Dans "La Laverie", Siam Spencer raconte le quotidien du quartier des Moulins à Nice. Cette journaliste indépendante décide de publier ce livre-enquête après avoir vécu sept mois entre insalubrité, trafic de drogues et entraide.
"Le plus difficile à supporter, ce n'est pas ce qui se passe dehors, mais à l'intérieur", après avoir vécu sept mois dans le quartier des Moulins à Nice (Alpes-Maritimes), Siam Spencer a décidé de raconter.
Dans La Laverie (Éditions Robert Laffont), du nom du point de deal en bas de son immeuble, "le plus gros des Alpes-Maritimes" détaille-t-elle. Elle écrit son expérience, ses questionnements, mais aussi et surtout celles de ses voisins à travers une centaine d'entretiens.
Il y a le trafic de stupéfiants au pas de la porte, mais aussi "le bruit des rats", les infestations de nuisibles. Les enfants recouverts de piqûres de punaises de lit.
C'est plus insidieux, mais là, on ne se sent pas respecté en tant qu'humain. L'insécurité dehors, c'est quelque chose, mais quand on est dans son cocon, de ne pas pouvoir dormir parce qu'on est envahi par les cafards, c'est difficile et blessant.
Siam Spencer.
Cafards, matelas au sol et coups de feu
Si Siam débarque dans ce quartier sensible, c'est parce qu'elle n'a pas les moyens de se loger ailleurs. Elle est journaliste indépendante et ses fiches de paie ne lui permettent pas d'être fiable aux yeux du parc privé.
Alors, elle emménage en colocation aux Moulins. Au rez-de-chaussée. Elle est alors au chômage, avec 800 euros par mois, elle accède à ce logement qu'elle paie 260 euros pour sa chambre. Une première nuit paisible, mais le réveil est plus atypique "un coup de feu, puis un second… Vingt en tout" se souvient-elle.
Elle qui a grandi dans un milieu modeste près d'Avignon, puis qui a fait ses études à Paris, n'a jamais entendu un tel bruit. Lorsqu'elle se rend compte de ce qui vient de se passer, elle sort "pour voir s'il n'y a pas de blessé". C'est alors qu'elle croise un voisin, serein "il me dit de retourner à mes occupations, tout va bien". Une réaction à la fois rassurante, et qui l'étonne.
Puis, il y a ce jour où on débarque chez elle en forçant sa porte. Une habitude pour voir si les logements peuvent être squattés. Elle va alors voir énervée les dealers en bas de chez elle, l'un d'eux vient la retrouver un peu plus tard avec une promesse : elle ne sera plus embêtée.
Siam prend aussi l'habitude de mettre son matelas par terre pour ne pas être touchable en cas de balle perdue. L'histoire de Socayna, à Marseille, résonne en elle. Cette jeune femme a été victime d'un tir de kalachnikov qui ne lui était pas destiné. Les tirs visaient le point de deal de son immeuble.
Le sort des mineurs isolés, protagonistes et victimes du trafic
Les petites mains du trafic, ce sont souvent les mineurs isolés, sans papiers. "Il y a plusieurs manières d'arriver jusqu'aux Moulins" détaille la jeune femme "en étant recruté directement en Italie, ou alors à Nice, dans des squats".
Devenir guetteur devient alors un moyen de gagner un peu d'argent, 80 euros par jour. "Ils ont un boulot, un logement, et leur consommation gratuite s'ils consomment". Certains se promettent de ne rester que quelque temps, en espérant un avenir meilleur que celui qui leur était tracé.
Un quartier auquel Siam s'attache
"Pendant un moment, je pensais ne pas partir" affirme-t-elle. Puis une période de vacances lui permet de prendre du recul : "j'avais un meilleur salaire, un peu d'argent de côté. Je me suis dit que je prenais la place de quelqu'un qui était plus dans le besoin que moi".
Aux Moulins, la journaliste a trouvé "un esprit de village qu'on n'a pas dans les grandes villes. Je me retrouvais invitée à manger presque tous les jours".
Quand les difficultés s'amoncellent, que les années passent "on n'a pas le choix que de s'attacher, on ne peut pas vivre dans ces conditions sans être fier de cette entraide, de cet esprit".
Porter la voix des autres
Siam Spencer porte la voix de ceux que l'on n'entend pas. À 26 ans, elle le sait "J'ai la carte magique du journaliste. Je me suis posé la question de ma légitimité, après quelques mois passés ici, de raconter le quartier alors qu'il y a des gens qui sont là depuis 40 ans". Puis finalement, elle réalise "si ça peut permettre d'ouvrir la voie, alors j'y vais".
Je ressemble à ceux qui ne vivent pas dans ces quartiers-là.
Siam Spencer, journaliste et autrice de "La Laverie"à France 3 Côte d'Azur
Quelques jours après la parution du livre aux éditions Robert Laffont, ses voisins lui écrivent pour la remercier. Non seulement de parler d'eux, mais aussi de ne pas se concentrer uniquement sur le trafic de stupéfiants dans les pages de son ouvrage. "Ce quartier, c'est 7 000 habitants, une cinquantaine prend part au trafic".
Celle qui vit désormais à Marseille, où elle travaille pour la radio RFI, réfléchit à de nouvelles immersions. Choisies, cette fois-ci. Un projet encore un peu mouvant.
Siam est toujours en lien avec ses anciens voisins, un attachement qu'elle sait durable. Pour eux, elle aimerait que ce livre fasse un pont "entre eux et les gens du centre-ville, pour enclencher le dialogue entre deux mondes qui ne cohabitent pas".
Ce livre, c'est aussi un objet qu'elle veut pour les habitants du quartier. Un ouvrage pour eux, qui parle d'eux, avec eux.