Le navire a quitté Marseille lundi 22 juin vers 8h30, trois mois après son retour au port et l'arrêt complet de ses missions de sauvetage en raison de la pandémie. SOS Méditerranée a préparé ses équipes dans un contexte sanitaire et géopolique et économique tendu.
Depuis trois mois, la coque rouge vif de l'Ocean Viking n'avait pas quitté le port de Marseille. Bloqué par la pandémie, le navire a stoppé net, le 20 mars dernier, ses opérations de sauvetage des réfugiés en Méditerranée. Mais lundi 22 juin à 8h30 le navire a enfin repris le large après plusieurs semaines de préparation.
La météo avait reporté le départ, prévu samedi 20 juin, de 48h, et le contexte de crise sanitaire a compliqué les opérations de remise en route. Mais SOS Méditerranée évoque une situation d'urgence.
"On a bien vu que malgré l'absence de navires humanitaires, les gens cherchent à fuir quand-même. Les chiffres montrent que les départs ont continué, et même augmenté par rapport à l'année dernière. Il est vraiment urgent de repartir", explique la directrice générale et co-fondatrice de l'ONG, Sophie Beau.
"On a peur qu'il y ait eu des naufragés invisibles"
"Vu qu'il n'y avait personne en mer à un moment, c'est difficile d'avoir des chiffres fiables", ajoute Sara Abbas, représentante de l'organisation internationale pour les migrations (OIM) en France. "On a peur qu'il y ait eu des naufragés invisibles", précise Sophie Beau.
Selon le Haut-commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR), les départs de Libye et de Tunisie ont augmenté de 151 % entre début janvier et fin mai, comparé à la même époque l'an dernier : 10 936 personnes ont pris la mer contre 4 351.
En avril, en pleine pandémie, les départs de Libye ont même augmenté de 341 %, et une explosion des départs de 751 % depuis la Tunisie a été enregistrée. Mais seulement près de 7 000 personnes ont atteint les côtes européennes. Que sont devenues les autres ?
"Le pire serait qu'on embarque le Covid-19 à bord"
Faire repartir l'Ocean Viking a nécessité la relance d'une grosse machine. Dans le contexte sanitaire de la pandémie, toutes les personnes prévues pour la mission ont été placées en quatorzaine préventive à terre.
Les marins-sauveteurs, les quatre personnes de l'équipe médicale, et les neuf membres de l’équipage affrétés avec le navire battant pavillon norvégien ont dû attendre les résultats des tests, afin d'obtenir le feu vert pour embarquer.
"Le pire serait qu’on embarque le Covid à bord", estime la directrice générale de SOS Méditerranée.
A bord du navire, un circuit Covid a été prévu afin d'éviter les déplacements favorisant trop de croisements. Des équipements de protection ont aussi été livrés. L'approvisionnement se termine.
"Il faudra hiérarchiser les priorités entre l'épidémie et le risque de mourir en mer"
Le navire peut accueillir 200 personnes sous abri dans les deux cabines aménagées, l'une pour les hommes, l'autre pour les femmes et les enfants.
Si les conditions météo le permettent, et sur avis du capitaine, d'autres rescapés peuvent aussi prendre place sur les ponts du bateau, portant le nombre maximum de passagers à 400.
Dans pareil cas, les mesures barrières du protocole Covid-19 semblent difficiles à assurer.
"En fonction de l'ampleur des sauvetages dans lesquels l'Ocean Viking devra s'engager, il faudra hiérarchiser les priorités, entre le risque de faire circuler le virus et celui de laisser mourir des personnes sur des embarcations en péril", indique Sophie Beau.
"L'humanité se confinait pour sauver des vies. C'était frustrant de rester à quai"
Confiné à quai, l'Ocean Viking ne pouvait pas repartir en mer plus tôt, "en raison du contexte international".
A présent, la situation géopolitique offre une nouvelle fenêtre de sauvetage à l'association, explique la co-fondatrice de SOS Méditerranée : "Nous sentons que les Etats sont en train de reprendre progressivement leurs engagements."
D'après Sophie Beau,"la répartition des réfugiés prévue dans le pré-accord signé à La Valette en septembre dernier avait volé en éclat avec la fermeture des ports durant la crise sanitaire. Désormais, on peut de nouveau espérer débarquer les réfugiés en lieu sûr".
La reprise de l'activité en pleine pandémie avait fait naître des dissensions entre SOS Méditerranée et Médecins Sans Frontières, en charge des interventions médicales à bord du navire, provoquant le 17 avril la fin de leur partenariat. Désormais il faut donc trouver de nouveaux financement, d'où le lancement d'un appel à dons au moment du redémarrage.
L'équipe médicale qui prendra le départ en effet été mise en place directement par l'ONG. "Une médecin qui avait déjà travaillé à bord de l'Aquarius, deux infirmères et une sage-femme, elles aussi expérimentées", précise Sophie Beau.
Lors d'une conférence le 26 mai dernier, SOS Méditerranée présentait la situation de l'ONG et des réfugiés lors de la pandémie
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Publiée par SOS MEDITERRANEE France sur Mardi 26 mai 2020
La dernière mission de l'Ocean Viking s'était terminée fin février, avec le débarquement de 176 réfugiés à Pozzalo, en Sicile.
Le reprise des missions de sauvetage devra passer par une remise en route des équipes à bord : protocole de prise en charge des rescapés, exercice de maintenance, d'entraînement en mer.
L'Ocean Viking, bloqué depuis trois mois dans le port de Marseille, s'apprête ainsi à rejoindre le Sea Watch 3 et le Mare Jonio, navires affretés par des ONG allemandes et italiennes et repartis en Méditerranée le 8 juin dernier.
Dans la nuit du 4 au 5 juin au large de la Tunisie un naufrage, enregistré par les autorités maritimes, avait fait au moins 55 morts.
"Un, deux, trois navires, ça ne suffira pas à couvrir la zone. Il faut remettre en place une flotte étatique comme en 2013/2014 avec l'opération italienne Mare Nostrum. C'est ce qu'on ne cesse de dire depuis cinq ans", réclame la cofondatrice de l'ONG.
Depuis sa première mission, l'Ocean Viking a secouru 2 095 personnes lors de 28 opérations, portant à 31 618 le nombre de rescapés à bord d'un navire de SOS Méditerranée depuis 2016.