Procès de l'attentat de Nice : suite aux prélèvements d’organes sur leurs enfants, des parents toujours sans réponse

Ce mercredi 14 septembre, l'homme qui a témoigné à la barre était très attendu par certaines parties civiles du procès de l'attentat de Nice. Il s'agissait du médecin légiste Gérald Quatrehomme qui a supervisé les autopsies réalisées sur les victimes après l'attaque. Il est resté froid et campé sur ses réponses déjà préparées.

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Ce jour de procès comptait particulièrement pour certaines parties civiles. C'est le cas des parents d'Amie, une fille de 12 ans décédée le soir du 14 juillet 2016 lors de l'attaque terroriste sur la Promenade des Anglais, et de ceux de Yanis, qui a aussi perdu la vie ce soir-là alors qu'il avait 4 ans. Depuis qu'ils ont été mis au courant que leurs enfants avaient subi une autopsie après leur mort et que de nombreux organes avaient été prélevés, ils se posent des questions. Pourquoi avoir procédé à une telle intervention sans en informer les familles au préalable ? Pourquoi n'ont-ils pas pu enterrer l'intégralité du corps de leurs enfants ?

Un homme pouvait leur apporter des réponses. Gérald Quatrehomme, aujourd'hui retraité, était le médecin légiste en charge de l'institut médico-légal à la suite de l'attentat de Nice. C'est lui qui a établi le protocole à suivre pour les corps des victimes, en respectant les demandes du procureur. Ce mercredi, Gérald Quatrehomme était appelé à témoigner à la barre devant la cour d'assises spéciale en charge du procès de l'attentat de Nice.

Une situation inédite à l'institut médico-légal de Nice

Dans un premier temps, lors de sa déposition, Gérald Quatrehomme a expliqué le protocole qui avait été suivi. Il explique que 15 personnes ont subi une autopsie : 14 victimes et le terroriste, Mohamed Lahouaiej-Bouhlel. Les autopsies ont été demandées par le parquet dans trois cas : si les causes du décès n'étaient pas totalement claires, si une prise en charge médicale avait été effectuée avant la mort de la victime et s'il y avait une suspicion de lésion par balle. La majorité des 86 victimes n'ont pas subi d'autopsie car elles ne rentraient pas dans les trois critères nécessitant cette intervention. 

A la suite de l'attentat, le nombre de personnes travaillant à l'institut médico-légal de Nice est passé d'une dizaine à une centaine de personnes. Des médecins légistes sont venus de toute la France pour renforcer les équipes. Des secrétaires qui n'avaient jamais vu de personnes décédées ont été appelées pour retranscrire les rapports. Des étudiants en médecine se sont également portés volontaires pour certaines tâches "ingrates", selon les termes de l'expert, comme le nettoyage des salles, mais aussi pour l'organisation du planning de recueil des familles auprès des victimes décédées.

Toute cette mobilisation avait pour but de respecter un délai raisonnable pour que les proches des victimes récupèrent le plus vite possible les corps des défunts. "En quatre jours et demi", l'identification formelle de toutes les victimes a pu être réalisée. 

Gérald Quatrehomme a indiqué que l'une des plus grandes difficultés lors de cette mission particulière avait été d'organiser le recueil des familles auprès de leur proches. C'était à la fois difficile en terme de temps, vu le nombre de victimes, mais aussi pour certaines, il était difficile de présenter le corps aux familles car il avait été gravement abîmé. Un travail de restauration a été fait pour les mains et le visage (les seules parties présentées dans ces moments) mais certaines victimes, trop abîmées n'ont pas pu être montrées aux proches.

Toutes les familles ont pu voir leur proche dans les mêmes conditions : derrière une vitre, avec un éclairage particulier et une certaine distance. Le médecin légiste a indiqué que dans un contexte de "pression énorme" et de "contraintes de temps énormes", il avait décidé d'adopter un protocole généralisé. C'est pour cela que toutes les victimes ont été présentées de la même manière à leur proche, sans distinction.

