Le déficit pluviométrique de cette année 2022 a entraîné un assèchement des sols et un appauvrissement de nos réserves d'eau en surface comme en souterrain. Si la situation est nationale en PACA, elle est jugée très préoccupante.
Symbole de cette sécheresse dans notre région, les Gorges du Verdon et les images chocs qui ont fait le tour des réseaux sociaux cet été. Une partie en tout cas des Gorges, où le niveau de l'eau était au plus bas cet été, moins six mètres par endroit.
Des barrages pour réguler les besoins en eau
Il faut savoir que ce tronçon des Gorges est un tronçon artificiel, coincé entre des barrages.
"Si Sainte-Croix a été vidé en partie, c'était pour acheminer l'eau, en aval de Gréoux, pour le canal de Provence. Le but était d'alimenter le Var et les Bouches-du-Rhône en eau potable" explique Karine Viciana, directrice adjointe de la Maison Régionale de l'eau.
C'est le protocole normal, les Bouches-du-Rhône et le Var ont comme principe de précaution de pouvoir puiser cette eau. C'est d'ailleurs la raison de la construction de ces retenues d'eau.
"Les deux réservoirs de Serre-Ponçon et Sainte-Croix sont la clé de voute de l'alimentation de notre région en eau", précise Karine Viciana.
" L'accès à l'eau agricole a été une préoccupation constante, la forêt, la faune et la flore ont souffert. Les conditions ont été propices au déclenchement d'incendies (exemple de la Montagnette dans les Bouches-du-Rhône) et certaines activités touristiques ont tourné au ralenti ou ont été interdites. La mer Méditerranée a subi des canicules marines", détaille pour sa part le groupe régional d’experts sur le climat en région Sud Provence-Alpes-Côte d’Azur ( GREC-SUD).
D'ailleurs, pour Karine Viciana " les ressources locales des villes de la côte ont été asséchées, et des communes ont fait appel à leur sécurisation. En juillet et août, le canal de Provence a eu des demandes majeures jamais faites auparavant".
Les cours d'eau ont commencé à souffrir dès le printemps à cause d'un hiver sec.
"Sur décembre, janvier et février, les cumuls de précipitations ont été très déficitaires. Moins 50 % par rapport à la période de référence 1961-1990", indique Antoine Nicault, coordinateur général d'air Climat et animateur du GREC-SUD.
" Et les mois de janvier et février ont été particulièrement secs avec à eux seuls des déficits de -90 % en janvier et -70 % en février".
La situation n'a fait que s'aggraver.
" C'est le deuxième printemps le plus sec depuis 1959 avec un déficit de précipitations de plus de 50 %. Pour certains secteurs de la région, ce constat est encore bien plus marqué à 80%".
"La sécheresse de 2022 a dépassé celle de 1976, car nous vivions déjà à crédit depuis 2016. On constate des réductions de débit plus tôt dans l'année. Avant c'était fin juillet, mi-août, à présent on les a dès la mi-mai", s'inquiète Karine Viciana.
Une sécheresse historique en 2022
Les scientifiques et observateurs des cours d'eau sont unanimes, cette année 2022 est historique en terme de chaleur et de sécheresse et notamment dans notre région.
"L'été 2022 a été exceptionnellement chaud en Provence-Alpes-Côte d'Azur. La température minimale a dépassé la normale de 3,7 °C et la température maximale de 5 °C, ce qui signifie que l’été 2022 a été plus chaud en moyenne que l’été caniculaire de 2003 dans la région", indique le groupe régional d’experts sur le climat en région Sud Provence-Alpes-Côte d’Azur (GREC-SUD).
Parmi les conséquences de cet été très chaud et sec, la population a été fortement exposée à la chaleur, notamment au cœur des villes, des communes ont manqué d'eau.
" A cause des températures caniculaires et du peu de précipitation au cours de l’été, les débits des cours d’eau de l’ensemble de la région continuent de baisser et atteignent des niveaux critiques sur certains bassins versants", assure la Direction régionale de l'environnement, de l'aménagement et du logement PACA (DREAL)
Et cette année a été particulière aussi car plusieurs phénomènes sont venus se greffer.
