10 ans après l'attentat contre la rédaction de Charlie Hebdo, Michel Cabut raconte son frère Jean, le dessinateur Cabu

Michel Cabut est le frère cadet du dessinateur Cabu. Victime de l'attentat du 7 janvier 2015 à Charlie Hebdo. Huit ans les séparent, mais toutes les blagues, ils les ont faites ensemble. Récit d'une enfance heureuse aux côtés de celui qui deviendra l'un des meilleurs dessinateurs de sa génération.

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Michel Cabut nous reçoit à Châlons-en-Champagne dans la Marne. À 500 mètres de la maison où il a grandi avec son frère Jean, devenu Cabu pour le grand public, et sa sœur Marie-Thérèse. Au restaurant, la Maison Souply, il y est, justement, comme à la maison. Fabien, le chef, quatrième génération à tenir les rênes de cette institution châlonnaise, l'accueille.

Il suffit d'un mot pour que la vie de la famille Cabut à Châlons surgisse, à nouveau. Comme une étincelle qui ravive des souvenirs bouleversants. Très présents aussi, dix ans après l'attentat de la rédaction de Charlie Hebdo, le 7 janvier 2015. Ce jour-là, les balles des frères Kouachi ont décimé le journal satirique, dont Cabu faisait partie. La conférence de rédaction du journal se terminait au numéro 10 de la rue Nicolas-Appert, dans le 11e arrondissement de Paris. Michel a perdu son frère.

De l'admiration, Fabien Souply en a pour Cabu le dessinateur. "Il dit tout haut ce que tout le monde pense tout bas par ses dessins", dit-il en parlant de lui toujours au présent. La famille Cabut, c'est beaucoup de sympathie, de tendresse, d'humilité".

Entre ces deux familles il y a beaucoup d'estime mais elles ne se le disent jamais. "Pas besoin, reprend Fabien. Ça se sent".

J'avais un grand copain. Toutes les blagues, on les a faites ensemble ici à Châlons. Il y a des photos, comme on dit !

Michel Cabut, le frère de Cabu

Pour la famille Cabut, ce lieu est emblématique. "Nous avons passé toute notre jeunesse à 500 mètres d'ici, explique Michel Cabut, et on passait presque tous les jours devant chez Monsieur Souply". C'est aussi la cantine de son père, Marcel. Le lieu de repas de famille régulier. Encore aujourd'hui, une fois par an, Michel vient jouer avec son groupe de musiciens de jazz. Ce fut aussi le lieu où la famille s'est réunie pour le dernier hommage à Jean, en janvier 2015.

Le catch, le tribunal, les blagues

La ressemblance est flagrante. Le sourire, le rire ponctuent nombre de ses phrases. Mais l'émotion contenue est au rendez-vous de chaque mot prononcé sur son frère. Michel Cabut n'a pas hésité à accepter notre invitation à rendre hommage à celui qui a tant compté. 

Huit ans les séparent, mais, enfants, ils sont inséparables dès que Michel est en âge de le suivre. "C'était un copain. On a huit ans de différence, je ne le sentais pas. J'avais un grand copain. Toutes les blagues, on les a faites ensemble ici à Châlons. Il y a des photos, comme on dit ! Ce qui était très marrant, c'est que j'ai connu les mêmes lieux que lui avaient connus. Le jard, les endroits sympathiques, la Bourse, ce bistrot qui était un fief, pour nous aussi ça l'a été". 

Mais Michel se rappelle immédiatement des périples avec la Trèfle, la voiture de Jean. "On partait même en vacances, on allait loin, jusqu'aux Sables d'Olonnes. Et puis, il m'emmenait au catch, se souvient-il avec un large sourire qui en dit long sur ces moments entre frangins. Je n'étais pas vieux. Quelques fois, il allait faire des croquis pour L'Union. Il allait au tribunal. Je suivais. J'avais peut-être 10 ans, lui 18. Incroyable. Je n'aurais jamais pensé qu'un gosse de 10 ans puisse aller dans ce lieu. Cela faisait partie du jeu".

Jean sèche assidûment les cours pour réaliser ses dessins, Michel quant à lui, "j'étais un peu plus raisonnable que lui, dit-il dans un grand rire. J'ai fini mes études moi ! Ce qui n'est pas son cas".

