A l’occasion de la journée mondiale de l’eau, Loïc Fauchon a livré son analyse face aux épisodes de sécheresse hivernale qui touchent la France et plus particulièrement la région Provence-Alpes-Côte d’Azur.
Des restrictions d’eau, des fleuves à sec, des incendies… Le tout en plein mois de mars. La journée mondiale de l’eau, mercredi 22 mars, laisse un goût amer en France et plus particulièrement en Provence-Alpes-Côte d’Azur cette année. Après un été caniculaire qui a battu tous les records, l’hiver affiche des précipitations très basses qui empêchent de recharger les nappes phréatiques. Cette situation est-elle destinée à s’aggraver ? Peut-on encore inverser la tendance pour éviter des pénuries d’eau à l’avenir ? France 3 Provence-Alpes a interrogé, Loïc Fauchon, ancien patron de la Société des eaux de Marseille, et actuel président du Conseil mondial de l'eau, pour avoir son analyse de la situation actuelle.
France 3 Provence-Alpes : A quoi ça sert ce Conseil mondial de l'eau ?
Loïc Fauchon : Le Conseil mondial de l'eau, c'est la voix de l'eau. C'est la représentation de tous les gouvernements, de toutes les institutions de l'eau qui parle d'une voix unique pour dire aux décideurs : “Cessez d'ignorer l'eau”
Quelle est la situation mondiale en ce qui concerne l'eau ?
L'eau est en crise, mais ça n'est pas d'aujourd'hui. Depuis des années, l’eau est attaquée par le climat et par la démographie. Et la démographie, en ce moment, nous fait plus de mal que le climat. Nous devons présenter à New York des solutions concrètes pour permettre de faire face à la croissance des populations. Rendez-vous compte que l'Afrique, aujourd’hui, c'est 1 milliard d'habitants. Et ce sera peut-être trois ou quatre dans une trentaine ou quarantaine d'années. Comment allons-nous fournir de l'eau face à un tel accroissement de population ? Et le réchauffement climatique, c'est la cerise sur le gâteau.
Est-ce que l'eau, dans ce contexte, peut devenir une denrée spéculative ?
Absolument pas. Il y a eu quelques tentatives il y a vingt ans par exemple en Australie ou aux Etats-Unis mais elles ont tourné court. Et pour nous, ça n'est pas du tout un sujet.
Est-ce que cette crise de l'eau doit changer nos modes de vie, notamment pour ceux qui, comme en Provence, sont touchés par des épisodes de sécheresse plus fréquents ?
Évidemment, oui, de la même façon que nous allons changer notre rapport à l'énergie, comme c’est le cas aujourd’hui face à la flambée des prix notamment. Nous devons avoir un comportement plus respectueux, plus citoyen, à l'égard de l'eau. D'abord parce qu'il va falloir en produire plus pour faire face à l'accroissement de la population, et nous allons consommer moins et mieux avec respect. Nous n'avons pas respecté l'eau et maintenant, elle se rappelle à notre bon souvenir.
Que peuvent faire concrètement les agriculteurs et industriels pour faire face à cette problématique ici en Provence ?
L'Agriculture va devoir utiliser partout des modes plus rationnels, plus économes, de l'eau en misant davantage sur l’aspersion et le goutte-à-goutte par exemple. Les industriels, eux, doivent miser sur le recyclage absolu et total.
Est-ce que cette sobriété passe par une régulation des piscines ou de l’arrosage des terrains de golf ?
C’est utile d’y réfléchir parce qu'il faut être prévoyant. Aujourd'hui, nous n'avons pas de problème dans la région Sud, mais les Bouches-du-Rhône comptent 250 000 habitants de plus qu’il y a vingt-cinq ans. Et donc ça fait plus de demande en eau. La plupart des piscines sont en recyclage aujourd'hui et consomment relativement peu d'eau. Pour les golfs, c'est plus compliqué, mais ça avance. Ils seront tous équipés en recyclage d'ici moins d'une dizaine d'années.
La vraie question, c'est la réutilisation des eaux usées pour les villes. C'est l'évolution, voire la révolution de ce siècle. Nous sommes très en retard en France.
Loïc Fauchonà France 3 Provence-Alpes
Ce qui me hérisse le poil par exemple, c'est de voir l'eau couler dans les rues et être gaspillée. La propreté urbaine n'a pas besoin qu'on gaspille l'eau. Il faut changer la législation pour que nous puissions consommer de l'eau qui vient du recyclage comme on le fait dans d'autres pays. Et le dessalement, plus le recyclage, sont d'autres solutions qui nous permettent de ne pas mettre tous nos œufs dans le même panier. Nous pouvons affronter l'avenir avec beaucoup d'optimisme.
En tant que président du Conseil mondial de l'eau, vous estimez que toutes les petites initiatives personnelles sont utiles ?
Absolument. Pour l'eau comme pour l'énergie, c'est indispensable d'être plus sobre, plus responsable, plus solidaire. Chacun d'entre nous doit faire son examen de conscience. Et se dire, pour l'année qui vient : "Je vais consommer 5 % de moins d'eau que l'année dernière et l'année d'après, encore 5 %." "Je vais prendre une douche et pas un bain." Il y a une multitude de possibilités d'économiser l'eau et il faut que chacun s'y mette. Et nous avons une proposition, que je ferai à nouveau à New York, qui est d’inciter tous les gouvernements à produire des programmes scolaires, du primaire jusqu'à l'université, de sensibilisation aux économies d'eau et d'énergie.
Plusieurs maires ont déjà pris des arrêtés liés à la sécheresse alors que nous ne sommes qu’à la mi-mars. Etes-vous inquiet de la situation de l'eau sur la Provence ?
Il ne faut pas tout mélanger. Si vous prenez l'Huveaune, qui est à proximité, elle ne coule pratiquement plus. Mais il n'empêche que toutes les communes autour ont autant d'eau qu'il est nécessaire. Donc, il ne faut pas confondre les régimes des cours d'eau et la disponibilité des ressources en eau. Certaines communes sont mal raccordées au grand réseau du canal de Provence, du canal de Marseille. Et là, il y a des efforts d'investissement à faire qui n'ont pas été réalisés par le passé. Mais ce sont des cas relativement peu nombreux, notamment dans le département du Var.
Quel est le message du président du Conseil mondial de l'eau à tous les Provençaux pour 2023 ?
Il faut convaincre les décideurs que l'eau, c'est politique. L'eau a besoin aujourd'hui de volonté politique. Les solutions, nous les avons mais pour les mettre en œuvre, il faut de la volonté et des moyens. C'est aux politiques de jouer. Quant aux citoyens, ils doivent être respectueux de l'eau, car c’est notre principale ressource nécessaire à la vie, il ne faut plus la gaspiller.
Entretien réalisé par Nathalie Chevance