"Les polluants éternels sont partout" : l'Institut écocitoyen de Fos-sur-Mer va analyser le sang de 450 personnes

L'institut écocitoyen de Fos-sur-Mer (Bouches-du-Rhône) se penche sur les PFAS, ces polluants éternels qui se sont infiltrés dans notre quotidien, remontant le courant de l'actualité jusqu'à l'Assemblée nationale. Une étude d'impact sur la santé des populations est en cours entre la vallée de la chimie à Lyon et le pourtour de l'étang de Berre.

À Fos-sur-Mer, l'Institut écocitoyen travaille en toute discrétion depuis 2023 sur ces polluants éternels, qui ont animé les récents débats parlementaires. Accusés d'empoisonner notre quotidien, les PFAS (poly et perfluoroalkylés), ont été révélés au grand public par des journalistes d'investigation, puis pointés du doigt par la militante écologiste Camille Étienne.

Leur étude approfondie est désormais aux mains des scientifiques de cet organisme indépendant. France 3 Provence-Alpes a visité son laboratoire, niché dans le ventre de l'une des plus grosses zones industrielles et portuaires d'Europe.

Une palette d'effets nocifs sur la santé

Maxime Jeanjean est l'épidémiologiste environnemental de l'Institut écocitoyen. C'est lui qui conduit, depuis plusieurs mois déjà, le programme PERLE, épaulé par Julien Dron, chercheur en chimie et spécialiste de la pollution atmosphérique.

Dans ce laboratoire, pas de recherche fondamentale, mais de la collecte et de l'analyse de données in situ. L'institut regroupe plusieurs disciplines scientifiques autour de l'environnement et de la santé, "on peut taper dans tous les coins, de l'écotoxicologie des sols, à la pollution de l'air, en passant par la bio surveillance humaine, avec beaucoup de prélevements et d'interprétations", expliquent-ils d'une même voix.

À l'été 2023, le scandale des PFAS fait surface à Lyon, porté par des journalistes d'investigation, révélant que les organismes des riverains de Pierre-Bénite sont contaminés par des polluants éternels. L'Institut écocitoyen est alors saisi du dossier par des associations. "Par la suite, la militante Camille Etienne s'est faite le porte-étendard de cette question", explique Julien Dron, "au travers d'un reportage de 45 minutes et c'est vrai, beaucoup de jeunes ont vu ça", ce qui a soulevé une vague d'écoanxiété.

Maxime Jeanjean confirme la présence dans les réunions publiques "de jeunes parents avec des enfants en bas âge, très inquiets". Et cela s'explique "par la palette d'effets sur la santé, qui cible les classes d'âge les plus basses et les plus vulnérables", selon l'épidémiologiste. "Les PFAS provoquent des pathologies de type cancers ou problèmes thyroïdiens, mais aussi des troubles de la reproduction et du développement de l'enfant. Les femmes enceintes comme les personnes âgées sont, elles aussi, fortement impactées".

L'enjeu de cette étude sur ces substances toxiques dites "éternelles" sera donc de préciser le lien entre pollution et santé, lequel n'est pas encore assez documenté.

L'éternité, qu'est-ce que c'est ? 

"Le terme 'polluant éternel' est un peu marketing" alerte Julien Dron, "il faut distinguer de quel milieu on parle". Maxime Jeanjean complète : "Chez les humains, les PFAS sont supposés être excrétés et l'homme de toute façon n'est pas éternel. Dans l'environnement, soit la molécule ne se dégrade pas et se stocke, soit elle va se dégrader de plus en plus petit, et là, c'est de l'ordre de milliers d'années".

"Ces polluants éternels sont partout", précise Julien Dron. Charriés à travers la planète par les eaux de pluie qui en assurent un "transport longue distance", ils se disséminent aussi par le biais de la chaine alimentaire. C'est un principe chimique qui confère à ces substances per-et polyfluoroalkylées, leur caractère d'éternité, explique Maxime Jeanjean, leur "liaison carbone fluor qui ne se dégrade pas et explique leur extrême stabilité".

