Après les tempêtes Alex, puis Aline, l'état de catastrophe naturelle a été déclaré dans de nombreuses communes des Alpes-Maritimes. Ces sinistres à répétition font peur aux assureurs qui ne veulent pas prendre de risque. Au congrès de l'Association des maires de France, le sujet est sensible.
Bientôt, les communes devront rédiger des petites annonces pour obtenir un simple contrat d'assurances. Roquebillière, village des Alpes-Maritimes situé dans la vallée de la Vésubie, compte près de 2000 habitants. Le maire n'a toujours pas trouvé d'assureur.
Depuis longtemps, le village était assuré à la MAIF, mais en octobre 2020, la tempête Alex a bouleversé les habitudes. Le contrat de la commune arrivait à échéance trois mois après la tempête. Il a fallu insister pour renouveler le contrat.
La commune a lancé des appels d'offres pour que d'autres compagnies prennent le relais, mais personne n'a répondu.
On n'a jamais rencontré une telle difficulté avant la tempête Alex et on nous l'a dit clairement, on ne peut plus s'engager sur une assurance qui concernerait le dommage aux biens.
Thomas Marcucci, directeur général des services de Roquebillière
Aucun assureur ne veut s'engager après ces coûteuses intempéries. En 2020, la facture s'élevait à 600.000 euros de dégâts pour la MAIF.
Une facture qui ne comprend pas tous les biens détruits, certains ont été rasés et d'autres ont été reconstruits grâce à des fonds publics.
"Y a-t-il encore un assureur pour ma commune ?"
La commune a réussi à obtenir une dérogation pendant deux ans. Mais pas pour l'année 2024 ! La dernière tempête Aline n'a certainement pas aidé à rassurer les assureurs qui calculent des "risques rentables."
Assurer les biens communaux est pourtant obligatoire, comme pour les entreprises et les particuliers. Cette assurance est très importante, car elle constitue la base de la garantie en cas de catastrophes naturelles, les fameuses "CAT-NAT", un fonds créé en 1982 après des inondations.
Le 105e congrès de l'Association des maires de France (AMF) a mis en lumière ce problème majeur avec une table-ronde sur ce sujet mercredi matin : "Y a-t-il encore un assureur pour ma commune ?"
Une enquête avait déjà été faite par l'AMF au printemps, mais c'était avant les émeutes.
Arcueil, Foix, Candé, Petit Quevilly, Vesoul, Mandelieu
Premier constat, toutes les communes françaises peuvent être concernées, de la Vendée à la Guadeloupe, en passant par le Finistère. Quelques exemples ?
La maire de Petit Quevilly, en Seine-Maritime, a vu son contrat a été résilié après les émeutes. Idem pour l'édile de Goyave, en Guadeloupe, qui a vu son contrat résilié par un assureur français, il a fait appel à un assureur étranger qui n'assure que 4 classes sur 10.
Le maire d'Arcueil, dans le Val-de-Marne, est impacté par les émeutes et les augmentations de franchise. Le président de l'agglomération de Foix, en Occitanie, a vu son assurance entièrement résiliée sans raison.
La maire de Candé, en Normandie, subit une augmentation des coûts très importante, tandis qu'Alain Chrétien, le maire de Vesoul, missionné par le gouvernement sur ce problème, n'a pas eu de réponse pour l'assurance de sa flotte automobile.
Cotisations démesurées, résiliations injustifiées
Face à l’augmentation des risques climatiques et des violences urbaines, les compagnies d’assurances se retirent de ce marché peu rentable, entraînant des hausses de tarifs (parfois jusqu'à 170 %) et des résiliations parfois non justifiées par les compagnies.
Un désengagement confirmé par Franck Le Vallois, le représentant de France Assureurs (ancienne Fédération nationale des compagnies d'assurances), présent au congrès de l'AMF.
Les collectivités locales coûtent trop cher : à une cotisation correspond maintenant une crise. C'est pour cela que les montants de cotisations annoncés sont démesurés.
