"123 millions d'euros gaspillés chaque mois" : trop de médicaments partent à la poubelle dénoncent des infirmiers libéraux

"Balance ton gaspi", le cri du syndicat Convergence infirmière poussé en avril dernier, a été entendu par la Cour des comptes et la Caisse nationale d'assurance-maladie. Mais aucune solution n'existe à ce jour pour donner une seconde vie aux médicaments non utilisés.

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"On le voit chez nos patients, ça s'accumule tellement... c'est un gaspillage énorme". David Cosentino est infirmier libéral depuis 17 ans, dans la région marseillaise. Couches, perfusions, pansements, seringues, laxatifs... Il le constate au quotidien, ce sont autant de matériels médicaux ou de médicaments abondamment prescrits qui se retrouvent trop souvent inutilisés. "Dans un contexte où la sécurité sociale veut réaliser 1,5 milliard d'économies, il faut faire quelque chose", s'insurge ce représentant du syndicat Convergence infirmière.

Urgence à agir

Une organisation professionnelle qui a fait entendre sa voix en avril dernier en lançant l'opération "Balance ton gaspi". Durant un mois, des infirmiers partout dans le pays ont pris soin de collecter, chez leurs patients volontaires, ce surplus qui s'entasse dans les armoires à pharmacie où dans des cartons. Il fallait provoquer un électrochoc dans l'opinion publique, "le poids de l'image compte", explique Ghislaine Sicre, présidente de Convergence infirmière. "Nous les avons donc récoltés, comptabilisés puis déversés le 2 avril dans neuf villes de France".

Pour être certaine de marquer les esprits, Ghislaine Sicre insiste :" nous avons extrapolé le calcul sur la base de 35 000 cabinets infirmiers, pour arriver à 123 millions d'euros gaspillés en médicaments chaque mois soit 1,476 milliard à l'année". Le syndicat a depuis été auditionné par la Cour des comptes, mais aussi par la CPAM et s'en félicite : "il y a urgence à agir pour les finances publiques et pour l’environnement".

"Faire évoluer le cadre réglementaire"

Tandis que la tension monte du côté de l'approvisionnement, laissant présager de nouvelles pénuries de médicaments, ce gaspillage fait couler de l'encre. "Nous avons établi une liste non exhaustive de 560 médicaments qui sont les plus gaspillés aujourd’hui en France", explique Ghislaine Sicre, "nous faisons des propositions pour réaliser des économies, lesquelles permettraient par ailleurs de revaloriser certains actes infirmiers, comme la pose d’un pansement, payée 6,5 euros depuis 15 ans".

Le 19 septembre dernier, c’est au tour de l'UFC-Que choisir de soulever la question du gâchis de médicaments et de "balancer son gaspi". L'association de consommateurs affirme avoir testé des produits à base de paracétamol et d'ibuprofène, dont 80% seraient efficaces jusqu'à 30 ans après la date de péremption affichée sur les boîtes.

L'Union fédérale des consommateurs pointe du doigt "un renouvellement plus rapide des médicaments qui a un coût pour le système hospitalier et l’assurance maladie".

L'UFC-Que choisir jette donc un gros un caillou dans le jardin des puissants lobbies pharmaceutiques laissant entendre que "les critères économiques prennent le pas sur les critères scientifiques" et réclame "une évolution du cadre réglementaire".

Pas de recyclage possible

La réponse de Cyclamed ne s'est pas fait attendre. Cet éco-organisme crée en 1993, est seul agréé par les pouvoirs publics pour collecter les MNU (Médicaments non utilisés), périmés ou non, rapportés par les particuliers en pharmacie. Selon ses propres chiffres, près de 9000 tonnes de MNU (médicaments non utilisés) sont collectées chaque année, un chiffre "en baisse en 2023", affirme Cyclamed dans son communiqué. S'il "soutient l'action d'UFC-Que Choisir," il précise cependant que le nombre de produits visés par cette étude est restreint, rendant sa validité scientifique "discutable".

Cyclamed continue donc à encourager le "geste écoresponsable" des consommateurs, qui consiste à rapporter les médicaments périmés ou non utilisés chez son pharmacien, dans l'objectif de "protéger l'environnement et la sécurité sanitaire".

"Hélas, Cyclamed ne recycle rien du tout ! " répond Ghislaine Sicre, "les MNU partent dans les ordures ménagères pour être incinérés, et au-delà du gâchis, cette pollution est une catastrophe pour la planète". Convergence infirmière réclame donc la mise en place d'une "filière seconde vie" des médicaments et propose des consultations d’infirmiers "pour aider les particuliers à faire le point dans leurs armoires", avant de se rendre en pharmacie avec leurs ordonnances.

Quel remède contre ce gâchis ?

Même son de cloche pour Stéphane Pichon, président du Conseil régional de l'ordre des pharmaciens en Paca : il est inutile de stocker les médicaments prescrits. "Deux choses sont importantes, la stricte observance des prescriptions médicales, aller au bout des traitements et n'avoir que quelques médicaments de fond dans la boîte à pharmacie familiale."

Mais à ce jour personne ne répond clairement à la question "que faire avec des boîtes neuves de médicaments pour qu'elles servent à des personnes dans le besoin ?"

Depuis le 1er janvier 2009 et par décision des pouvoirs publics, la réutilisation des MNU et leur redistribution humanitaire sont interdites en France, suivant les recommandations de l'Organisation Mondiale de la Santé (OMS)."Il faut comprendre qu'il en va de la sécurité sanitaire et de la traçabilité des médicaments que nous consommons dans notre pays", explique Stéphane Pichon, "mais il s'agit également d'éviter l'émergence de marchés parallèles et de trafics en direction des autres pays".

Ghislaine Sicre invite toutefois particuliers et professionnels à se rapprocher de certaines ONG qui expédient des médicaments et matériels médicaux d'urgence vers des zones de guerre où de catastrophes humanitaires. "À condition, qu'elles soient agréées", pondère Stéphane Pichon "telles que Tulipe [autorisé par l’Agence nationale de sécurité du médicament] qui récolte et redistribue les dons d’industriels, ou Pharmacie humanitaire internationale qui contrôle toutes les dates de péremption avant expédition".

Les circuits sont donc très sécurisés, rendant la démarche complexe pour les particuliers qui voudraient aujourd’hui faire un geste humanitaire. "Cyclamed reste aujourd'hui la seule alternative au dépôt des MNU dans les ordures ménagères", conclut le représentant des pharmaciens. En attendant que les lignes bougent.

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