Covid 19 : quatre questions sur l'analyse des eaux usées, qui peut permettre de surveiller l'évolution de l'épidémie

Les eaux usées sont un peu le reflet des pathologies d'une population. Un réseau de scientifiques traque le coronavirus dans les stations d'épurations, ou à la sortie de bâtiments collectifs. Une technique utilisée notamment par les Marins pompiers de Marseille pour surveiller les Ehpad.

Une solution qui coule de source ? Pour traquer l'évolution de l'épidémie de Covid-19, les marins-pompiers de Marseille surveillent nos eaux usées. Depuis la première vague, un réseau de surveillance se met en place discrètement en France sous terre.

Le coronavirus peut être détecté dans les selles quatre à sept jours avant l'apparition des symptômes. Qui analyse ces prélèvements ? Cette méthode est-elle suffisamment fiable ? France 3 s'est plongé dans ce dossier des eaux usées pour y voir plus clair.

• 1. Quel est l'intérêt de cette technique ?

"En ce moment, on sait que le coronavirus (SARS Cov2), comme d’autres virus est éliminé dans les selles, explique Anne Goffard, virologue, médecin-enseignante au CHU et à la faculté de pharmacie de Lille. Donc, une personne malade va éliminer le virus dans ses selles quand elle va guérir."  Depuis le début de l’épidémie, on peut trouver, en effet, de l’ARN viral, du génome viral dans les selles. "Cela ne veut pas dire que la personne contamine via les selles, mais ça veut dire qu’elle a été infectée, et qu’elle est en train d’éliminer le virus", précise-t-elle.

La recherche du Covid-19 dans les eaux usées permet ainsi d’évaluer la dynamique de la circulation du virus dans une population donnée. Pour cela, des prélèvements sont effectués plusieurs fois par semaine, dans les stations d’épuration. Les scientifiques arrivent à déceler la présence du virus plusieurs jours avant que n’apparaissent les premiers cas symptomatiques.

Car même les personnes asymptomatiques révèlent des traces du virus dans leurs eaux usées. Ces données sont donc précieuses pour alerter sur une possible reprise de l’épidémie.
 

"Quand on voit l’augmentation progressive de la présence du virus, on peut commencer à armer les hôpitaux, les services de réanimation, ou à rediffuser les gestes barrières à mettre en place."

Anne Goffard, virologue



"C’est vraiment un outil qui pourrait être, s'il est mis en place, évalué et étudié, un très bon outil de gestion de ce type d’épidémie", assure la spécialiste.

• 2. Comment est-elle en train de se développer ?

Un tel outil est justement en train de prendre forme, à travers la mise en place d'un vaste réseau intitulé Obepine (Observatoire épidémiologique dans les eaux usées). Créé à l’initiative du laboratoire Eau de Paris, des chercheurs de Sorbonne université et de l’institut de recherche biomédicales des armées, il a pour objectif de détecter la charge virale du Covid-19 dans les eaux des stations d’épuration.

Obepine a vu le jour dès le début de la crise sanitaire. Il rassemble une équipe pluridisciplinaire de chercheurs répartis dans toute la France. Ces derniers travaillent avec l’appui des exploitants de stations d'épuration, les grands groupes associés, des collectivités locales et des agences de l'eau.
Vincent Maréchal, virologue à Sorbonne université et cofondateur d’Obepine, dresse un premier constat déjà rassurant. "Bien que nous retrouvions des traces du virus dans les eaux usées, celui-ci est très largement non-infectieux", glisse-t-il.

Seuls sept laboratoires ont été habilités à appliquer les protocoles d'analyse demandés. Les résultats sont transmis aux collectivités, aux agences régionales de santé (ARS) concernées et au ministère de la Recherche, via une plateforme sécurisée dédiée. Réalisées à grande échelle, les données prédictives obtenues par Obepine peuvent éclairer les décisions politiques en matière de mesures sanitaires.

• 3. Quels sont les lieux concernés ?

Pour bien anticiper les évolutions de la pandémie et repérer les populations sources de virus, Obepine vise un maillage du territoire. Ainsi, 158 stations d’épuration ont été sélectionnées. Et de nombreuses collectivités ont déjà accepté de participer à cette surveillance. Actuellement, les prélèvements sont réalisés dans 82 stations d’épuration de France par des scientifiques ou des personnels des services d‘assainissement.

Mais la récupération des eaux usées peut-être effectuée dans des endroits plus précis, comme à la sortie des Ehpad. A Marseille, ce sont les marins pompiers qui procèdent à cette tâche. Chaque semaine, des échantillons sont prélevés pour les 166 Ehpad de la cité phocéenne, et sont analysés par une start-up.
 

Ils poursuivent leurs prélèvements quotidiens dans divers autres endroits. Et une fois par semaine, les résultats sont cartographiés à l'échelle de la ville pour identifier les secteurs où le virus est le plus important.

• 4. Cette méthode est-elle efficace ?

Le professeur Bruno Lina, responsable du Centre national de référence enterovirus et parechovirus, émet quelques réserves. "L’excrétion virale dans les selles des patients n’est présente que pour la moitié des patients, explique-t-il. En revanche, la durée d’excrétion peut être longue. On peut parfaitement imaginer avoir pendant plusieurs semaines une excrétion détectable dans les eaux usées qui ne fait que rapporter un épisode ancien." Sans oublier qu'en cas de pluies, cela peut compliquer "les mesures parce que ça change les dilutions", ajoute le contre-amiral Augier, patron du bataillon des marins pompiers de Marseille.

Le virologue lyonnais estime toutefois que de nouveaux travaux méritent d'être conduits dans ce sens. Depuis le début de la crise, plusieurs expériences se sont avérées très positives sur l’ensemble du territoire. Lors du premier pic épidémique, dans l’agglomération parisienne, les analyses des prélèvements ont annoncé et confirmé l’afflux des malades Covid-19 dans les hôpitaux.

Dès cet été, les premiers résultats effectués sur une trentaine de stations d’épuration ont montré que la charge virale est détectable avec une forte sensibilité dans les eaux d’épuration. Un essai sur des périodes longues à l’Ile d’Yeu a, par exemple, permis en juillet, d’alerter sur la présence de porteurs asymptomatiques.

Des résultats récents du réseau Obepine confirment une avance de cinq à six jours par rapport aux personnes qui vont être testées positives au Covid-19. A Marseille, le Bataillon des marins-pompiers a détecté la présence du virus dans des Ehpad jusqu’à six jours avant les premiers signes.
Les établissements concernés ont fait réaliser des tests à leurs personnels et résidents. Les cas positifs ont ainsi pu être isolés, avant même que les médecins n’aient détecté le moindre signe de la présence du coronavirus. Ils ont ainsi pu prémunir les personnes fragiles en évitant un possible cluster.

Au fil des mois et de la recherche, le réseau Obepine tend à devenir une sentinelle de la maladie Covid-19. Encore objet de recherches, il pourra par la suite avoir une vocation opérationnelle. Ses données prédictives couplées avec celles de Santé Publique France doivent permettre d’établir des modèles mathématiques robustes, sur lesquelles pourront s’appuyer les politiques de santé.

Fort de ses résultats, ce réseau de recherche et de surveillance sanitaire pourrait également s’appliquer à d’autres maladies infectieuses, comme la grippe et la gastro-entérite dont les traces sont détectables dans les eaux usées.


 
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