Le ministre de la Transition écologique a convoqué ce lundi 27 février les préfets pour "anticiper" la sécheresse et "prendre les mesures qui permettent dès à présent de faire des économies d'eau".
Face au risque de sécheresse qui se dessine pour l'été prochain, Christophe Béchu convoque ce lundi 27 février les préfets, dont ceux des Bouches-du-Rhône et du Var qui ont déjà pris des mesures de restrictions d'usage de l'eau. Depuis l'automne dernier, la sécheresse s'est installée sur le Sud-Est et les spécialistes alertent sur l'état préoccupant des nappes phréatiques. Après la neige qui a recouvert d'un fin manteau blanc quelques communes à l'est des Bouches-du-Rhône, Météo France annonce un épisode orageux dans les prochaines heures, cela suffira-t-il à recharger les nappes phréatiques ? Réponse de Serge Zaka, conférencier et consultant en agroclimatologie.
France 3 Provence-Alpes : la neige de ces dernières heures et les orages annoncés par Météo France vont-ils suffire pour rattraper notre déficit en pluie ?
Serge Zaka : Depuis le printemps dernier, on a un retard très conséquent sur l'ensemble de l'arc méditerranéen, de plus de 200 mm en Paca. Les quelques dizaines de millimètres qui sont tombés localement, c'est juste bon à humidifier la surface du sol. Le neige va humidifier les 20 premiers centimètres du sol, ce qui nous intéressent c'est vraiment d'humidifier l'ensemble des sols jusqu'à deux mètres de profondeur et surtout alimenter les nappes phréatiques.
Surtout que pour la suite des dix prochains jours, il est prévu très peu ou pas de précipitations. Ce n'est pas suffisant, normalement à cette période de l'année, il pleut beaucoup plus régulièrement.
Quel est actuellement l'état des nappes phréatiques ?
La situation est alarmante. Pour une fin février, début mars, on est au mieux à 20 % de la moyenne, c'est-à-dire que la plupart des nappes phréatiques sont déficitaires. La situation est largement pire que l'année dernière, au niveau des sols agricoles comme des nappes phréatiques, on a 10 à 30 % de moins que l'an dernier.
"On est pratiquement sûr maintenant que les nappes phréatiques vont être déficitaires pour le reste de l'année."
Serge Zaka, agroclimatologue
Ce déficit peut-il encore se rattraper ?
Pour les nappes phréatiques, ça va être un peu tard, pour les remplir. Après le 1er avril, la végétation va se réveiller, et 70 % de l'eau qui va tomber du ciel va être utilisée par l'agriculture et les écosystèmes. On est pratiquement sûr maintenant que les nappes phréatiques vont être déficitaires pour le reste de l'année dans notre région.
La seule chose qui pourrait nous sauver, c'est qu'il pleuve suffisamment en surface en mars, avril, mai, juin, pour contrer la sécheresse en surface et éviter de pomper dans les nappes phréatiques.
Vous parlez de "pluies efficaces", qu'est-ce que c'est ?
Ce sont les pluies qui vont ni ruisseler, ni évaporer, ni transpirer, ce sont les pluies qui pénètrent dans le sol ? Pour l'instant, on n'a pas du tout rattraper la sécheresse de 2022. Ce qu'il faut comprendre, c'est que le problème, ce n'est pas la sécheresse qu'on a eu en février, c'est la continuité de la sécheresse de l'an dernier. On cumule du retard, et plus on le cumule, plus il est difficile de le rattraper.
"Ce qu'il nous faudrait, c'est de la pluie fine et continue, un peu comme ce que l'on a eu avec la neige là, des pluies faibles à modérées mais régulières, qui hydratent bien le sol et pendant plusieurs semaines."
Serge Zaka, agroclimatologue
Si on a de la pluie tout le printemps, ce ne sera pas bon pour le tourisme mais pour les agriculteurs et les écosystèmes c'est ce qu'il nous faut. Pas des épisodes méditerranéens, la plupart de l'eau ruisselle parce qu'elle tombe en trop grande quantité et ça n'apporte pas de pluies efficaces... et la saison de ces épisodes va de fin août à novembre.
Ce qu'il nous faudrait, c'est de la pluie fine et continue, un peu comme ce que l'on a eu avec la neige là, des pluies faibles à modérées mais régulières, qui hydratent bien le sol et pendant plusieurs semaines, même plus d'un mois.
Il faudrait selon vous renforcer dès à présent les restrictions d'eau ?
Il faut serrer la vis et très rapidement pour toutes les utilisations de l'eau qui pompent dans les nappes phréatiques : laver les voitures, remplir les piscines, nettoyer les sols urbains, arroser les parterres en ville ou les pelouses des ronds-points.
Je pense que ce sont des mesures qui vont être prises (NDLR : par le ministre de la Transition écologique qui reçoit les préfets ce lundi), et si elles ne sont pas prises, on passe à côté du problème. Pour l'eau, on est pas sur un plan de sobriété comme l'électricité. On est plutôt sur un plan de "bon sens". L'eau, on ne peut pas la chercher ailleurs, on dépend du climat.
Mais avant même de limiter la consommation, il y a plein de choses à mettre en place. Il faudrait peut-être réparer les fuites des anciennes canalisations. 20 % d'eau est perdue à cause de ces fuites, c'est de l'eau qui est gaspillée. Toutes ces petites fuites à l'échelle d'une région, ça fait un torrent.
Il y a aussi la réutilisation des eaux usées, on est extrêmement mauvais en France, on a 1 % de l'eau qui est réutilisée pour l'agriculture. Toutes ces eaux sorties des stations d'épuration qui sont bien sûr contrôlées, au lieu de les rejeter dans le milieu naturel, on peut les connecter à des systèmes d'irrigation, et c'est un circuit fermé qui serait très vertueux pour du maraîchage, de la courgette, de la tomate ou du melon. L'Espagne et l'Italie font entre 8 à 15 fois plus que nous en volume d'eau, donc regardons les technologies qui sont développées là-bas, et profitons de ces expériences pour en tirer des conclusions chez nous.