Une fusillade a fait deux morts et un blessé jeudi soir au Chutes-Lavie, un quartier tranquille du quatrième arrondissement de Marseille. Au lendemain du drame, les habitants et commerçants accusent le coup.
Les services de nettoyage passent le trottoir au jet à haute pression pour effacer les dernières gouttes de sang. Il est 11h vendredi 29 septembre aux Chutes-Lavie, et le quartier s'anime, encore marqué par le drame qui s'est joué la veille.
Le numéro 39 de l'avenue porte les stigmates les plus visibles. Un bouquet de roses blanches est accroché à l'endroit où un homme de 41 ans a été assassiné. Achevé de plusieurs balles d'une arme longue, comme en témoignent les images de vidéosurveillance de la scène qui tournent sur les réseaux sociaux et dans les médias.
Plusieurs impacts sur le mur témoignent de la violence de la fusillade de la veille. Des habitants s'arrêtent, prennent des photos. "Ne prenez pas de selfie, c'est indécent" grogne un passant.
Le double vitrage, brisé par plusieurs balles laisse penser que le bilan, un mort et deux blessés, aurait pu être encore plus lourd. L'homme qui habite derrière ces murs l'a échappé belle. Il était "en promenade" quand la fusillade a éclaté.
Les balles ont fusé dans son salon. "Des placards ont été endommagés." Visiblement choqué, il congédie les journalistes qui le pressent de questions : "Je n'ai pas pu rentrer chez moi avant 2 heures du matin, j'ai sommeil".
"Ça aurait pu être toi"
Dans le quartier, nombreux sont celles et ceux qui se refont le film des quelques minutes avant la fusillade. À 19h40, ce noyau villageois est encore animé. Des véhicules sont garés en double file pour faire les dernières emplettes dans les commerces encore ouverts. Quand un homme surgit d'une voiture noire et tire sur un groupe de trois personnes, juste en face du bar-tabac et de la pizzeria.
"À deux minutes près, ça aurait pu être toi !", lance un habitant. Son interlocuteur reste les yeux dans le vague. Jean-Pierre* habite le pavillon mitoyen de la maison impactée par les balles. Il est sorti pour constater par lui-même les dégâts chez son voisin.
Au moment de la fusillade, il regardait la télévision avec sa femme, Marie-Jeanne*. "On a entendu plusieurs rafales, taktaktaktak, taktaktaktak ! C'était assourdissant, alors que les bruits de la rue n'arrivent pas dans la maison d'habitude. Je suis sorti sur le pas de la porte et j'ai vu une personne à terre. Je ne réalise toujours pas."
La peur de devenir "une victime collatérale"
"On aurait dit que le temps s'était arrêté, il n'y avait pas un cri, la rue était calme", se remémore Marie-Jeanne.
Enzo* aussi a entendu les tirs depuis son appartement, situé en face des lieux du drame. Il était plongé dans un épisode de la téléréalité "Les marseillais" en compagnie de sa mère et sa sœur. Il a tout de suite le réflexe de fermer les volets, en espérant se protéger en cas de nouvelle rafale.
Cette peur d'être "une victime collatérale" est alimentée par la mort d'une femme chez elle, tuée par une balle perdue dans une cité du 10ᵉ arrondissement. C'était il y a à peine trois semaines. "On n'est plus en sécurité" lâche le jeune homme.
Sa mère, Sylvie* acquiesce. "Ça fait 43 ans que j'habite ici. C'est un quartier tranquille, avec plein de retraités. Bien sûr, parfois, on voit des vols à l'arrachée. Mais jamais rien d'aussi violent."
Un sentiment que partage Marie-Jeanne. "C'est des choses qu'on voit d'habitude à la télé et là, c'est devant chez nous. Ce qui me choque, c'est que ça s'est passé à une heure où des commerces sont encore ouverts, des gens rentrent du travail ou partent faire du sport... Ça fait peur."
Le quartier déjà théâtre d'une fusillade
Ce n'est pourtant pas la première fusillade que connait le quartier. Le 23 août dernier, un homme de 22 ans a été blessé par balle un peu avant 23h. Mais dans l'imaginaire collectif, ce genre de drame ne toucherait que les quartiers populaires.
Comme la cité des marronniers, toute proche. Le quartier est connu pour être un point de vente de drogues. En juin dernier, deux adolescents de 17 ans y ont trouvé la mort, dans une fusillade.
"Je suis témoin de choses là-bas : les points de deal, les violences...", rapporte Mohamed Benmeddour. Il habite une résidence en bordure de la cité des marronniers. II vient régulièrement aux Chutes-Lavie pour "boire un café, commander une pizza ou aller à la poste."
"Ici, les gens sont abasourdis. Ils n'ont pas l'habitude. Avant, ils faisaient ça dans des endroits discrets. Mais maintenant, ils flingueraient même au pied de la bonne mère. Ça peut arriver partout."
Un autre sentiment grandit. La peur de voir le quartier stigmatisé, comme le sont les cités des quartiers nord. La plupart des commerçants que nous avons rencontrés n'ont plus envie de répondre aux questions des journalistes. 'Vous nous avez gonflé", lance l'un deux. "Ils essaient juste de reprendre le travail" explique une autre.
Au bar-tabac-brasserie, le drame est sur toutes les langues. Mais rien dans le décor n'indique que la veille, les deux blessés de la fusillade se sont réfugiés ici et y ont reçu les premiers soins.
Sur le trottoir, un panneau affiche le plat du jour. Un filet de lieu noir avec son écrasé de pommes de terres. Les clients s'attablent, comme tous les midis. Raphaël, le pharmacien, résume l'état d'esprit : "On est sous le choc, mais la vie continue".