Le confinement, parenthèse enchantée ou grande épreuve ? Depuis le début de la crise du coronavirus, quatorze chercheurs de l’Université d’Aix-Marseille décortiquent nos comportements et évaluent notre moral. Premières conclusions sur ce qui nous aide à tenir bon.
Le Covid-19 nous a mis sous cloche. Deux mois d'un confinement auquel personne n’était préparé.
Cette situation inédite a inspiré des chercheurs en sciences-humaines de l’Université Aix-Marseille qui ont décidé de mettre à profit ce laboratoire géant des comportements humains.
Leur double étude, lancée par un consortium des équipes scientifiques IMSIC, LPS, InCIAM et Cret-Log d’Aix-Marseille Université, décortique depuis le 16 mars les ressentis des personnes interrogées durant cette crise inédite.
L’équipe multidisciplinaire est formée de sociologues, psychologues et spécialistes de la communication.
Six vagues d’entretiens ont été menées tous les dix jours, auprès d’un échantillon d’une trentaine de personnes représentatives de la population française. Déjà près de 100 heures d’entretiens, et des quantités d’informations générées.
Nos "prétextes" pour supporter la situation
Parmi les multiples enseignements déjà révélés par ces entretiens, il ressort par exemple que ceux qui ont gardé le moral ont souvent eu recours à ce que les chercheurs nomment le "biais de comparaison". Une sorte de pirouette psychologique bien utile quand la réalité devient difficile à gérer.
"Il s’agit d’une stratégie de lutte contre le stress qui fait appel à l’idée selon laquelle
explique Didier Courbet, professeur à l’Université Aix-Marseille Université, et co-responsable de l'étude.je ne vais pas me plaindre, il y a plus malheureux que moi !
Une personne confinée dans sa maison se dit ainsi mieux lotie que ceux qui vivent en appartement, qui eux-mêmes expriment leur chance de pouvoir profiter d’une terrasse ou d'un balcon.
Et ceux qui en sont privés peuvent se déclarer moins à plaindre que les soignants, caissiers, ou livreurs forcés de côtoyer le virus au quotidien !
Du bon usage des réseaux sociaux et des petits rituels
D’après Didier Courbet, "les personnes qui se sont effondrées n’avaient aucune technique, elles se sont laissées envahir par l’angoisse, en oubliant de se faire plaisir, en se laissant submerger par exemple par les réseaux sociaux et les médias".
"Plus on passe de temps sur les réseaux sociaux en les consommant de manière passive, en regardant ce que font les autres, et sans les utiliser pour communiquer avec les autres, plus l’anxiété grandit ", explique le co-directeur de l’étude. Une altération du bien-être a été observée chez ceux qui sont trop restés sur les médias.
En revanche, le numérique a été mis à profit comme un outil bon pour le moral chez ceux qui s’en sont servi pour garder le contact.
"Se trouver des petits bonheurs du quotidien, mettre en place des rituels entre proches, apéros virtuels, transfert ou détournement d’images pour faire rire, et qu’on échange sur les réseaux sociaux, ces usages ont été bénéfiques", précise Didier Courbet.
« Le confinement, certains Français l’ont bien vécu, d’autres, très mal »
D’après le professeur Didier Courbet,"de grandes vagues de ressentis collectifs ont pu être décelées lors des entretiens : au début du confinement, le besoin d’une parole centralisée et cohérente, puis un sentiment d’injustice voire de colère grandissant envers ceux qui ne respectent pas le confinement vers le vingtième jour, ou encore, l’union derrière le gouvernement qui se fissure autour du trentième jour".En Région Paca, A toute personne qui recherche un appui psychologique en lien avec le COVID-19. = 04 97 13 50 03 https://t.co/Gukv1M9ABO
— Amolec (@Amolec_asso84) March 31, 2020
Au-delà de ces grandes tendances, l’étude révèle aussi que les diversités s’accentuent avec le temps.
Après un mois de crise, "les émotions se contrastent encore davantage et la gestion du confinement diffère fortement selon les personnes."
"Si certaines continuent à bien gérer le confinement, gardent un rythme quotidien régulier et ont un ressenti globalement positif, d’autres, plus nombreuses, expriment davantage de sentiments négatifs. Les sources d’émotions négatives se multiplient (lassitude, perte de repères temporels, anxiété)", souligne le rapport présentant les premiers résultats.
« Nous avons beaucoup à apprendre des retraités » !
"Pouvoir conserver ses différents rôles sociaux, de parent, de conjoint et de personne active professionnellement ou dans ses loisirs permet de se sentir bien", indique Didier Courbet.
"Mais certains n’ont pas réussi à conserver tous ces rôles, une mère seule avec ses enfants et sans activité par exemple, d’autres encore n’ont pas supporté d’être « toujours avec », par exemple, ne parvenant pas à trouver un espace à soi, réel ou imaginaire, ce qui explique pourquoi il y a eu autant de violences", précise le co-dirigeant de l’étude.
D’après lui, les retraités ont beaucoup à nous transmettre.
"Ils ont plutôt bien traversé le confinement. Vivre toujours avec la même personne est une habitude et ils savent mettre en œuvre des techniques pour préserver leur équilibre individuel en étant 24h/24 avec l’autre."
L’étude "Com-Covid-19" analyse de nombreux paramètres de la crise : les effets de différents messages de santé sur les comportements de protection, la motivation à rester confiné, la préparation au déconfinement, l’adaptation psychosociale aux risques, la santé mentale et physique aux différentes étapes de la crise.
Après le déconfinement, les entretiens de l’équipe scientifique se poursuivent : cette période n’a pas fini de livrer ses enseignements sur nos comportements.