En février 1968, au moins sept sportifs de Saint-Martin-Vésubie dans les Alpes-Maritimes, ont porté la flamme olympique, celle des JO d'hiver de Grenoble. Parmi eux, Christian Richier. Il avait 20 ans à l'époque. Grâce aux recherches d'un historien de la Vésubie, il sera là, le 15 juin prochain, avec trois autres vétérans, pour accueillir une réplique de la flamme qui traversera le village.
Il est presque surpris qu'on l'appelle. À 76 ans, Christian Richier coule une retraite paisible à Saint-Martin-Vésubie et ses souvenirs se sont sensiblement émoussés. Surtout, il semble le premier étonné de la curiosité qu'un épisode de sa vie suscite autour de lui, en cette année olympique.
Nous sommes en février 1968. Grenoble s'apprête à accueillir les Jeux olympiques d'hiver. C'est l'âge d'or du ski alpin français : Jean-Claude Killy raflera trois médailles d'or, Marielle Goitschel finira aussi sur la première marche du podium. Mais pour le moment, la France retient son souffle et marche vers les Jeux au rythme de la flamme olympique. Partie de Grèce le 16 décembre 1967, elle vient de traverser les principaux massifs français, et revient de Corse.
Depuis Menton, elle repart à l'assaut des Alpes, d'abord à vélo jusque dans la Vésubie, puis à pied, de Roquebillière à Saint-Martin-Vésubie.
Un parcours de sept kilomètres entre Saint-Martin-Vésubie et la Colmiane
C'est là que la petite vie sans histoire de Christian Richier va rencontrer la grande histoire de l'olympisme. Le jeune homme a 20 ans. Il est menuisier, mais comme tous les jeunes de son âge, il doit faire son service militaire.
J'étais à l'armée, chez les chasseurs alpins. Jean Grinda, à l'époque guide et moniteur de ski dans la Vésubie, cherchait des sportifs de Saint-Martin capables de courir 2 km en montée.
Christian Richier, porteur de la flamme olympique en 1968
Il a le profil idéal : le voilà recruté, avec six autres hommes, pour porter la flamme de Saint-Martin à la Colmiane. Dans son souvenir, il y a sept porteurs de flammes, pour sept kilomètres d'ascension.
"Le premier est parti avec la flamme de Saint-Martin et l'a confiée à un autre porteur au 2ᵉ kilomètre. Ils ont couru ensemble, puis le deuxième porteur a transmis la flamme au suivant, en reformant un duo avec lui, et ainsi de suite. On faisait chacun 2 km" se souvient Christian Richier.
À l'arrivée en haut, un podium les attend et la Colmiane célèbre l'événement en grande pompe.
56 ans plus tard, le passé ressurgit grâce à une photo
À l’époque, Christan Richier ne réalise pas la portée de l'événement : " A 20 ans, on avait autre chose à penser, et puis les Jeux ne se passaient pas chez nous. Grenoble, c'était loin de nous".
À tel point que même les photos souvenirs de l'événement se perdent au fil des ans, la mémoire collective s'étiole, et cette journée historique tombe presque dans l'oubli.
Jusqu'à cette trouvaille inespérée : il y a un peu plus de deux ans, un collectionneur de cartes postales et de vieux clichés exhume une photographie de février 1968 et la confie à Eric Gili, historien bien connu au village car il dirige bénévolement le musée du patrimoine du Haut-pays, dévasté lors de la tempête Alex.
C'est une surprise exceptionnelle : tout part de cette photo, qu'on découvre. En la regardant bien, on reconnait une personne, puis deux. Je suis allé les rencontrer et j'ai découvert cette histoire.
Eric Gili, historien, directeur bénévole du musée du patrimoine du Haut-pays
Eric Gili est né en 1968. Il n'a pas la mémoire vivante de cet événement, et va donc s'engager dans une véritable chasse aux souvenirs pour reconstituer cette journée olympique : selon le parcours qu'il a reconstitué, trois porteurs se sont relayés depuis Roquebillière.