Dans la même logique, en théorie, tout le monde serait donc traité de la même manière si une autopsie devait être réalisée. C'est sur ce point que Maître Virginie Le Roy lui a posé de nombreuses questions. Elle représente notamment l'association Promenade des Anges et Stéphane Erbs, co-président de l'association, mais aussi les parents de Yanis.

Des autopsies qui auraient pu être évitées ? 

"Hier, la maman d'Amie m'a dit "nous sommes de ceux qui pensent que même 6 ans après on peut réparer les choses" et votre audition doit permettre ça", dit Virginie Le Roy au médecin légiste. Mais les réponses évasives et peu détaillées de l'expert n'apportent visiblement pas satisfaction à l'avocate qui l'interroge pendant plus d'une heure. 

Elle souligne la difficulté pour des parents à comprendre pourquoi il a été décidé de pratiquer une autopsie sur leurs enfants alors que les causes de leur mort semblaient pourtant claires, comme c'est le cas de Yanis. L'expert lui répond que les examens externes et le scanner ne pouvaient pas assurer une cause précise de la mort. 

"Qu’est-ce que l’autopsie a apporté de plus ? Quel est l’intérêt pour les nécessités de l’enquête d’avoir ce niveau-là de précision ?", lui demande l'avocate. De marbre, il reste sur sa réponse initiale : "La cause de la mort n’était pas formellement établie".

Virginie Le Roy lui demande également les raisons pour lesquelles deux familles ont été informées "en amont" de l'autopsie qui allait être pratiquée sur leur enfant et ont pu s'y opposer dès le 15 juillet 2016. Ainsi, celles-ci n'ont pas été pratiquées. L'avocate demande pourquoi toutes les familles n'ont pas eu l'opportunité de pouvoir s'opposer aux autopsies. Mais l'expert semble botter en touche. Il n'était pas au courant que deux familles avaient été prévenues et avaient pu refuser. Il explique que la médecine légale ne communique jamais dans le cadre d'une enquête car toutes les informations sont révélées par le procureur. L'avocate lui répond : "C’est quand même dommage, et je pèse mes mots, d’imaginer aujourd’hui que par une simple lettre, ils auraient pu s’opposer à l’autopsie de leur enfant."

L'homme se réfugie encore une fois derrière le protocole : "C’est au parquet de donner les informations.  Nous ne pouvons pas communiquer dans le cadre d’une enquête, ni avec les familles ni avec personne."

Concernant Amie, l'autopsie a été justifiée selon les critères du médecin légiste car elle avait reçu des soins à l'hôpital avant de décéder. Mais ce qui a rendu cette pratique difficile à comprendre pour la famille, c'est que le corps de leur fille avait été abîmé par l'autopsie et non par le camion. Lorsqu'ils ont pu se recueillir auprès d'Amie, ses parents ont remarqué des cicatrices qui n'existaient pas quand elle a été admise à l'hôpital juste après l'attentat. Ces cicatrices étaient telles que sa petite sœur n'a pas été autorisée à la voir pour lui dire au revoir, pour ne pas la choquer. L'expert, toujours stoïque, rejette la faute sur les pompes funèbres car ce recueillement s'est fait à l'athanée et non à l'institut médico-légal.

Le prélèvement d'organes questionne les familles

Lors de son témoignage, Gérald Quatrehomme a expliqué que des prélèvements d'organes avaient été réalisés sur l'ensemble des personnes ayant subi une autopsie, comme c'est demandé dans le protocole judiciaire dans le cas de dossier criminel. Si d'habitude ils ne prélèvent que des échantillons de certains organes, cette fois, Gérald Quatrehomme avait arbitré qu'il faudrait prélever l'intégralité des organes, ne sachant pas ce qu'allaient être les demandes de l'enquête par la suite.