Élève rebelle

Jean Cabut est le fils d'Elisabeth et Marcel Cabut et l'aîné d'une famille de trois enfants. Marie-Thérèse et Michel constituent, avec lui, la fratrie. Les trois enfants naissent à Châlons-en-Champagne et grandissent dans la ville préfecture de la Marne. Marcel est professeur de forge à l'école des Arts et Métiers de Châlons-en-Champagne. Elisabeth s'occupe, à temps plein, de ses trois enfants. Des parents attentifs à l'avenir de leur famille et un père qui rêve de voir devenir ingénieur, aux Arts et métiers, comme lui, ses deux fils.

Mon père a vraiment cru en lui, quand il a eu une page dans Paris Match. C'était juste avant de partir à l'armée. Il avait vu quand même que, là, c'était sérieux.

Michel Cabut, le frère de Cabu

Jean Cabut est un bon élève jusqu'à son entrée au lycée. Le dessin est sa passion et ses premiers coups de crayons s'affichent dans sa ville natale, chez le coiffeur ! Le lycée Bayen voit arriver sur ses bancs ce grand brun longiligne, un peu rêveur dont la table en bois est très vite gravée de ses caricatures. Ses professeurs sont ses personnages préférés qu'il croque sans relâche tout comme certains de ses camarades. Son personnage, Le Grand Duduche vient de là. D'un lycéen de l'époque. Et puis il y a la rencontre avec Georges Schmitt, devenu, ensuite, un ami fidèle jusqu'à la fin de ses jours. 

À la maison, ce n'est pas toujours simple. Les mauvaises notes de Jean déclenchent l'ire de son père. Sa maman étant plutôt la confidente, rassurante. "L'ambiance à la maison... ça n'a pas toujours été facile. Faut être honnête", se souvient Michel. Dessiner n'est, pour le père Cabut, pas un métier stable et il ne prend pas au sérieux son fils qui tente de le convaincre. En 1953, Jean a 15 ans, et entre au journal L'Union comme dessinateur pigiste. C'est le début... de la fin des études. Il sèche les cours, fait le mur et sort avec son copain Georges. Marcel Cabut tente une délocalisation en scolarisant Jean à Epernay où il est interne. Rien n'y fait.

"Au fur et à mesure, les choses se sont améliorées. Le déclenchement : mon père a vraiment cru en lui, lorsqu'il a eu une page dans Paris Match. C'était juste avant de partir à l'armée. Il avait vu quand même que, là, c'était sérieux. Il le voyait ingénieur comme lui, même moi, sourit tendrement Michel en repensant à tout cela. Ça n'a pas marché non plus.

Mon père, il s'est fait tout seul. Il était doué. Ils habitaient un bled paumé donc il a déjà fallu aller dans des collèges lointains, à Langres, puis à Dijon, pour finir à l'école des Arts et Métiers. C'était vraiment un sacré parcours. Il pensait que nous devions suivre le même chemin".

La religion d'abord puis l'armée

Pour Jean peu importe l'approbation, "il n'avait qu'une idée : devenir dessinateur. Il était plus soutenu par ma mère. Jean, il avait un caractère facile, mais aussi une poigne mentale fabuleuse. Ce n'était pas simple. Une ville de province pour sortir du rang. Il fallait monter à Paris sans aucune connaissance. Personne n'était artiste, il débarquait". Michel est admiratif lorsqu'il évoque cette époque-là. Son frère a eu un culot monstre, "et même après lorsqu'il a fallu fonder Ara-Kiri. Vous vous rendez compte, c'était tout nouveau". 

Châlons-sur-Marne, Jean devenu Cabu, ne supporte pas le changement de nom. Châlons-en-Champagne : il trouve cela pompeux. Sa ville natale est essentielle pour lui. Pour la famille bien sûr et tous ses souvenirs de gosses mais aussi pour ses débuts de dessinateur. Cabu a trouvé l'inspiration à Châlons. Elle lui a permis de découvrir les rouages politiques, la vie d'un conseil municipal, d'une rédaction, celle de L'Union. Elle l'a aussi confronté à ses premiers revers, ses premières critiques. "Au début, il n'a pas toujours été apprécié à Châlons, le frangin, reprend Michel Cabut. C'était quand même nouveau ce qu'il faisait. Quand il allait trop loin, il se faisait taper sur les doigts. Mais il a toujours dit qu'il resterait à Châlons ad vitam aeternam. Châlons lui a mis le pied à l'étrier".