Le chiffre d'affaires de ce secteur est en baisse : il est passé de 580 millions d'euros à 400 millions d'euros en quelques années. Et les sinistres liés aux catastrophes naturelles s'alourdissent. Un bilan qui porte sur les 40 ans du fonds CAT-NAT a été réalisé.
Les assureurs se retirent du marché des collectivités, on est 1% du marché, on est un marché complexe, c'est moins intéressant que les particuliers et on a des actifs qui peuvent être très exposés... Donc on a beaucoup de villes qui vont se retrouver sans assurance. (...) il faut réinventer les relations entre collectivités et assureurs et imaginer autre chose.
Sébastien Leroy, maire (LR) de Mandelieu (Alpes-Maritimes)
Car les communes ne sont pas des assurés comme les autres. Elles fournissent le bâtiment (par exemple : crèches, écoles, gymnase, salle des fêtes) mais dans le cadre d'un service public.
Que peut faire la commune si elle n'obtient pas d'assurance ?
L'AMF étudie cette question. En dernier recours, le Bureau Central de Tarification (BCT) qui est aussi le médiateur de l'assureur, peut être saisi. Beaucoup d'élus ignorent son existence et son fonctionnement. Des fiches type de saisie sont en cours de rédaction pour aider les communes.
Mais la saisie de ce bureau ne réglera pas le problème des collectivités locales. Le BCT est seulement compétent pour les assurances obligatoires, comme les catastrophes naturelles.
Et l'auto-assurance ? Impensable !
En l'absence de proposition et de contrat, pourquoi ne pas devenir son propre assureur ? Certaines communes y pensent mais c'est un choix risqué qui peut compromettre toute la capacité d’investissement en cas de sinistre important.
Retour à Roquebillière. Maire (LR) depuis 2006, Gérard Manfredi affirme :
C’est un souci énorme parce que les petites communes ne peuvent pas survivre si elles n'ont pas d'assurance. Autant une grande ville comme Nice peut se passer d'assurances parce qu'ils peuvent créer des fonds pour compenser les problèmes qu'ils peuvent rencontrer mais les petits villages seront les plus pénalisés.
Gérard Manfredi, maire (LR) de Roquebillière
Longue inspection sur le terrain
Fin novembre, seulement deux propositions sont arrivées en mairie. Celle de la SMACL, un assureur historique des collectivités locales et une autre de Groupama. Des propositions qui résultent d'un travail acharné pour contacter, rencontré, convaincre des assureurs de plus en plus réticents. Il a fallu l'intervention de l'Association des maires de France pour se faire entendre.
Une fois le rendez-vous pris, la visite des lieux s’est transformée en véritable inspection sur le terrain. À Roquebillière, le centre bourg a été épargné, mais c'est en venant sur place que les agents ont pu se faire une idée précise de l'état des lieux et des risques encourus.
"La visite a parfois duré une journée entière, où bâtiment par bâtiment, on regarde, on vérifie sur une carte", précise Thomas Marcucci.
Actuellement, les terrains de football, de tennis et le city-stade proches de la Vésubie, et donc des risques de crue, sont exclus du contrat.
Une assurance plus chère, avec moins de garanties
En revanche, pour la maison de santé et l’école primaire, une solution devrait être trouvée. En cas de sinistre, d'incendie, la facture des travaux pourrait s'élever à plus de 2 millions d'euros, soit le budget annuel de la commune.
Quant aux tarifs, impossible de négocier, le maire de la commune n'est plus un client roi ! Seule certitude, l'assurance de la commune sera donc plus chère et imparfaite.
Le directeur des services résume : "les primes d’assurances ont pris 30 %, les franchises ont doublé et, troisième élément, certains biens sont exclus des garanties".
La commune de Roquebillière consacrait 70.000 euros aux frais d’assurances. Un budget qui pourrait s’envoler.
Les élus espèrent une intervention de l’Etat pour débloquer des situations qui risquent de se reproduire dans de nombreuses communes sinistrées par les catastrophes naturelles ou les violences urbaines.
Les communes n'ont plus que quelques semaines pour trouver un assureur avant l'année prochaine, si possible... avant Noël !