Séquestré et torturé, un adolescent a vécu l'enfer pour avoir voulu vendre de la drogue dans la cité Félix-Pyat, dans le 3e arrondissement de Marseille. Le procès de ses agresseurs présumés s'ouvre ce vendredi.
Quatre hommes sont jugés pour torture, barbarie et séquestration à partir de ce vendredi 8 septembre devant la cour d'assises des Bouches-du-Rhône. Leur procès va durer jusqu'au 15 septembre. En août 2019, un adolescent originaire de Chartres était venu à Marseille, vendre des barrettes de shit dans la cité Félix-Pyat, dans le 3e arrondissement. Déclenchant la colère de certains dealers, il avait été séquestré et brûlé au chalumeau.
Un de ses tortionnaires, mineur au moment des faits, a déjà écopé de dix ans de réclusion en novembre dernier. France 3 Provence-Alpes revient sur cette affaire, marquée par une barbarie incroyable.
L'adolescent était venu vendre de la drogue
La jeune victime est âgée de 16 ans au moment des faits. Il vient à Marseille en août 2019, après avoir fugué du foyer de l'aide sociale à l'enfance, dans lequel il était placé, à Chartres (Eure-et-Loir). L'adolescent souhaite "jobber" dans la drogue, pour se faire de l'argent facilement, après avoir vu des offres sur Snapchat.
Il propose d'abord ses services de guetteur aux Micocouliers, une cité du 14e arrondissement. Il est recruté le 9 août comme "charbonneur" (vendeur) mais la police l'interpelle juste après. L'adolescent parvient à dissimuler sous un arbre 15 grammes de cocaïne et 10 barrettes de shit. Présenté devant un juge des enfants, il est placé en foyer dans l'attente de son retour jusqu'à Chartres, accompagné d'un éducateur.
Il en décide autrement... et retourne récupérer sa marchandise aux Micocouliers pour écouler son stock dans la cité de Félix-Pyat, qu'il connaît déjà.
Le 12 août en fin d'après-midi, l'adolescent commence à revendre la drogue, au pied du bâtiment A6 de la cité Félix-Pyat, mais sans l'autorisation des dealers locaux. Dénoncé par un jeune guetteur, il est aussitôt entouré et frappé à coups de poing et de barre de fer puis conduit dans un local associatif désaffecté, où sont hébergés "les Parisiens", nom donné à la main d'oeuvre du réseau venant d'autres régions de France.
Séquestré et torturé pendant 24 heures
Assis nu sur une chaise, ligoté, brûlé avec des cigarettes et avec un chalumeau sur tout le corps, l'adolescent a décrit le calvaire que lui ont fait endurer ses agresseurs. "Deux grands m'ont brûlé les parties génitales. Je pense que c'était un chalumeau, car j'avais les yeux bandés. Je sentais de l'air et un gros feu, je hurlais de douleur", a-t-il raconté aux policiers.
Pendant 24 longues heures, la victime est frappée à coups de pied, de poing, avec des barres de fer, lui occasionnant une quarantaine de cicatrices. "Un degré de cruauté rare", relève le magistrat instructeur à l'époque.
Ses geôliers lui font aussi sniffer de la cocaïne. Du liquide, s'avérant être du détachant, est versé sur sa tête. Ses souffrances sont tellement importantes qu'il tente de se suicider avec le chiffon que ses bourreaux lui ont mis dans la bouche, pour ne plus souffrir.
Ses tortionnaires cherchent à savoir pour qui il travaille et pourquoi il est là. D'après un policier, ses agresseurs veulent "créer un climat de terreur, une sorte de message destiné à ceux qui ne respecteraient pas les règles imposées par les trafiquants de drogue", avait-il expliqué, au moment des faits, à France 3 Provence-Alpes.
La victime sera finalement libérée par des jeunes habitants de la cité et conduit à l'hôpital européen de Marseille, dans le 3e arrondissement, au service des grands brûlés, avant d’être entendu par les enquêteurs.
Quatre hommes dans le box des accusés
Une enquête est ouverte pour "violences accompagnées d'actes de torture, barbarie et séquestration". Les bornages des téléphones et deux témoignages sous X permettent aux forces de l'ordre de retrouver la trace de plusieurs hommes, les principaux suspects.
Parmi les quatre hommes, aujourd'hui âgés de 22 à 30 ans, et renvoyés devant la cour d'assises des Bouches-du-Rhône, trois nient leur participation aux faits. Un seul reconnaît avoir porté des coups, mais uniquement à l'extérieur du lieu où a été torturée la victime. Cette dernière arrive à en désigner certains, sans en donner leur rôle précis dans les violences qu'elle a subies.
Les accusés seront jugés demain pour enlèvement et séquestration, avec actes de barbarie et de torture. Ils encourent la réclusion criminelle à perpétuité.
Nicolas est complètement cassé
Me Xavier Torré, avocat de la victimeà France 3 Provence-Alpes.
L'avocat de la victime, Me Xavier Torré, affirme que son client "est détruit de l'intérieur". "Sa vie s'est arrêtée après l'agression. Il ne sort plus de chez lui."
"Je ne suis même pas sûr qu'une réponse judiciaire changerait quelque chose à son état", ajoute-t-il. Le verdict est attendu vendredi 15 septembre.
Un mineur déjà condamné en 2022
En novembre dernier, l'un des tortionnaires, aujourd'hui âgé de 20 ans, mais mineur à l'époque des faits, avait été condamné par la cour d'assises des mineurs à dix ans de prison ferme pour enlèvement et séquestration accompagnée de tortures et d'actes de barbarie. L'adolescent l'avait identifié comme celui qui lui avait fait prendre de force de la cocaïne.
L'avocate générale, Marie-Laure Ferrier, avait requis 12 ans de réclusion. L'accusé a été jugé seul pendant une semaine. Il avait été désigné par la victime comme un des jeunes qui lui avait asséné des coups de barre de fer et l'avait contraint à sniffer de la cocaïne. Mais c'était "quelqu'un de lambda, pas un chef", avait précisé l'adolescent torturé.
La cour d'assises lui a accordé l'excuse de minorité, réduisant ainsi à 20 ans de réclusion le maximum de la peine encourue pour de tels faits, au lieu de la réclusion criminelle à perpétuité. Son avocat, Me Philippe Jacquemin, avait plaidé l'acquittement au bénéfice du doute. "On est sur un dossier subjectif, avec une reconnaissance de mon client à deux reprises par la partie civile, quelqu'un qui a subi des choses atroces. Mais vu le monde présent lors des faits, il s'est trompé", avait-il réagi à l'issue du verdict.
L'avocat de la victime, Me Xavier Torré, lui, avait précisé : "Ce verdict est aussi un message adressé à ces quartiers, où règnent la peur et la loi du silence. Il faut alerter les autorités lorsqu'il s'y passe quelque chose de grave."
L'adolescent a souhaité que les débats soient publics demain, révèle le journal Libération, afin que cela puisse "servir aux autres", selon son avocat.
Avec AFP