Témoignage. Avortement : il y a 55 ans en plein loi Veil, le procès très politique contre l'IVG

Publié le Mis à jour le Écrit par Laura Cadeau

Le 10 mars 1977, six militantes du Mouvement pour la Liberté de l’Avortement et de la Contraception (MLAC) étaient jugées pour avoir pratiqué illégalement une IVG sur une jeune mineure aixoise enceinte. 55 ans plus tard, Chantal Birman, ancienne militante du MLAC, nous raconte le combat de sa vie.

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“L’audience est publique, laissez-nous rentrer !”, scande un groupe de femmes militantes sur le parvis du tribunal de Bobigny, en Seine-Saint-Denis. Chantal Birman en fait partie.

“On m’a dit : il y a un truc qui se passe à Bobigny, il faut y aller, c’est sur l’avortement ! Alors là, je n’ai pas hésité, je suis montée dans le bus pour les rejoindre. J’étais jeune, mais j’avais compris qu’il faudrait passer par le législatif pour s’en sortir”, se souvient-elle.

On est à l’autonome 1972 et un procès s’apprête à rentrer dans l’histoire. Celui de Marie-Claire Chevalier, une adolescente de 17 ans accusée d’avoir avorté après avoir été violée.

La genèse du combat pour le droit à l'avortement

À l’époque, l’IVG en France est un délit. Gisèle Halimi, l’une des avocates, sort de la salle d’audience pour informer les manifestantes de ce qu'il se passe. “On criait, on avait des slogans, on savait que notre mobilisation était indispensable parce que l’enjeu fondamental. Ce qui allait sortir de ce tribunal allait être déterminant pour la suite”, appuie Chantal Birman.

Cette militante des droits des femmes a participé à toutes les manifestations. Avec ces féministes qui tentent de forcer le passage au tribunal de Bobigny, elles formeront, deux ans plus tard, le Mouvement pour la liberté de l’avortement et de la contraception (MLAC).

C'est au sein du MLAC de la rue du Pré Saint-Gervais, à Paris, que Chantal Birman apprend à faire des IVG dans le secret, grâce à des institutrices.

“J’étais déjà sage-femme donc je savais regarder un col et poser des spéculums, mais elles m’ont appris tous les gestes d’avortement”. Elle se souvient surtout de l’ambiance qui y régnait, à chaque fois.

"On était plusieurs à l’œuvre, de l’installation à l’acte. Cette solidarité aussi émouvante entre femmes, je ne l’ai vue qu’à ce moment-là. Et aujourd’hui, la majorité des sages-femmes sont proavortement. On est passé de 0 à presque 100%. Les mentalités féministes ont pris toute la place.”

Les médecins, eux, se réunissaient à la maternité des Lilas et parlaient des méthodes : le curetage puis l’aspiration. “Celle de Karman était absolument révolutionnaire, car elle permettait une dilatation douce et progressive du col. Les sondes étaient en matière molle par rapport à une curette qui, elle, était en fer” déclare-t-elle.

L’avortement, c’est l’essence même de l’humanité. N’importe quelle personne qui rentre dans le monde médical essaye de changer les vies.

Chantal Birman

Ils travaillaient de pair avec le MLAC. “Des médecins-amis comme Bernard Fonty qui a joué sa carrière sur son engagement”, précise Chantal Birman.

Pour expliquer son choix à l’époque, elle nous confie : “L’avortement, c’est l’essence même de l’humanité. N’importe quelle personne qui rentre dans le monde médical essaye de changer les vies. Et je ne comprenais pas pourquoi tout n’était pas mis en œuvre comme en Suisse et en Angleterre pour sauver la vie de ces femmes. Elles arrivaient avec des frissons, elles étaient très jeunes. À l’époque, on leur faisait la morale, c’était épouvantable.”

La loi Veil dépénalise l'avortement

Le 17 janvier 1975, jour historique : l'adoption de la loi portée par Simone Veil, ministre de la Santé du gouvernement de Jacques Chirac, sur la dépénalisation de l’avortement en France.

Le texte autorise alors l’IVG jusqu’à dix semaines. “Je crois que j’ai pleuré. Plusieurs sentiments se sont bousculés en moi. D’un côté, j’ai ressenti une joie énorme, car, enfin, les femmes n’allaient plus mourir. Mais, de l’autre, on allait perdre tout ce qui faisait le réseau MLAC : tous nos moments partagés entre femmes, à se soutenir dans la pratique de l’IVG, et toute notre mobilisation pour obtenir la loi. Ce que nous avions vécu allait désormais se raconter, mais je n’allais l’éprouver, désormais, que par remémoration”, lâche-t-elle, la voix emplie de sagesse.

On faisait l’Histoire, pas seulement des femmes mais de l’humain.