Et puis c'est aussi la ville où se sont forgés son caractère et ses premières convictions.

"Il était tendre avec mes parents qui étaient très catholiques mais ça n'a jamais fonctionné. Il n'était pas rebelle, reprend Michel, comme pour trouver des circonstances atténuantes à son grand frère. Il était trop gentil pour être rebelle, mais il séchait la messe !" L'armée, le service militaire, est aussi un tournant dans sa vie de jeune adulte et sera déterminante, plus tard, dans la pratique de son métier. "L'armée a été une bascule dans sa façon de voir la vie et d'avoir ses convictions".

Au Panthéon des dessinateurs

Le départ de Jean pour Paris n'éloigne pas les deux frères. C'est ensuite au tour de Michel de se rapprocher de la capitale. "Quand j'étais étudiant, on vivait dans la même maison. À l’époque il habitait Ozoir-la-Ferrière qui était assez loin de Paris et moi j'habitais à Fontenay-sous-Bois. Il était là, avec moi, très souvent quand il faisait ses dessins et ensuite je les apportais au journal. On construisait un peu le dessin en discutant. Je le voyais faire, je ne l'embêtais pas, mais en mangeant on en parlait". 

C'est Wolinski qui dit : Cabu c'est le plus grand dessinateur du monde.

Michel Cabut, le frère de Cabu

À l’époque Cabu travaille au Figaro et à Paris Match notamment. Il aspire à autre chose et Michel se souvient de son besoin insatiable de s'exprimer. "Il n'avait pas un statut d'écrivain. C'était seulement ses dessins qui allaient être son cheminement. Je me souviens d'un reportage qui a marqué sa jeune carrière. Il avait peut-être 30 ans à l'époque. Il a raconté, en dessins la rafle du Vel D'Hiv. C'est paru dans un journal qui n'existe plus. Il a voulu que cela soit tel que c'était. Cela a été un travail de journaliste, d'enquête. Il est reparti de zéro, a fait ses recherches avant de réaliser ses dessins. C'était, à l'époque, un des rares dessinateurs journaliste avec une carte de presse". 

Durant ces années parisiennes, la musique, rassemble aussi les deux hommes. Le jazz, les boîtes, "comme la Huchette notamment, les endroits qui existaient qui avaient une audience fabuleuse. On allait au cabaret aussi. On a vu des gens qui démarraient. Les Brassens, avec 30 personnes dans la salle. Sa passion pour Trénet est venue ensuite, à peu près à la même époque. C'est venu petit à petit. Il a commencé par les 78 tours de Trénet. C'était son grand maître. Il disait que Trénet aurait pu faire du jazz car sa musique était très jazzy. C'est peut-être cela qui a fait le rapprochement". 

Aujourd'hui, Michel vit toujours à Paris et Jean s'en est retourné dans sa ville natale. Sa dernière demeure. "Je ne suis pas objectif, mais c'est vraiment le meilleur dessinateur. C'est Wolinski qui dit : Cabu c'est le plus grand dessinateur du monde. À côté de ses caricatures, en plus de son humour, il savait dessiner. Lorsqu'il dessinait l'hôtel de ville de Châlons, l'église Notre Dame. Il aimait beaucoup les villes de provinces et leurs rues étroites. Il aimait dessiner cela aussi. Et ça ne se cassait pas la gueule. Au point de vue de la perspective, c'est formidable. Et à main levée toujours, à l'encre. C'était vraiment un grand grand dessinateur. J'en suis persuadé."

Les yeux brillants de fierté, Michel va plus loin encore. "Il faut continuer à le suivre vraiment. Il faut qu'il soit au Panthéon". Mais comme une histoire de Cabu se termine toujours par un éclat de rire, Michel de conclure : "pouvoir dire merde par un dessin, c'est une occupation. C'est formidable. Un bon dessin, vaut bien un bon discours".

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