La pollution aux PCB, interdits en 1987,se voit encore 50 ans plus tard chez les dauphins ou les ours polaires. C'est aussi vrai pour le mercure ou la radioactivité. Ces substances, on en retrouve sur les banquises au pôle Nord.

Julien Dron, chercheur en chimie à l'Institut écocitoyen de Fos-sur-Mer

France 3 Provence-Alpes

L'ultra résistance de ces composés chimiques les rend certes faiblement biodégradables, mais en a fait leur principal atout séduction aux yeux des industriels. Pour preuve, Maxime Jeanjean rappelle que leur toxicité n'est pas nouvelle, révélée dans les années 1950 avec le scandale Du Pont, avec la production de Teflon aux Etats-Unis, qui avait pourtant connu un retentissement mondial.

Par ailleurs, les PFAS viennent s'additionner à d'autres polluants éternels, découverts bien avant, tels, que le PBC (interdit en 1987), le mercure ou la radioactivité et qui restent, eux aussi, présents dans l'environnement malgré les interdictions qui les frappent.

Une campagne de prélèvements sanguins

Le fil conducteur de cette étude PERLE sera donc la bio surveillance humaine, programmée pour janvier 2025 au travers d'une campagne de prélèvements sanguins. Au total, l'étude portera sur 450 personnes, adultes et enfants, considérées comme exposées à ces polluants, dans deux zones industrielles : la vallée de la chimie à Lyon et le site industriel de Fos-sur-Mer. Le panel sera constitué de profils exposés aux polluants par leur mode de vies et leur alimentation.

La toxicité de ces produits, connue depuis les années 1950, a été passée sous silence par les industriels, parce qu'ils sont... super ! Leurs propriétés ignifuges ou déperlantes, leur résistance aux fortes chaleurs ou à la graisse les rendent irremplaçables.

Maxime Jeanjean, épidémiologiste environnemental du programme PERLE

France 3 Provence-Alpes

"Ce n'est pas un prélèvement de cheveux là, c'est invasif", souligne Maxime Jeanjean, qui précise que ces prises de sang seront faites par des infirmiers et assorties d'un questionnaire très précis, car  "la mission de l'institut, c'est d'intégrer les citoyens pour co-construire la recherche".

"Se mobiliser collectivement rassure"  

Les deux scientifiques nous entraînent dans leur petit laboratoire où des chercheurs passent à la loupe l'écotoxicité, à travers des échantillons de toutes sortes : lichens, sable, eau de rivière, etc. L'institut écocitoyen porte bien son nom. Cette association est née en 2010 sous la pression citoyenne. À l'époque, avec l'arrivée de l'incinérateur de Marseille sur la commune de Fos et du terminal méthanier sur la plage, la pilule a du mal à passer chez les riverains.

Ils réclament alors des données scientifiques pour évaluer l'impact des pollutions industrielles sur leur santé et sur l'environnement. Mais aussi pour argumenter face aux industriels et aux collectivités. L'institut est créé pour garantir autonomie et indépendance vis-à-vis des pouvoirs politique et économique, "même si l'indépendance financière n'existe pas", glisse Julien Dron, qui rappelle que l'association vit de subventions et que la pression budgétaire n'épargne pas l'équipe.

Mais cet institut reste animé par et pour les citoyens, c'est dans son ADN. Avec le programme PERLE, et comme pour chaque étude, des ateliers collaboratifs permettront aux habitants de formuler leurs attentes et leurs questions, mais aussi de faire des recommandations aux scientifiques de l'Institut.  

L'enquête s'adossera à celle de Santé Publique France menée à l'échelle nationale qui autorisera une comparaison des données.

"Face à la chape d'écoanxiété, se mobiliser collectivement rassure", conclut Maxime Jeanjean, "parce que tout débat éclairé nécessite de la nuance et que pour avancer, rien ne sert de créer, de la suranxiété."

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