Les détails de l'enquête judiciaire concernant l'attentat du 14 juillet 2016 à Nice ont été exposés lors du troisième jour du procès devant la cour d'assises spéciale. Mohamed Ghraieb apparait comme un ami proche du terroriste Mohamed Lahouaiej-Bouhlel.
Au cours du témoignage d'une représentante de la sous-direction anti-terroriste, les liens entre les différents accusés et le terroriste ont pu être détaillés.
Le procès de l'attentat de Nice, qui se déroule du 5 septembre au 16 décembre à Paris, devra notamment faire la lumière sur l'implication de Mohamed Ghraieb, un des huit accusés, dans l'attaque du 14 juillet, accusé d'association de malfaiteurs terroriste. Celui qui connaissait le terroriste depuis plusieurs années et qui le fréquentait très régulièrement savait-il ce que préparait le terroriste Mohamed Lahouaiej-Bouhlel ?
Tout comme Chokri Chafroud, Mohamed Ghraieb a été rapidement identifié comme un proche du terroriste.
Location et vente de véhicules
Dans le téléphone trouvé dans le camion, les policiers constatent qu'une trentaine de messages échangés entre Mohamed Lahouaiej-Bouhlel et Mohamed Ghraieb sur les dix derniers jours avant l'attaque. Si ceux-là étaient pour la plupart anodins selon les enquêteurs, plusieurs échanges ont retenu leur attention. Un SMS mentionnant "Ada" est à mettre en relation avec deux autres sms envoyés à Chokri Chafroud et Ramzi Arefa mentionnant cette chaîne d'agences de location de véhicules. Un autre sms envoyé le 11 juillet 2016 par le terroriste indique qu'il se trouve à Saint-Laurent-du-Var. Or, c'est ce jour-là que le camion a été loué dans cette ville.
A partir du 11 juillet, les échanges entre les deux hommes concernent la vente d'une voiture par Mohamed Lahouaiej-Bouhlel à Mohamed Ghraieb. Il devait lui payer 3000 euros en deux fois. Le 14 juillet au matin puis le lendemain de l'attentat, dans la matinée également, Mohamed Ghraieb envoie deux messages à Mohamed Lahouaiej-Bouhlel pour lui demander la deuxième clé du véhicule.
Une déclaration de cession de ce véhicule a été trouvée par la suite au domicile du terroriste.
Des photos à bord du camion
L'exploitation de ce téléphone a également permis de trouver deux photos prises le 11 juillet en début d'après-midi montrant Mohamed Lahouaiej-Bouhlel au volant du camion utilisé pour l'attentat, en compagnie de Mohamed Ghraieb. Sur l'une des deux photos, ils font un doigt d'honneur.
Un autre téléphone trouvé à ce domicile a montré d'autres échanges et des photographies. L'une d'entre elles montre Mohamed Ghraieb assis côté passager du camion le 11 juillet 2016. Le camion se trouvait alors dans le quartier de l'Ariane à Nice.
Pendant ses interrogatoires, Mohamed Ghraieb a expliqué aux enquêteurs que ce jour-là, il conduisait de manière très agressive. "On aurait dit qu'il cherchait à faire peur aux gens", dit l'accusé.
Lorsque les enquêteurs ont perquisitionné le domicile du terroriste, d'autres éléments ont permis de confirmer qu'il existaient un lien entre ces deux hommes. Sur une feuille, le nom, l'adresse et le numéro de téléphone de Mohamed Ghraieb figurait avec les mots "hôtel, 30 mai". Sur cette feuille figurait également d'autres noms, que les enquêteurs ont rapprochés de ceux de Ramzi Arefa et Chokri Chafroud.
Deux vidéos au lendemain de l'attentat
Un des téléphones de Mohamed Ghraieb a montré que, depuis l'été 2015, il y avait eu plus de 1200 communications avec le téléphone du terroriste. Par ailleurs, plus d'une centaine de communications ont été établies entre ce téléphone appartenant à Ghraieb et celui de Chokri Chafroud entre avril et mai 2016.