"La situation actuelle est la conjugaison de plusieurs phénomènes, il y a d'abord eu le déficit pluviométrique qui a commencé dès l’automne dernier dans les Bouches-du-Rhône et le Vaucluse par exemple et les Alpes du sud ont manqué de neige et la fonte a été précoce cet hiver", analyse Antoine Nicault du GREC-SUD.
Et par conséquent, les nappes phréatiques et les rivières ont été moins alimentées.
Pour ce spécialiste, "c ette fonte trop précoce n’a pas pu soutenir les cours d’eau en juin comme c’est le cas normalement quand la fonte des neiges est à la bonne période et en quantité suffisante".
Ces phénomènes se sont conjugués aussi cette année avec une chaleur excessive et précoce, de la canicule en été et aucune précipitation en été", précise Antoine Nicault.
Et pour l'expert, la sonnette d'alarme doit être tirée.
" 2022, est une année qui illustre bien ce que peut donner les changements climatiques à terme".
Un avis partagé par Karine Viciana, "cette année présage du futur qui nous attend et devrait servir de base de travail pour anticiper les années à venir notamment les besoins en eau, la répartition de l'eau. Il va falloir réinventer de nouvelles solidarité de l'eau"
Le GREC-SUD est formel :" depuis 1985, les anomalies de température en été sont systématiquement positives".
Les réserves souterraines sont atteintes également
Les vagues de chaleur ont été accompagnées d'un déficit pluviométrique de près de -30 % sur l'ensemble de la période.
Ces faibles cumuls de précipitations depuis septembre 2021, ont provoqué un déficit hydrique très prononcé dans la région.
De septembre 2021 à août 2022, "c'est la période la plus sèche jamais observée dans les Alpes-Maritimes avec un cumul de pluie moyen de 620 mm contre 667 mm en 1989/1990, qui était l'année la plus sèche auparavant," rappelle Antoine Nicault, .
D'ailleurs, les relevés de météo France montrent que l'ensemble des départements du Sud-Est ont connu un déficit de précipitations durant l'année 2021-2022, par exemple 56% dans les Alpes-Maritimes et de 64% dans le Var.
A F réjus, dans le Var , seulement 386 mm sont tombés durant cette année, un record devant les 451 mm de l'année la plus sèche en 1989/1990.
" Les nappes sont au plus bas, aujourd'hui ces ressources sont très basses sur la côte, voir asséchée", constate Karine Viciana.
C'est justement le point d'alerte du BRGM (Bureau de Recherches Géologiques et Minières) en ce mois de septembre, " l’état des nappes se maintient et reste globalement proche de celui de juin. Les nappes inertielles et les nappes les moins sollicitées résistent le mieux à la sécheresse. La situation demeure cependant préoccupante pour un grand nombre de nappes qui affichent des niveaux bas à très bas en PACA".
"Pratiquement partout, les niveaux moyens sont inférieurs aux moyennes d’août en particulier dans la nappe de Crau, dans celle de l’Huveaune, dans les plaines de Vaucluse et les grands aquifères karstiques du Var et de Vaucluse", note la Direction régionale de l'environnement, de l'aménagement et du logement PACA (DREAL) dans son dernier bulletin hydro concernant la période juillet-août 2022.
Un constat partagé par les experts du GREC-SUD, " Le faible niveau du lac de Serre-Ponçon et du lac du Castillon a été très médiatisé, mais la sécheresse historique a affecté sévèrement toute la ressource en eau de surface et souterraine"
La biodiversité des rivières impactée
"La récurrence des sécheresses et des fortes chaleurs à terme va avoir un impact sur le changement climatique", prévient Antoine Nicault avant de poursuivre " Cela crée une tension sur les nappes phréatiques et le système aquatique".
En témoigne la disparition des écrevisses à pattes blanches. C'est l'exemple des conséquences de l’impact de la sécheresse sur la biodiversité des rivières. Une surmortalité cet été des écrevisses à pattes blanches sur tout le territoire national a été constaté et notamment dans les Alpes-de-Haute-Provence.
