Bouches-du-Rhône : coronavirus chez des saisonniers agricoles, la CFDT perd son procès

La CFDT a perdu son procès contre neuf sociétés agricoles des Bouches-du-Rhône et une société d'intérim espagnole, à qui elle reprochait le manque de mesures de protection pour des saisonniers étrangers après l'apparition de plus de 250 cas positifs de coronavirus.

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Dans son ordonnance, le tribunal judiciaire de Tarascon estime que "l'assignation générale reprend les recommandations applicables en matière de Covid-19, sans toutefois cibler en quoi l'exploitation agricole visée aurait contrevenu aux mesures préconisées".

Saisi en référé par le syndicat, le tribunal déclare nulle chacune des assignations visant les sociétés agricoles et l'entreprise de travail temporaire espagnole Terra Fecundis. Il condamne la CFDT à verser 1.000 euros au titre des frais de justice à chacune d'entre elles.

Mardi, le syndicat avait demandé aux juges d'enjoindre les exploitants de procéder à une évaluation des risques et à la mise en oeuvre de procédures de protection --désinfection des outils, fourniture de gel hydroalcoolique et de masques—sous peine d'astreinte de 5.000 euros par jour de retard.

Plus de 300 cas positifs parmi les saisonniers étrangers

Le syndicat avait justifié sa démarche après la détection de 258 cas positifs au cours des trois dernières semaines parmi des ouvriers détachés, pour la plupart originaires d'Amérique du Sud et d'Afrique, venus ramasser fruits et légumes dans le département des Bouches-du-Rhône, dans le sud de la France.

Alors que la récolte des abricots, fraises et pêches bat son plein dans la région, plusieurs foyers d’infections (clusters) se sont déclarés dans différents sites agricoles du Vaucluse et des Bouches-du-Rhône, dans les tous derniers jours de mai.

En tout 5 400 tests ont permis de révéler plus de 300 cas positifs parmi les saisonniers étrangers. La plupart est embauchée par la société Terra Fecundis, une agence d'intérim agricole espagnole.

Neuf entreprises assignées en justice

Le syndicat CFDT avait assigné neuf entreprises agricoles et l'agence espagnole Terra Fecundis. "On ne demande pas la lune, mais de faire en sorte de limiter la propagation du Covid", avait plaidé Me Vincent Schneegans.

Les exploitants agricoles s'étaient offusqués par la voix de leurs avocats d'être traités "de meurtriers et d'esclavagistes sans aucune preuve".

"Ils gagnent bien leur vie, vivent dans des conditions tout à fait normales. Ce qu'on veut, c'est mettre fin au détachement, mais si vous mettez fin au détachement, vous mettez fin à l'agriculture française!", avait plaidé l'avocat de l'un d'eux, Fabrice Baboin.

"Terra Fecundis c'est le diable en personne, on est sali presque quotidiennement", avait de son côté déploré l'avocate de la société espagnole, Me Caroline Petroni.

Avec un chiffre d'affaires de 72 millions d'euros en 2018, dont 50 millions réalisés en France, Terra Fecundis détache environ 4.500 travailleurs dans l'agriculture, selon la CFDT.

La préfecture des Bouches-du-Rhône a indiqué avoir pris jeudi un arrêté "de mise en demeure de réaliser des travaux" dans un délai de deux mois dans un hébergement accueillant des saisonniers agricoles sur une exploitation près d'Arles.

"On ferme les locaux tant qu'ils ne sont pas aux normes et on demande d'assurer le relogement de tous les occupants (...) dans un délai de deux jours à compter de la fermeture" dans des locaux décents, a-t-elle précisé.

Les autorités françaises ont déjà exigé des travaux d'urgence ou fermé des hébergements insalubres sur d'autres exploitations.

Des cadences infernales, des logements insalubres

Les travailleurs "détachés" sont embauchés et rémunérés par des sociétés d’intérim étrangères, et mis à la disposition des entreprises agricoles françaises.

Celle qui fournit le plus de saisonniers en Provence-Alpes-Côte d'Azur est l’agence espagnole Terra Fecundis.

Elle est dans le collimateur de la justice pour avoir ignoré le versement de cotisations estimé à 112 millions d’euros pour la seule période de 2012 à 2015.

Bon nombre de salariés agricoles employés par des agences d’intérim étrangères dénoncent des cadences infernales, des heures supplémentaires non payées, et les conditions insalubres dans lesquelles ces mêmes sociétés les logent.

Peut-on imaginer ces entreprises alors, faire respecter les gestes barrières pour éviter la transmission du virus ?

Il m’a dit que tout ça ne servait à rien et que c’était « de l’enfumage ».

Jean-Yves Constantin CFDT MSA Provence Azur

Pour Jean-Yves Constantin, premier vice –président du collège salarié MSA Provence Azur, élu CFDT, "dans un mas à Maillane, 26 personnes ont été testées positives. Et selon les échos que j’ai, entre trois et huit personnes n’ont pas été dépistées sur le site. Parce que l’entreprise de travail temporaire qui préside dans ce lieu là incite ses salariés à se passer de ces tests.

