sa mère, venues témoigner à la barre en fin de matinée, abondent en son sens.
Issu d'une famille de "musulmans modérés", d'après sa mère, il ne s'est jamais particulièrement intéressé à la religion. Pour sa sœur, "c’est impensable" que son frère ait basculé dans la radicalisation. Elle rappelle d'ailleurs que depuis six ans, elle n'a jamais douté de son innocence dans toute cette affaire.
L'enquêteur a rappelé que lors des fouilles dans le portable de Mohamed Lahouaiej-Bouhlel, deux sms, rédigés en langue arabe, datant du 10 janvier 2015 en provenance du téléphone de Mohamed Ghraieb avaient été retrouvés : "Je ne suis pas Charlie. Qu'ils aillent se faire enc*ler et que Dieu leur ajoute plus que ça. Va faire la prière. (...) Ah oui camarade c'est des diables ces gens-là qui insultent notre cher prophète, et tu as vu comment dieu leur a envoyé des soldats d'Allah pour les finir comme des m!"
Lors de son audition en 2016, Mohamed Ghraieb avait répondu que c'était peut-être quelqu'un d'autre qui avait rédigé ces messages ou bien qu'il avait trop bu.
Par ailleurs, des recherches sur le djihadisme ont été retrouvées dans son ordinateur. Là aussi, il dit que cela peut venir de quelqu'un d'autre, notamment le propriétaire de l'ordinateur avant lui.
Des vidéos attendues
En fin de journée, le président a décidé de diffuser deux vidéos mentionnées dans le dossier de Mohamed Ghraieb. Son intention est peut-être de dissiper un doute : ces vidéos montrent-elles l'accusé satisfait de l'acte qui a eu lieu le 14 juillet ?
Ces deux vidéos ont été filmées par l'accusé le 15 juillet 2016 au matin, quelques heures après l'attentat. Il marche sur la Promenade des Anglais, filmant tantôt son visage, tantôt la Promenade. Les enquêteurs, dans leur procès verbaux, parlaient d'un "air réjoui", d'un "léger rictus", visible sur son visage. Sur toutes les fois où l'on voit son visage sur les vidéos, seule sa dernière apparition, alors qu'il a quitté la Promenade des Anglais pour la rue Halévy montre une expression qui n'est pas neutre, avant de filmer la Promenade une dernière fois en arrière-plan. Sourire évident et bouleversant pour certains, rien de plus qu'un visage sans expression particulière pour d'autres, le débat demeure à la sortie de la salle d'audience.
Jeudi 3 novembre, son épouse vient témoigner à la barre et une experte de l'enquête de personnalité complètera le portrait de l'accusé avant que la cour et les avocats ne s'attaquent au fond, le vendredi.