Depuis le 1ᵉʳ janvier 2024, les femmes ayant subi une fausse couche bénéficient d'un arrêt maladie sans jour de carence. L'autrice et journaliste Sandra Lorenzo, cofondatrice du collectif "fausse couche vrai vécu", auditionné à l'Assemblée nationale dans le cadre du projet de loi, explique en quoi cette mesure n'est pas applicable.
Vivre une fausse couche et perdre trois jours de salaire en cas d'arrêt de travail. C'était le sort des femmes jusqu'au 31 décembre 2023. Ce ne sera plus le cas en 2024 puisque ce délai de carence est supprimé dans ce cas précis. Elles percevront désormais leurs indemnités au 1ᵉʳ jour de l'arrêt. Une "très bonne idée" selon certains spécialistes, pourtant décevante au regard de femmes engagées dans ce combat et qui réclament "une reconnaissance de ce que les corps subissent".
Sandra Lorenzo est journaliste et autrice du livre " Une fausse couche comme les autres". Installée à Aubagne, elle a également co-fondé le collectif "fausse couche, vrai vécu", auditionné en commission parlementaire début 2023 sur ce projet de loi, avant qu'il ne soit débattu et ratifié en juillet. Aujourd'hui, elle évoque sa déception et explique pourquoi.
France 3 Provence-Alpes : Qu'est-ce qui vous dérange dans cette mesure qui apparaît comme une avancée ?
Sandra Lorenzo : Ce n'était pas une avancée, mais une mesure d'équité qui me semble assez normale : un arrêt maladie pour pouvoir, ne serait-ce que physiquement, se remettre de la fin d'une grossesse... C'est une épreuve que vit le corps de la femme, des saignements, des contractions, des douleurs... Eh bien cette équité est passée à la trappe. La mesure est entrée en vigueur le 1ᵉʳ janvier, et le 4 janvier, on s'est rendu compte au sein du collectif que l'Assurance maladie avait publié sur son site un article expliquant aux femmes que l'employeur pouvait "constater l’exonération de la carence" et donc déduire qu'il s'agissait d'une fausse couche.
En quoi est-ce pénalisant pour les femmes concernées ?
On sait qu'une femme qui est dans un projet de parentalité n'a pas intérêt à en parler à son employeur parce qu’elle peut passer à côté d'une promotion, ou être mise au placard, il y a des vrais risques pour sa carrière. Son employeur peut entrevoir un congé maternité à venir, puis se dire qu'elle aura moins de temps à consacrer à l'entreprise, donc favoriser un autre salarié. Une femme qui entame une grossesse et qui l'annonce au travail, n'est pas non plus en position de force pour négocier un salaire. C'est donc une atteinte à la confidentialité de l'arrêt maladie d'une certaine manière.
Vous avez contacté l'assurance maladie, que répond-elle à ce sujet ?
Il y a vraiment une volonté d'informer les salariés sur ce risque. C'est écrit en gras, en vue de prévenir. Mais si vous voulez rester discrète, il faut prendre l'arrêt de travail classique avec jours de carence.
Cela semble énorme comme loupé ! Comment les législateurs ont pu passer à côté de ça ? C'est juste un effet d'annonce en fait, parce que l'application de la loi n'est pas possible.
Sandra Lorenzo, cofondatrice du collectif "fausse couche vrai vécu"à France 3 Provence-Alpes
Combien de femmes vont prendre le risque que leur employeur déduise qu'elles sont en train de réfléchir à fonder une famille ? Et un arrêt maladie avec trois jours sans salaire, beaucoup de femmes ne peuvent pas se le permettre. Pour le coup, cela a des conséquences sanitaires qui sont très claires.
À quelles conséquences s'expose une femme qui ne s'arrête pas de travailler en cas de fausse couche ?
Ce n'est pas possible de vivre une fausse couche sur son lieu de travail, tout d'abord physiquement et psychologiquement, car cela peut entraîner un traumatisme. Parmi les témoignages que je rassemble dans mon podcast, une salariée raconte qu'elle a vécu sa fausse couche dans les toilettes du boulot, elle a dû tirer la chasse sur le contenu de la grossesse, quoi ! Depuis des années, elle ne peut plus retourner dans ces toilettes-là... C'est inhumain en fait d'imposer ça à des femmes. On est très en colère et très déçues, parce qu'au départ ce projet de loi sur le papier était ambitieux.
Est-ce que le regard sur cette question de ce que vous préférez qualifier d'arrêt naturel de grossesse n'est pas en train de changer ?
Aujourd'hui la fausse couche existe et c'est un sujet politique. Mais la question est plus vaste, ça touche à l'IVG, au début de la grossesse, qui n'existe pas aux yeux de la Sécurité sociale. Tout cela demande une réflexion d'ensemble sur la parentalité. À partir de quel moment devient-on parent ?
Il faut dépasser le symbole et mettre les mains dans le cambouis : comment prend-on en charge les femmes qui vivent ça?
Sandra Lorenzo, autrice du livre "Une fausse couche comme les autres"à France 3 Provence-Alpes
Dans sa conférence de presse, ce mardi, Emmanuel Macron a parlé de l'infertilité, de tous ces couples qui ne parvenaient pas à fonder des familles, tous ceux qui sont notamment en parcours PMA. Ils sont très concrètement en prise avec toutes les problématiques autour de l'arrêt naturel de grossesse... Quand ça fait des années qu'on l'attend et que ça arrive enfin, mais que ça s'arrête très vite. J’espérais d'ailleurs une question sur le congé maladie pour fausse couche, mais le Président n'a évoqué que le congé de naissance...
Quelle est la direction à suivre selon vous ?
Il faut informer beaucoup mieux les femmes dans les services d'urgence des hôpitaux comme dans les cabinets de généralistes sur ce qu'elles vont vivre. Sur le moment, on est perdue, on ne comprend pas tout, on pensait qu'on était enceinte, puis en fait, on ne l'est plus, on veut que ça s'arrête tout de suite, mais en fait peut-être pas. Une femme a besoin de temps pour décider de comment cette grossesse peut se terminer. Si elle veut prendre un médicament ? Attendre chez elle ? Qu’est-ce qui va se passer ? Est-ce qu'elle veut passer au bloc opératoire si son cas le permet ? On espère au moins que désormais les soignants se diront "fausse couche = arrêt de travail", ce qui n'est pas toujours le cas aujourd'hui.