"J’ai eu l’occasion de discuter avec l’un des responsables de cette agence. Il m’a dit que tout ça ne servait à rien et que c’était « de l’enfumage »."

La plupart des travailleurs détachés viennent d’Equateur, du Maroc, ou du Sénégal. La CGT estime leur nombre à 2 000 dans les Bouches-du-Rhône.

"Nous savons qu’il reste des gens positifs au Covid, et asymptômatiques. Et qu’ils vivent dans des lieux d’hébergement collectifs", raconte Ingeborg Bonte, secrétaire de l’Union départementale CGT 13.

Certains nous ont confié dormir sur des matelas à même le sol, à six ou huit dans la même salle, avec de l’eau non potable. Je ne comprends pas que de telles situations puissent exister dans des pays comme le nôtre".

Un récent arrêté de la préfecture a exigé qu’un logement pour travailleurs détachés soit raccordé à l’eau potable.

Dans le seul pays d'Arles, au 14 juin, 158 personnes avaient été déclarées contaminées. La plupart sont asymptomatiques ou ont eu des formes légères, à l'exception de deux cas graves hospitalisés.

"Les salariés sont pris entre le marteau et l’enclume", poursuit Jean-Yves Constantin.

"Ils sont gagnés par l’angoisse de ce qu’il peut leur arriver au niveau de leur santé, mais aussi de leur emploi. Ils ont une famille à nourrir. Ils sont soumis à la pression de leur employeur. C’est une position difficile à tenir".

200 arrêts maladie délivrés aux travailleurs étrangers

Si l'employeur n'y pousse pas, la notion de confinement est difficile à gérer pour les travailleurs étrangers. Quinze jours sans travailler, c'est un demi-mois de salaire en moins.

Le Docteur Déborah Diaz, médecin du travail au sein de la MSA, la sécurité sociale agricole, a travaillé auprès de cette population de travailleurs détachés.

"Nous les avons accompagnés, alors que cela n'était pas au coeur de notre mission. Mais nous avons réussi à délivrer 200 arrêts maladie pour que les travailleurs puissent être indemnisés dans leur pays d'origine", précise le médecin avec satisfaction.

"Tout cela n'a pu se faire qu'avec une excellente coordination entre les services de l'Etat et les associations qui oeuvrent sur le terrain".

Trois centres pour le confinement dans les Bouches-du-Rhône

Dans les Bouches-du-Rhône, les autorités sanitaires ont mis en place trois centres d'hébergement pour le confinement des personnes testées positives.

L’Agence régionale de santé Provence-Alpes-Côte d’Azur, les médecins libéraux mobilisés, SOS médecins et les associations de sécurité civile assurent leur suivi médical et la fourniture des besoins de première nécessité.

Une ancienne maison de retraite de Miramas a fait l'affaire, avec la mobilisation de la municipalité et de plusieurs associations.

Moralès Garcia, contaminée par le virus, y passe sa quinzaine. Cette saisonnière agricole, mère de deux enfants, était logée dans un foyer de travailleurs beaucoup moins adapté :

"C’était impossible de rester là-bas. C’était dangereux pour moi", raconte-t-elle. "Il n’y avait pas de bonnes conditions. Beaucoup de mouches, pas de toilettes, beaucoup d’humidité. Moi j’ai de l’asthme ça aurait pu être fatal. Ici je suis très bien."

La médecine de ville en action dans le Vaucluse

Dans le Vaucluse, où ont été dépistés 875 personnes, 56 d'entre elles se sont révélées positives (chiffres du 19 juin).

Le docteur Sébastien Adnot a participé aux soins des premiers cas du cluster agricole de la région de Carpentras. En quelques heures, grâce à l'action de sa CPTS (Communauté professionnelle territoriale de santé) Synapse du Comtat Venaissin, trois médecins de ville volontaires et plusieurs cabinets d'infirmières répondaient présents.

"L’ARS avaient pris des mesures d’isolement, mais il n’y avait rien pour soigner ces gens : c’est-à-dire les surveiller tous les 48h, faire une consultation médicale et une consultation infirmière tous les deux jours, durant 14 jours. Notre CPTS a proposé d’assurer le suivi de ces personnes".

Un kinésithérapeute d'origine espagnole apporte alors son concours pour expliquer aux saisonniers de langue hispanique les règles des gestes barrières, et donner des informations sur la maladie Covid.

Lors d'une nouvelle série de tests, l'équipe médicale repère le cas d'une salariée.

"C'était un cas grave. Nous l'avons compris tout de suite et l'avons envoyée à l'hôpital de Carpentras. Le scanner a révélé des lésions importantes. Elle a été placée tranquillement sous oxygène. Ce suivi médical était donc nécessaire et a évité une issue fatale".

La directive de l'Agence régionale de santé est de dépister une nouvelle fois, chaque semaine.

Selon le Dr Deborah Diaz, de la MSA, "il y a encore des cas positifs dans les Bouches-du-Rhône, mais en diminution".

Quelques hébergements et entreprises réclament encore l'attention des autorités sanitaires.

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