Trois familles ont fait la demande de récupérer ces prélèvements. Une famille américaine l'a fait quelques jours après l'attentat. Une autre, celle de Yanis, a pu récupérer ces prélèvements en 2019. Cette demande est intervenue près de trois ans après l'attentat car les parents n'ont eu la connaissance de cette autopsie et de ces prélèvements qu'à ce moment-là. Enfin, la famille d'Amie n'a toujours pas pu les récupérer car elle demande qu'une analyse ADN soit réalisée sur ces prélèvements pour s'assurer qu'il s'agit bien d'Amie.

L'avocate rappelle un article du code pénal qui stipule que seuls doivent être effectués les prélèvements biologiques nécessaires au besoin de l’enquête et demande au médecin légiste si cela lui semble avoir été le cas. Elle souligne ce point car aucune demande n'a été faite par les enquêteurs concernant les organes des victimes. L'homme rétorque que faire une "analyse rétrospective" n'est pas la bonne façon de voir les choses.

Il était important pour Virginie Le Roy de faire savoir que le nombre d'organes prélevés lui semblait abusif. Elle a notamment énuméré tous les organes prélevés sur une petite fille de six ans, donnant ainsi l'impression, pour qui ne s'y connait pas forcément très bien anatomie humaine, qu'il s'agissait là de l'ensemble des organes du corps humain. Elle relève que les organes génitaux ont été prélevés sur cette petite fille. Le médecin légiste avait précédemment précisé que ces organes étaient relevés sur les femmes pour voir si elles étaient enceintes au moment de leur mort. L'avocate lui demande alors de justifier un tel prélèvement sur une petite fille de six ans. Le médecin se voit bien incapable de lui donner une raison convenable. Il explique encore une fois que c'est le "protocole généralisé" qui est en cause. Les médecins qui ont procédé aux autopsies auraient donc fait leur travail sans distinction entre une femme en âge d'être enceinte et une fille de 6 ans. Glaçant.

Avec cet exemple, l'avocate souligne alors un point qui travaille les parties civiles concernées : si ce protocole était réellement généralisé et que tous les organes devaient être prélevés sans distinction entre les victimes, pourquoi aucun dossier ne présente les mêmes prélèvements d'organes ? Là encore, le médecin légiste dit que "le protocole était censé être identique" mais ne donne pas réellement de réponse. Le médecin admet alors que le protocole n'a jamais été écrit mais il a simplement été donné à l'oral de manière peu précise.

Il admet à la barre ne pas avoir donné de consigne précise sur les prélèvements, vous vous rendez compte ?

Maître Virginie Le Roy, à France 3 Côte d'Azur

Des questions restent sans réponse 

Stéphane Erbs venait, lui aussi, chercher des réponses ce mercredi. Malheureusement, il ne les a pas vraiment eues. Lorsqu'il est allé se recueillir auprès de son épouse décédée lors de l'attentat, il a été informé qu'une autopsie avait été pratiquée. Il en a d'ailleurs constaté les stigmates sur le corps de son épouse. Toutefois, le nom de son épouse ne figure pas sur la liste des personnes ayant reçu une autopsie. Virginie Le Roy a donc demandé formellement à Gérald Quatrehomme si une autopsie avait été pratiquée. Vérifiant dans son dossier, il lui répond que non. Et Stéphane Erbs reste alors dans le flou.

A la sortie de l'audience, il se dit "très déçu". "On s'y attendait mais on sait ce qu'on a vu, on sait ce qui s'est passé donc ça crée de l'incompréhension", déclare-t-il. 

Virginie Le Roy elle aussi semble déçue à la sortie de la salle. "On a vu un médecin légiste qui reste campé sur ses positions et qui évite de répondre à certaines questions", détaille-t-elle. Elle martèle : "Je n'ai pas entendu lors de cette audience une seule justification de la nécessité du prélèvement des organes pour l'enquête". 

Désormais, elle attend la venue de François Molins, procureur de la République à l'époque, à qui elle demandera davantage de justification sur les raisons pour lesquelles les familles n'ont pas été prévenues des autopsies réalisées et des prélèvements d'organes.

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