Marcel Courtet est chauffeur de taxi depuis 12 ans à La Ciotat. Il a investi 200 000 euros, les économies d'une vie, pour se payer sa licence. Aujourd'hui avec la réforme de la prise en charge sanitaire et la concurrence des VTC, son avenir est sombre. C'est la raison de sa mobilisation aujourd'hui.
Les taxis bloquent les routes autour de Marseille ce lundi 2 décembre 2024 pour protester contre des mesures liées à la nouvelle convention de l'Assurance maladie. Les principales revendications concernent une baisse significative des tarifs kilométriques pour le transport de malades assis et l'obligation de recourir au covoiturage sanitaire, ce qui affecte directement leurs revenus. Marcel Courtet, chauffeur de taxi à La Ciotat, fait partie du millier de chauffeurs présents à Lançon de Provence pour manifester leur colère contre la réforme de la prise en charge sanitaire. Cela fait un an que les fédérations de taxis négocient cette réforme de transports sanitaires.
"Il y a de l'humain derrière les transports sanitaires"
Un chauffeur de taxi qui prend en charge des patients, "ne prend pas en charge de la marchandise", c'est ce que veulent faire entendre les manifestants aussi, il y a un rôle d'accompagnant qui n'est pas pris en compte dans le tarif proposé par la Cnam.
"C'est parce qu'il y a de plus en plus de gens qui sont âgés et qui sont de plus en plus malades. Donc en fait, on remplit juste notre part de marché, on fait notre travail. Il y a de plus en plus de courses médicales donc ça coûte de plus en plus cher à la CPAM. Mais ce n'est pas nous qu'on doit blâmer, ce n'est pas notre faute".
Pour Marcel Courtet, l'injustice et l'incompréhension règnent. "On ne comprend pas pourquoi on est mis à la porte. Voilà 12 ans que je fais ce métier. 12 ans que je rencontre des gens malades qui font des radiothérapies, des chimiothérapies parce qu'ils ont des cancers et tout ça, c'est au quotidien".
Derrière la course, il y a l'empathie, mais, il faut pouvoir encaisser aussi, "ce n'est pas facile pour eux, ce n'est pas facile pour nous. Parce que nous, quand on a 10 clients qui nous racontent leur souffrance au bout du dixième client dans la journée par empathie, c'est compliqué pour nous".
Pour les chauffeurs de taxis, comme Marcel Courtet, c'est parfois pesant de ne plus voir un patient, ou de les voir évoluer dans leur maladie. "On fait ce métier-là du mieux qu'on peut en essayant de prendre soin de nos patients et puis on fait bien notre travail, il y en a de plus en plus des patients qui sont âgés et qui ont besoin de ce genre de transport. Certains ont un choc psychologique, après l'annonce d'une maladie, et puis on les accompagne jusqu'au bout. On voit l'évolution de la maladie, parfois, on les voit aller vers la guérison et parfois, cela ne va pas dans le bon sens, et on les accompagne jusqu'à la fin. Et c'est très dur parce qu'en 12 ans, on a sympathisé avec certains, et on les voit partir, parfois, c'est dur".
40% de chiffres d'affaires en moins et la concurrence des VTC
Lorsqu'il a commencé sa carrière de taxi, Marcel Courtet savait que les VTC étaient déjà autorisés. "Depuis 10 ans, on a laissé passer les VTC, Uber, on a manifesté, mais le gouvernement les a laissés en place. Avec les applications, ils ont pris les mêmes clients que nous. Donc, maintenant qu'on a perdu quasiment 90 % de notre clientèle dans les petites villes, on n'a plus de course de taxi traditionnel, on n'a que du médical".
Jusque-là, les taxis arrivaient à sortir leur épingle du jeu. "Maintenant qu'on a plus que du médical, la Cnam va baisser les tarifs de moitié quasiment. C'est-à-dire qu'on est à un euro 60 pour passer à 90 centimes du km. Ce qui fait qu'on perd vraiment 40 % du chiffre d'affaires. Sauf qu'aujourd'hui, si on perd 40 % du chiffre d'affaires, on s'en sort plus. On ne pourra pas continuer parce qu'on va travailler à perte".
Une lutte du quotidien, contre une concurrence jugée "déloyale", mais autorisée par l'État. "Ils n'ont pas de licence à acheter. Donc forcément tous les jours, il y en a des nouveaux. Et eux, ils ne font pas de transports sanitaires. Donc, ils nous prennent tous les clients sans compter qu'en plus, ils ont un tarif libre. C'est-à-dire qu'eux, ils fixent les tarifs".
La trêve des jeux Olympiques
Alors que cette réforme de la prise en charge sanitaire est dans les tuyaux depuis un moment, le statu quo est sur le point de prendre fin. " Normalement la convention est réévaluée tous les cinq ans, mais là avec les jeux olympiques cette année, on a eu une convention pour un an, une sorte de prolongation. Ils ont eu peur qu'on foute le B... pendant les jeux olympiques. Et là maintenant, ils nous disent, 'on veut même plus négocier avec vous, c'est ainsi, pas autrement'. Et nous, on dit 'Mais ce ne sera pas, on ne pourra pas survivre'. Et ils n’en ont rien à faire. Ils nous disent, c'est comme ça. Donc là, on a plus de choix maintenant". Le manque de dialogue est le plus stressant pour les chauffeurs de taxi qui craignent de tout perdre.
Une licence de 200 000 euros et 1 000 euros d'essence par mois
"Je ne vais pas perdre 200 000 € de valeur de licence que j'ai payée en 10 ans", annonce Marcel Courtet, quelque peu résigné, mais aussi en colère. "Je suis juste en train de me rendre compte que je risque de perdre un investissement de 10 ans, de 200 000 euros. C'est comme vous, si on vous disait vous achetez un appartement en 20 ans de crédit, puis au bout de 20 ans, l'État vous dit je fais une loi et je le récupère. Vous êtes content ? Vous allez être énervé ? Vous allez être comment ? Bah voilà ce qu'on vit actuellement. Les gens ne comprennent pas, mais c'est ça".
Le coût de la vie augmente, le prix de l'essence aussi.
"On paye 1000 € d'essence par mois. On paye toutes les charges. Avec toutes ces charges-là, comment vous voulez qu'on s'en sorte ? Ils veulent nous enlever carrément 60 %. On en arrive à 95 centimes au lieu d'un 1,80 € du kilomètre. Comment vous voulez que ce soit viable ? On nous a enlevé le travail de taxi traditionnel, si on nous enlève le taxi médical, il nous reste quoi ? Il ne reste plus rien. Et on perd donc notre licence parce qu'on ne va pas les vendre. Donc ma retraite, elle va mal se passer dans quelques années".