C'est dans un autre téléphone, de la marque Nokia, lui aussi trouvé au domicile de Mohamed Ghraieb, que deux sms ont retenu à nouveau l'attention des enquêteurs : "14.7.16" et "15.8" (faisant penser aux dates des 14 juillet et du 15 août) reçus par Mohamed Ghraieb les 6 et 7 juillet de la part d'un autre homme qui avait été mis en examen au début de l'instruction. Cet homme dira d'ailleurs aux enquêteurs que ce n'est pas lui mais Mohamed Lahouaiej-Bouhlel qui a écrit ces sms.
Ces SMS font penser à l'enquête qu'un deuxième acte terroriste était prévu pour le 15 août.
Dans ce téléphone, on trouve également deux vidéos datant du 15 juillet 2016 à 7h30 du matin montrant Mohamed Ghraieb se filmant et souriant à proximité de la Promenade des Anglais. Lorsqu'il est confronté à ces vidéos lors de l'enquête, Mohamed Ghraieb conteste le fait qu'il soit en train de sourire dans ces vidéos.
Amis depuis l'enfance
Lors des témoignages, l'épouse de Mohamed Ghraieb a indiqué que les deux hommes se connaissaient depuis l'enfance, en Tunisie. Après s'être perdus de vue, ils se sont retrouvés à Nice par hasard en 2009. Elle a également indiqué que Mohamed Lahouaiej-Bouhlel était venu trois ou quatre fois chez eux.
Elle parle notamment d'une visite deux jours avant l'attentat du 14 juillet 2016, au cours de laquelle elle aurait remarqué un changement d'attitude car Mohamed Lahouaiej-Bouhlel avait refusé de lui dire bonjour. Une chose qui a été contredite par Mohamed Ghraieb quand il a pris la parole au deuxième jour du procès à Paris.
Il a indiqué qu'il n'était jamais allé chez le terroriste et que celui-ci n'était jamais venu chez lui, donnant notamment comme justification qu'il avait deux chiens et que Mohamed Lahouaiej-Bouhlel n'aimait pas les chiens.
Je ne suis jamais rentré chez lui. Il n'est jamais rentré chez moi. J'avais deux chiens. Il aimait pas les chiens. Des rencontres vite fait, il n’était pas éduqué. C’était pas le genre de personne qui va devenir mon ami... Des échanges de services, c’est tout. Ces choses-là, on ne les voit pas venir. Je n’a rien vu venir. J’aime les gens, je suis là pour répondre aux questions. Je veux prouver mon innocence, je veux que les parties civiles fassent la part des choses, c’est ma vie, mon avenir qui est en jeu. Lui, il a fait des choses que je ne savais pas, je ne savais rien. C'était un salopard, je n’ai rien vu venir.
Mohamed Ghraieb.
Mohamed Ghraieb s'est présenté de lui-même à la police le 15 juillet 2016 vers 17 heures. D'abord entendu comme témoin donc, il a finalement été mis en examen le 21 juillet 2016 notamment pour association de malfaiteurs terroriste. Il a toujours proclamé son innocence. Il a admis une relation de camaraderie depuis qu'ils se connaissaient en 2003 mais qu'ils se parlaient seulement pour des échanges anodins. Mohamed Ghraieb a tout de même dit qu'il avait remarqué chez Mohamed Lahouaiej-Bouhlel un changement de comportement une dizaine de jours avant le passage à l'acte, en voyant notamment qu'il s'était fait pousser la barbe et qu'il avait un discours favorable à l'Etat islamique.
Lorsqu'il a pris la parole à l'issue du deuxième jour de procès, il s'est dit avoir été "piégé" par Mohamed Lahouaiej-Bouhlel. "Cette ordure, ce voyou, il a cassé ma vie. Je lui pardonnerai jamais", avait-il dit à la barre. Il avait conclu par ces mots : "Je ne savais rien, c’était un salopard, je n’a rien vu venir."
Mohamed Ghraieb comparait libre lors de ce procès. Accusé d'association de malfaiteurs terroriste, il encourt 20 ans de prison.