Le déboulonnage d'une statue de Jeanne d'Arc à Nice ravive les tensions politiques. Cette figure historique du 15e siècle est devenue un mythe au fil des siècles : son image, constamment utilisée par divers groupes politiques et culturels, reflète parfois des aspirations très opposées.
Le déboulonnage annoncé de la statue de Jeanne d'Arc à Nice ravive les tensions politiques autour de cette figure historique élevée au rang de mythe. Personnage du XVe siècle, cette paysanne sauveuse de la France est devenue une sorte de miroir des tensions et des aspirations de chaque époque.
Historien et professeur à l'Université Côte d'Azur, Pierre-Yves Beaurepaire rappelle à France 3 que l’engouement autour de Jeanne d’Arc est un phénomène relativement récent. Celle qui est considérée comme la sauveuse de la France lors de l’invasion anglaise au 15e siècle, a refait surface avec force à la fin du 19e siècle. À cette époque, la "pucelle d’Orléans" est récupérée à la fois par l’Action française (mouvement nationaliste et royaliste d’extrême-droite) que par la gauche laïque.
Tout le monde y voit un symbole marquant de l’histoire. Mais tout le monde la tire vers son propre agenda.
Pierre-Yves Beaurepaire, historien et professeur à l'Université Côte d'Azurà France 3 Côte d'Azur
Alors que c’est par un tribunal ecclésiastique que Jeanne d’Arc sera condamnée au bûcher, l’Église se réappropriera finalement cette figure : "C’est l’évêque d’Orléans qui a beaucoup poussé, ce qui était très progressiste, précise Pierre-Yves Beaurepaire. Il y avait un conflit d’image : elle était revendiquée par tout le monde, mais il s’agissait là pour l’Église de ne pas la laisser aux mains des laïcards."
Jeanne d’Arc est finalement béatifiée en 1909 (et donc reconnue par l’autorité pontificale) puis canonisée en 1920 (et donc reconnue comme sainte), après de très longues hésitations de l’Église.
"À l’époque, elle est une figure populaire complètement atypique. C’est une femme, une paysanne, face à un clergé qui est dominé par les hommes… L’Église a toujours eu peur de ce genre de manifestations religieuses populaires qui pouvaient échapper à son contrôle."
Jeanne d’Arc, figure politique de tous bords ?
Outre-Manche, les Suffragettes ont transformé Jeanne d'Arc en un puissant symbole de leur lutte pour le droit de vote des femmes. Sa représentation symbolique et visuelle, celle d’une femme portant l’armure comme les hommes, leur permettait d’établir un parallèle entre leur combat politique et celui de l'héroïne médiévale.
Plus tard, l’avènement du Front national de Jean-Marie le Pen, parti créé en 1972, entraîne avec lui une redéfinition de l’image de Jeanne d’Arc. "Avec Jean-Marie Le Pen, elle est récupérée comme un symbole de son combat, plus politique que religieux, explique Pierre-Yves Beaurepaire. Il devient alors très difficile, notamment pour la gauche laïque, de la revendiquer de nouveau."
Philippe de Villiers, en acquérant un supposé anneau de Jeanne d’Arc, perpétue également ce jeu d’appropriation... de même que Christian Estrosi à Nice.
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Comme l’explique l’historien, "le mythe n’est pas une vérité figée, c’est une histoire qu’on raconte et qui en dit souvent beaucoup plus sur son époque". Et si Jeanne d’Arc n’était donc au fond que le reflet des tensions et des fractures de la société française ?
Une figure pop et populaire
Au-delà du débat politique, Jeanne d'Arc demeure une figure emblématique ancrée dans la culture populaire française et internationale. Son histoire a inspiré de nombreuses œuvres artistiques, du cinéma à la littérature en passant par la musique.
L’imaginaire de la chevalière, auquel elle est reliée, est souvent repris par les artistes, de la chanteuse francophone Angèle en couverture du magazine Photo en octobre 2024, à l’artiste américaine Chappell Roan qui lui a rendu hommage lors des MTV VMAs 2024.
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Lors des Jeux Olympiques de Paris, certains ont même vu en la cavalière à cheval une image de Jeanne d’Arc. À ce propos, l’historien Patrick Boucheron - coauteur de la cérémonie - s'exprimait dans un entretien.
"Ces symboles-là, ces emblèmes, comme le dit Thomas Jolly, il n’y a pas de raison de les laisser à l’extrême droite identitaire — et dans le cas de l’instrumentalisation de Jeanne d’Arc, on pourrait en parler longtemps. Mais il est vrai que si c’était cette extrême droite identitaire qui était au pouvoir à ce moment-là, c’était une autre histoire, que l’on envisageait avec effroi. Encore une fois, cela n’a pas eu lieu."
La figure de Jeanne d’Arc semble finalement être protéiforme. "On vit entourés de mythes, conclut Pierre-Yves Beaurepaire. Certains fonctionnent bien, d’autres s’endorment."
Et celui de Jeanne d’Arc n’est pas près de s’essouffler.