Chantal Birman

Pourtant, deux ans après la promulgation de la loi Veil, le 10 mars 1977, le tribunal d’Aix-en-Provence condamne six militantes du MLAC, accusées de tentative d’avortement sur une personne mineure et d’exercice illégal de la médecine.

Elles doivent répondre de leurs actes devant la justice après la plainte du père de la jeune fille. Cinq d'entre elles sont condamnées à deux mois d'emprisonnement avec sursis. La sixième inculpée est condamnée à une peine d'un mois d'emprisonnement également assortie du sursis.

Militante du MLAC, Chantal Birman suit de très près ce procès. “On savait qu’on était en train de faire l’Histoire, c’est particulier comme sensation. Et on faisait l’Histoire, pas seulement des femmes mais de l’humain. L’IVG, c’est l’exercice du choix, c’est ça qu’on appelle la liberté.”

Cette sororité, elle l’a revécue récemment, une nouvelle fois, lorsqu’elle a visionné Que sea ley”, un film qui raconte la lutte des femmes argentines.

On savait qu’on risquait gros: la taule ou perdre notre métier.

Chantal Birman

Elle a été happée par une image. “C’est la première fois que je revivais l’ambiance connue autrefois, entre femmes. Et là, je me suis dit : je suis sûre qu’elles vont gagner car elles ont ce truc. L’exaltation. Ne pas accepter la mort des femmes et ne pas accepter qu’on décide pour elle.”

Ce truc, c’est surtout cette solidarité qui lie les femmes. “On savait qu’on risquait gros: la taule ou perdre notre métier. Mais on savait surtout que jamais on ne serait abandonnées. Toutes seraient même au pied de la prison si je me faisais arrêter ! On assumait l’étiquette de "folles de mai". Et ce qu’elles se disent en 2019, ça ressemble point par point à ce qu’on a vécu dans les années 70.”

Une retraite engagée aux côtés des femmes

Aujourd’hui âgée de 72 ans, Chantal Birman est toujours aussi engagée. Profiter de sa retraite pour se reposer ? Impensable. Elle a quitté son métier de sage-femme il y a deux ans pour continuer son combat, cette fois axé sur la maternité.

Et ses derniers mois de travail ont été accompagnés par la réalisatrice Aude Pépin. Dans “À la vie”, son premier film, elle dresse le portrait de Chantal Birman, qui a consacré sa vie aux droits des femmes.

Ce dimanche soir, il est 18h30. Chantal Birman vient d’arriver à Carpentras. “J’ai traversé Paris, changé quatre fois de trains et dans une demi-heure, je dois être au cinéma pour assister à la 97e projection”, explique-t-elle, d’une voix enjouée, celle d’une femme qui vit à 100 à l’heure.

Voilà à quoi ressemble son quotidien désormais : animer des débats sur l’aspect physiologique de la maternité et de ce qui s’est passé dans le domaine de la santé ces 60 dernières années.

Et quand on la lance sur le sujet, elle ne s’arrête plus. Chantal Birman, c’est avant tout une passionnée. “J’essaye de faire réfléchir les gens sur le temps passé à la relation. Il a été fortement dénigré alors qu’il est particulièrement important en maternité. On leur vole une partie d’un acte physiologique essentielle à la vie en faisait 90% de péridurale, par exemple”, défend-elle.

Le délai légal à l'IVG allongé à 14 semaines

Aujourd’hui, 55 ans plus tard, l’anniversaire du procès d’Aix-en-Provence intervient alors qu’une nouvelle loi vient de voir le jour. Promulguée le 2 mars dernier et publiée dès le lendemain au Journal officiel, elle entend renforcer le droit à l’avortement, considérant que ce droit n’est pas toujours parfaitement garanti.

Sa mesure phare ? L’allongement de 12 à 14 semaines du délai de recours à l’interruption volontaire de grossesse (IVG). “C’est très bien. Il faut comprendre que la plupart des centres d’orthogénie dans lesquels on pratique l’IVG sont des militants ou des héritiers des militants, poussés par l’esprit de la loi Veil, de la loi Aubry-Guigou et de la loi Albane Gaillot. L’ambiance y est particulière, les équipes sont très soudées et l’accompagnement d’excellente qualité.”

Chantal Birman est fière de porter son combat depuis des années. “Je n’ai jamais lâché et je me battrai jusqu’à ma mort sur deux choses : l’avortement et la maternité. Et là, défendre les mères, ça n’est pas vraiment beauvoirien. Mais je pense que Simone de Beauvoir aurait été moins rigide sur ces plans-là si elle avait vécu 20 ou 30 ans de plus”, lâche-t-elle.

Après une heure de conversation téléphonique, Chantal Birman raccroche : “Je n’ai pas vu le temps passé mais j’espère que vous avez de la matière, bisous !”  

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