Un nouveau terme se répand dans le monde comme le virus de la Covid-19 : la "coronasomnie". Avec la crise sanitaire, nous dormons beaucoup plus mal. Cinq questions au Dr. Fabrice Thoin, cardiologue somnologue, expert des pathologies du sommeil à Marseille.
Depuis un an maintenant nous vivons avec le Coronavirus. Port du masque, confinement, couvre-feu, cours à distance, télétravail, plus de fêtes entre amis, de resto, de ciné.
Nos habitudes de vies ont été complètements chamboulées. La crise sanitaire qui s’éternise engendre stress, anxiété et incertitude de l’avenir et les insomniaques sont de plus en plus nombreux.
Selon une étude britannique d'août 2020, le nombre de personnes souffrant d'insomnie est passé d'une personne sur six à une sur quatre.
Le manque de sommeil est aussi un facteur aggravant de la maladie de la Covid-19 pour les personnes à risque. Un patient Covid sur deux admis en réanimation présente des troubles du sommeil.
Nous avons posé cinq questions au Dr Fabrice Thoin, cardiologue somnologue, coordinateur du centre d'expertise des pathologies du sommeil à la clinique Bonneveine à Marseille.
- Comment la crise du Covid impacte-t-elle notre sommeil ?
Fabrice Thoin : Ça joue sur le stress et l’anxiété, l’hyperéveil, le questionnement… et ça a une incidence sur le sommeil. Nous sommes des animaux sociaux, et le fait de ne plus sortir, ça crée du stress. Il n’y a plus de sécrétion d’endorphines qui permettent de mieux s’endormir.
Et puis, on fait va faire moins d’activité physique parce qu’on est déprimé. On va prendre du poids, ce qui va aggraver un peu l’apnée du sommeil potentiellement… et l’insomnie. Et le fait de ne pas dormir la nuit ou de faire de l’apnée fait prendre du poids aussi. Ce sont des phénomènes auto-entretenus.
Et il y a ceux qui font du télétravail. Ils travaillent peut-être dans leur chambre, alors que la chambre et le lit, c’est fait pour dormir. Ils envoient un mauvais message au cerveau, qui dit que le lit n’est pas fait que pour dormir. Et c’est facteur d’insomnie.
- La consommation de somnifères a-t-elle augmenté à cause du Covid ?
Très probablement. Surtout chez les étudiants. On a un stress très important et ils consomment beaucoup de benzodiasépines (NDLR : des molécules utilisées comme somnifères, calmants ou anxiolytiques). Ils sont extrêmement déprimés. C'est très sous-estimé.
Les professeurs ne se rendent pas vraiment compte, mais la perte de cette vie sociale entraîne vraiment des troubles anxiodépressifs non négligeables.
Les jeunes souffrent énormément de ce confinement.
- Pourquoi les troubles du sommeil sont-ils liés aux formes graves de la Covid ?
Les obèses, comme les diabétiques et les hypertendus font souvent de l’apnée du sommeil et ce sont les patients à risque de la Covid.
L’apnée du sommeil ressemble à une inflammation particulière, qui va abîmer les artères et les veines, et cette inflammation c’est la même que la Covid. Si vous rajoutez une inflammation dessus avec la Covid, vous avez cette mortalité ou cette morbidité très importante.
Une étude grenobloise montre que 50 % des personnes en réanimation suite à la Covid font de l’apnée du sommeil, alors que dans la population générale, on est plus proche de 10 %.
Ce sont des patients à protéger. Et souvent chez ces patients-là, l’apnée n’est pas détectée.
J’ai en consultation des jeunes femmes qui sont toutes minces. Elles me disent : "je ne comprends pas, on était un cluster de 30 jeunes et il n’y a que moi qui aie eu autant de mal à m’en remettre, pendant un mois et demi j’allais extrêmement mal, à la limite de l’hospitalisation". Je leur dis : "c’est parce que vous faites de l’apnée du sommeil".
Ce n’est pas connu. On peut avoir l’impression de dormir très bien, même sans ronfler. Les jeunes, les sportifs ne ronflent pas du tout, donc on ignore complètement leur pathologie.
C’est très sous-estimé parce que c’est difficilement enregistrable. Il faut chercher des micro-éveils qui sont souvent ignorés. Et on attend que les patients aient leur diabète ou aient fait leur AVC pour découvrir l’anomalie.
- Quels sont les signes qui doivent alerter ?
Les patients qui ont des palpitations, des tachycardies, qui ont des réveils nocturnes doivent se poser cette question-là : est-ce qu'il n'y a pas un effort respiratoire associé.
Dans les familles qui ont des pathologies cardio-vasculaires répétitives, AVC, coronaropathies précoces, infarctus ou autres, il faut vraiment se poser la question. Parce les atteintes qui vont donner les AVC et l'infarctus, ça commence dès l'enfance et ce n'est pas connu.
Chez les enfants, l'apnée du sommeil représente 3 à 5 % avec des retards scolaires définitifs, 10-12 % chez les patients âgés (les femmes sont plus difficilement détectables) et entre 16 ans et 40-50 ans, il y a toute une population qui est sous-estimée parce qu’on ne va pas les détecter. On n'y pense pas.
Chez les femmes, l'apnée du sommeil entraîne de gros syndromes anxio-dépressifs qui sont souvent sous-estimés parce qu'elles ne ronflent pas et on va l'ignorer, et ça peut aboutir au burnout très souvent.
- Les troubles du sommeil sont devenus une pathologie à part entière ?
La pathologie des troubles du sommeil a été "inventée" dans les années 80 par un neurologue marseillais, Christian Guilleminault qui vient de décéder. C’est vraiment le génie du sommeil. De jour en jour, on découvre tout l’impact du sommeil. C’est à l’origine d’un nombre important d’hypertensions, de diabètes, de cancers du sein, d’AVC, de démences….
On prend de plus en plus de médicaments, de plus en plus d’antidépresseurs, qui aggravent le problème. C’est un vrai sujet de santé publique.
Les Français sont les plus grands consommateurs de benzodiazépines, alors que les médicaments sont extrêmement délétères. Ils vont nous enlever une partie du sommeil, soit le sommeil profond qui est récupérateur pour le cancer ou pour le cœur, soit le sommeil paradoxal, celui du rêve, où on va emmagasiner nos souvenirs et c’est important pour la cognition.
Il faudrait plutôt faire des thérapies comportementales, de la méditation et de l’activité physique…