Cette espèce plutôt méconnue a pourtant un rôle essentiel. Elle vit dans nos cours d’eau frais et bien oxygéné dans peu de profondeur. Elle est fragile car très sensible à la pollution et aux fortes augmentations de température. Sa présence ou sa disparition est un indicateur de la qualité d’un cours d'eau.
L’écrevisse à pattes blanches est sur la liste rouge des espèces mondiales en danger.
Dans les Alpes Maritimes, cet été, un arrêté préfectoral a autorisé la pêche avec relâche immédiate du 11 au 25 juillet 2022 dans le cadre d’une étude scientifique pour un recensement dans le département après la tempête Alex.
Le Syndicat Mixte d'Aménagement de la Vallée de la Durance, SMAVD, a publié ses conclusions sur le mois de septembre et alerte sur la situation de la nappe de la Crau. "Cette nappe, alimentée à 70% par l’eau de la Durance infiltrée depuis les parcelles irriguée, a vu ses apports réduits du fait de la fermeture le 1er septembre du canal de l’Union Boisgelin-Craponne. 300.000 habitants dépendent d’elle pour leur alimentation en eau potable".
"Jamais on aurait pu croire que nos réserves soient aussi sollicitées et cela ne va pas aller en s'arrangeant malheureusement. Il va falloir revoir le partage de l'eau entre amont et aval et le partage équitable entre agriculture et rivière", prévient Karine Viciana de la Maison Régionale de l'eau.
Des orages salvateurs et causes de dégâts dans les rivières
Pour la Maison Régionale de l'Eau d'ailleurs ces orages n'ont pas apporté la pluviométrie suffisante et pire, ils ont provoqué des dégâts dans le fond de certaines rivières des Alpes-Maritimes notamment.
" Ce qui nous inquiète, c'est ce que nous avons constaté après les pluies tombées sur des sols très secs. Cela a drainé tout un tas de sédiments et ils se sont déposés dans les rivières. Ces sédiments ont provoqués du colmatage sur le fond de la rivière et cela asphyxie la rivière".
Et ces colmatages, vont avoir un impact à long terme sur la biodiversité.
" C'est très pénalisant pour la vie aquatique, et cela aura un impact sur la reproduction des truites, elles ne vont pas trouver de "frayères", ces zones de reproduction où le courant va vite et donc bien oxygénées et propices à la survie des œufs de la truite".
La solution attendue serait " un gros orage significatif qui fasse du décolmatage pour retrouver du débit et faire partir ces sédiments".
Des épisodes méditerranéens
Les prévisions météorologiques prévoient des orages sur le week-end à venir "mais si la pluie n'est pas plus intense que la dernière fois, cela ne changera rien".
En septembre, les besoins en eau sont moins importants, l'agriculture a moins besoin d'irriguer, les touristes sont partis, les productions agricoles sont arrivées à maturité et il fait moins chaud aussi.
"Pour autant, il n'y a pas eu de pluie significatives pour que les niveaux des cours d'eau remontent. Avec les orages récents, cela a provoqué des remontées mais temporaires", évoque Karine Viciana.
C'est ce que confirme le Syndicat Mixte d'Aménagement de la Vallée de la Durance, SMAVD. "Les pluies d’août ont eu peu d‘impact sur la nappe de la Crau. A cause de la chaleur, de l’intensité des
événement pluvieux, et de la sécheresse de sol, ces précipitations ont majoritairement été évaporées,
consommées par les plantes, ou ont ruisselées, plutôt que de s’infiltrer. Le remplissage de la nappe
affiche un niveau bas pour la saison".
Les mesures de restrictions d'eau maintenues
De nombreuses communes de la région sont encore, en alerte sécheresse ou vigilance sécheresse avec des restrictions concernant l'utilisation de l'eau encore en ce mois de septembre 2022.
Depuis le 1er avril 2022, l’ensemble du département du Var est placé en situation de "vigilance sécheresse" et des arrêtés précisent les mesures de restriction de l’usage de l’eau et activent des stades sécheresse supérieurs sur plusieurs bassins varois au moins jusqu'au 15 octobre prochain.
Certaines zones des Alpes-Maritimes sont elles aussi maintenues en alerte et crise sécheresse jusqu'au 15 octobre.