Pass sanitaire : cinq questions à un universitaire spécialiste des droits et libertés

Professeur de droit public à Aix-Marseille Université, Xavier Magnon analyse la crise sanitaire avec plus de préoccupation que de passion. Observateur des droits et libertés, il considère l'annonce du pass sanitaire comme un tournant extrêmement fort dans cette crise.

Les droits et libertés sont l'un des thèmes de réflexion de ce professeur spécialiste en droit constitutionnel. Xavier Magnon dirige une équipe de vingt enseignants à Aix-Marseille Université. Au sein de l'institut Louis Favoreu, tous ont vu arriver le pass sanitaire avec inquiétude.

Xavier Magnon répond à cinq questions sur le projet de loi définitivement adopté après d'âpres débats à l'Assemblée nationale et au Sénat, dans la nuit du dimanche 25 au lundi 26 juillet. Le texte prévoit l'obligation vaccinale pour les soignants et l'extension du pass sanitaire et sera appliqué à partir du 5 août si le Conseil constitutionnel donne son feu vert. 

Cette interview a été réalisée le vendredi 23 juillet. Nous n'avons pas recueilli une opinion mais une analyse.

 

  • Comment réagissez-vous au discours prononcé par le chef de l'Etat le 12 juillet ?

Ce qui m'a posé problème, c'est la rigueur des mesures et surtout le manque de lisibilité du message du président de la République. On impose un vaccin obligatoire sans dire qu'on impose un vaccin obligatoire.  

Autrement dit, au lieu de poser directement une obligation du vaccin, c'est de manière indirecte qu'on l'impose en restreignant considérablement les libertés des citoyens et (ce qui est problématique), en stigmatisant les personnes qui ne sont pas vaccinées. 

  • L'annonce du pass sanitaire est-elle constitutionnelle ?

Là, c'est un regard de constitutionnaliste, le président de la République fixe un calendrier, des mesures à adopter, sans que le Parlement ne se soit encore prononcé.   

On a un président de la République qui pose dejà des mesures législatives qui n'ont pas encore abouti à un projet de loi, qui sont encore moins adoptées par le Parlement. Je trouve ça un peu inquiétant de voir le chef de l'Etat considérer que le Parlement adoptera les mesures qu'il a décidées.

Il existe une exigence de sécurité juridique, de clarté du droit, d'intelligibilité du droit en général. 

Des arguments peuvent plaider en faveur du choix du chef de l'Etat, du Parlement, du gouvernement (je ne sais plus qui décide finalement), qui consistent à dire que c'est moins contraignant de ne pas imposer la vaccination en empêchant tout le monde d'aller au cinéma, au restaurant, à l'opéra, dans un bar... 

Alors moi je ne suis pas d'accord et je pense qu'il serait plus clair pour la population d'imposer le vaccin clairement en disant qu'il y a un objectif de santé publique. Il y a donc une approche collective de la santé (et donc, dans une certaine mesure, du droit) plutôt que d'empêcher ceux qui ne sont pas vaccinés de faire quoique ce soit. Finalement, le chemin qu'ils ont choisi en restreignant considérablement les libertés pour imposer indirectement la vaccination, est beaucoup plus compliqué que de l'imposer directement.

D'un point de vue constitutionnel, les exigences qui pèsent sur la vaccination obligatoire sont relativement faibles. Quatre mesures doivent être respectées :

- La vaccination obligatoire doit concerner une maladie grave

- Le ministre de la Santé, assisté par le Comité national de la santé publique déterminent et mettent en oeuvre la politique de vaccination

- Le ministre de la Santé doit avoir la possibilité de suspendre l'obligation de vacciner

- En cas de contre-indication, la possibilité de ne pas vacciner doit être prévue     

Sous réserve de ces quatre exigences, la vaccination obligatoire est admise. Autrement dit, les obligations qui pèsent sur le législateur sont relativement faibles. Alors qu'avec le dispositif prévu, il n'est pas interdit de penser que le Conseil Constitutionnel pourra censurer certaines dispositions législatives, particulièrement restrictives du point de vue des libertés. 

La liberté consiste à pouvoir faire tout ce qui ne nuit pas à autrui : ainsi, l'exercice des droits naturels de chaque homme n'a de bornes que celles qui assurent aux autres membres de la société la jouissance de ces mêmes droits. Ces bornes ne peuvent être déterminées que par la loi.

Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen de 1789

  • Quel est l'effet immédiat du pass sanitaire sur les Français ? 

Il me semble que c'est le discours lui-même qui a divisé les Français, entre les vaccinés et les non vaccinés. Parce que selon sa présentation, le président a choisi de faire peser les restrictions sur les libertés sur les personnes qui n'étaient pas vaccinées. Je crains que ce soit un discours porteur de division sur ces questions de vaccination.  Le discours lui-même et les mesures, à plus forte raison, font peser une contrainte difficilement contournable pour ceux qui ne sont pas vaccinés.

Il me semble qu'il y a un tournant extrêmement fort sur la vaccination, mais c'est un tournant qui se radicalise en tournant toujours autour du pot. C'est-à-dire en refusant de poser la vaccination obligatoire. C'est vraiment ce qui est problématique. Ne pas dire ce que l'on fait. 

  • Comment préserver la liberté dans une crise comme celle-là ? 

Cette difficulté de décision doit imposer une plus grande clarté du discours, une plus grande responsabilisation et de la confiance vis-à-vis du peuple. Toutes ces mesures restrictives, avec des sanctions, ne font pas confiance au peuple. Là, on impose aux gens de rester chez eux, on pouvait leur faire confiance, ça n'est pas la peine d'en rajouter dans la loi. 

La confiance, c'est la responsabilisation. Quand personne n'est responsabilisé à ses attitudes, c'est sûr que c'est difficile d'avoir des conduites responsables.

  • Malgré des débats passionnés, pourquoi la contestation reste-t-elle minoritaire ?

Depuis le début de la crise, il y a eu très peu de résistance. Ce qui est extrêmement surprenant, c'est que les jeunes n'aient pas réagi, et notamment à l'université. Ce sont les étudiants qui ont été le plus affectés. Les grandes écoles, les préparations ou des lycées privés n'étaient pas touchés. Mais dans les lycées publics, et surtout à l'université, les conditions d'enseignement n'étaient pas satisfaisantes, vraiment pas.

Ils ont été les premiers touchés alors qu'ils sont peu soumis aux risques du virus. Ce sont ceux qui ont le plus payé les conditions de gestion de la crise et c'est vrai que nous n'avons pas eu de réaction. Aucune. 

Pour leur santé et pour celles des autres, les gens acceptent beaucoup de restriction de leur liberté. Finalement, c'est le droit à la vie. Pour préserver sa vie, même si c'est très relatif compte tenu des personnes qui sont vraiment à risque, pour préserver sa vie, on le fait à n'importe quel prix.

 

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