À Saint-Martin-Vésubie, la flamme est remise officiellement au maire. Lui a décompté huit porteurs : Gilbert et Josian Franco, Christian et Lucien Richier, Jean-Marie Garin, Jean Grinda, Jean-Louis Campero et l'instituteur Monsieur Março.
Il y avait du monde : tous les enfants de l'école étaient là, formant une haie d'honneur avec leur bâtons de ski, sur la place principale et le long des allées.
Eric Gili, historien, directeur bénévole du musée du patrimoine du Haut-pays
Arrivée à la Colmiane, la flamme est confiée aux moniteurs de ski de la station.
Azur 1800 : la grande station de ski de la Vésubie qui ne verra pas le jour
Mais ce que l'historien découvre, c'est que, dans ce contexte de Jeux olympiques d'hiver, naît un projet pharaonique de station de ski autour de Saint-Martin-Vésubie.
"En 1963 -1964, le village fait venir des sportifs de haut niveau : Marielle Goistchel, Jean-Claude Killy, pour une manifestation "ski natation" au Boréon. Deux slaloms le matin, avant d'aller nager à Nice et Cannes" raconte Eric Gili
Saint-Martin-Vésubie est en vogue. Émerge alors le projet "Azur 1800".
C'était un énorme projet de station de ski, incluant Venanson, Saint-Sauveur-sur-Tinée, la Colmiane, le Boréon, avec même une extension possible jusque sur la Gordolasque.
Eric Gili, historien, directeur bénévole du musée du patrimoine du Haut-pays
L'historien évoque aussi un projet de tunnel du Mercantour pour percer la montagne et rejoindre l'Italie, avec une autoroute deux fois deux voies à travers la Vésubie.
L'État est prêt à mettre de l'argent sur la table, et faire couler à flots l'or blanc sur la Vésubie. Mais Isola 2000 sort de terre plus tôt, et surtout, la naissance du Parc national du Mercantour va mettre un coup d'arrêt à ce projet.
Une journée pour célébrer la flamme le 15 juin
C'est toute cette histoire qu'Eric Gili veut raconter le 15 juin prochain. Ce jour-là, une réplique de la flamme de 1968 traversera de nouveau le village. Pourquoi pas la vraie ? "Le Musée national du sport de Nice m'a proposé de me la prêter, mais sa valeur est estimée à 35 000 euros et nous n'avons pas les moyens de l'assurer".
Qu'à cela ne tienne : une copie exacte a été fabriquée par un artiste de Lantosque, Patrick Poggioli. Elle est prête pour le grand jour. Cette fois-ci ce sont les membres du club des sports de la Vésubie qui la porteront. Enfants et adultes à travers le village. Devant la mairie, elle sera remise aux quatre vétérans de l'époque, dont Christian Richier.
Sa petite-fille fera partie des porteurs. Un passage de relais pour ce grand-père, qui n'aurait pas dit non à quelques petits pas de plus.
Je ne ferais plus les 2 km en courant. Mais en marchant, oui, pourquoi pas, si j'ai pas mal au genou ce jour-là.
Christian Richier, ancien porteur de la flamme olympique
Car avec le recul, il en garde une certaine fierté. "Tout le monde n'a pas le privilège d'avoir porté la flamme".
Le point final de ces festivités aura lieu à la salle Jean Grinda, avec une petite conférence d'Eric Gili et le témoignage de neuf sportifs de haut niveau, dont le judoka Loic Pietri et la championne de moto Justine Pedemonte, qui seront présents.
"Au fur et à mesure de mes recherches, j'ai réalisé à quel point le sport c'est quelque chose de social, d'important pour les gens, conclut Eric Gili. Quand on commence à chercher dans les archives, on retrouve des documents partout, et on comprend l'esprit olympique : chacun a participé, et l'a transmis de génération en génération."