Le prix du paquet de cigarettes va de nouveau augmenter ces prochaines années, pour atteindre 13 euros en 2026. A Marseille, il n’est pas difficile de s’en procurer à moitié prix sur le marché parallèle. France 3 Provence-Alpes a pu le constater au marché aux puces des Arnavaux, haut-lieu de la contrebande.
Le marché des Arnavaux, ce n’est pas que les fruits et légumes, ce n’est pas que les antiquités. C’est aussi l’une des places fortes du marché parallèle de cigarettes à Marseille, comme le quartier de Noailles. Un commerce illicite qui ne connaît pas la crise, à l’heure où le gouvernement tente de lutter contre le tabagisme en augmentant le coût du paquet.
Selon le rapport KPMG publié en juin 2023, le marché noir de tabac explose en France, le plus grand marché de cigarettes illicites dans l’UE, et représente près d’un tiers de la consommation totale de cigarettes dans le pays. Un commerce ouvert 6 jours sur 7 dans le 15ᵉ arrondissement de Marseille, chemin de la Madrague-Ville. France 3 Provence-Alpes s’est rendu sur place en caméra cachée, dans la peau d’une acheteuse qui n’a pas l’habitude de se fournir sur le marché parallèle.
5, 6 ou 7 euros le paquet
Il est plus difficile de trouver une place de parking qu’un paquet de cigarettes aux puces des Arnavaux. Nous sommes en milieu de semaine, milieu de matinée, milieu du mois de décembre. Le quartier est en travaux, l’avenue Cap Pinède fait peau neuve. Ce sont les nouveaux aménagements d’Euromed. Du côté du marché, c’est toujours un joyeux bazar pour se garer. Après plusieurs tours et demi-tours périlleux, nous trouvons enfin quelques mètres carrés de libres. Nous osons une ultime marche-arrière, guidée par un vendeur magnanime, tout en évitant de renverser son étal de cigarettes.
Notre assistant créneau a son petit commerce, dehors, à quelques mètres du parking. Nous le remercions pour son aide. Son stand, ce sont plusieurs cageots en plastique vides empilés, un carton présentant les paquets de cigarettes sur le dessus. Il nous donne les prix des différents paquets : 5 euros, 6 euros, 7 euros. Le plus cher vient d’Algérie, selon le commerçant. C’est "original", nous assure-t-il. Celui à 6 euros, c’est "moitié-moitié", des cigarettes "italiennes", du tabac "moyen". Les moins chères, il ne les conseille pas. "Elles viennent de Belgique". D’un geste clair de la main, il nous fait comprendre que ce sont les plus fortes. Lui, fume les Algériennes.
Un peu plus loin, un autre vendeur, les mêmes prix. Puis encore un autre. Des dizaines de mini-bureaux de tabac illégaux sont installés à une vingtaine de mètres les uns des autres. Personne ne tente de nous alpaguer avec insistance. Pas de "Marlboro, Marlboro" seriné à notre passage, comme c’est le cas par endroit. Ici, les vendeurs de cigarettes sont comme les vendeurs de fruits. Ils attendent derrière leur étal, et renseignent le client qui se rapproche. Des contrebandiers décomplexés.
"C’est vraiment quand on n’a pas d’argent"
Un homme âgé portant déjà plusieurs sacs plastiques dans les mains demande les prix et achète un paquet. Pour certains clients que nous avons croisés, l’argument est économique, quitte à perdre en saveur. "Ce n’est pas très cher, c’est facile d’en acheter, nous confie une fumeuse. Elles ne sont vraiment pas bonnes, c’est vraiment quand on n’a pas d’argent". "On sent direct la différence. C’est fort, ça a mauvais goût", glisse un jeune homme.
Nous entrons à présent dans le marché couvert. Ça sent la clémentine, le thé à la menthe et le pain. Dans une des allées, deux jeunes hommes sympathiques nous présentent les différents paquets qu’ils proposent. "Dites-nous ce qu’il vous fallait". Nous lui livrons alors nos craintes quant au goût. Le jeune vendeur nous explique que tout dépend des paquets, "il y a du fort et du moins fort". Dans son inventaire, il y a des Belges, des Polonaises aussi. Lui, fume des "originales", "celles d’Italie".
"Faites un petit tour et revenez". Pas insistant, lui non plus. Pas de cigarettes sous le manteau, pas de précipitation. Nous demandons à notre jeune interlocuteur si c’est lui le patron. "Non, j’aide, juste". Son "patron" opine du chef, un peu plus loin, accoudé à un stand de fruits et légumes. Pas encore décidés à acheter, nous poursuivons nos courses.
Contrebande et contrefaçon
Entre les épices et les dattes, un vendeur nous propose des cigarettes "pour les filles". Des Italiennes, fines, des Winston bleu. Un collègue le rejoint. Les deux hommes certifient la qualité des Polonaises et des Espagnoles. Des Marlboro light algériennes également. Les prix sont les mêmes qu’au tout premier stand. 5, 6, 7 euros. Un paquet de 4 euros de Belgique, mais il nous le déconseille. Décidément, le plat pays n’a pas la cote aux Arnavaux. "C’est plus lourd, plus fort". Rien à voir avec "le vrai tabac algérien" qu’il nous propose alors de goûter.
Paquet banalisé aux photos chocs, paquets duty free, paquet classiques… Impossible, en regardant les paquets, d’identifier les "vrais" des "faux". Ce sont pourtant deux catégories bien différentes. Car il y a les cigarettes de contrebande et de contrefaçon. La première a été fabriquée légalement par l’industrie du tabac, mais est revendue sur le marché parallèle. La seconde a été fabriquée par des organisations criminelles en toute illégalité, mais se présente dans des emballages semblables aux marques des fabricants.
En 2022, pour la première fois, les douanes françaises ont démantelé cinq usines clandestines de fabrication de cigarettes. Celle que nous venons de fumer est-elle faite en France, ailleurs, clandestinement ou non ? Difficile de le deviner sans expertise.
Des saisies quotidiennes à Marseille
Tout d’un coup, des voix s’élèvent. En quelques secondes, des cartons de cigarettes sont glissés sous les stands de fruits. Police ou fausse alerte ? Nous n’avons pas vu d’agents entrer dans le marché couvert, mais les vendeurs sont rodés à l’exercice. A Marseille, les saisies de tabac de contrebande sont quotidiennes. Que cela soit ici, en ville, au port, à l’aéroport, les alimentations, les bars à chichas ou le fret commercial.
La brigade "clopes" de la police de la division Nord quadrille tous les jours la ville. Une unité créée en 2019 composée de sept fonctionnaires de police détachés spécialement pour la lutte du trafic de cigarettes de contrebande.
En 2022, les douanes de Marseille ont saisi 24 tonnes de tabac. Des contrebandiers opportunistes qui reviennent de voyage avec une dizaine de cartouches, jusqu’aux réseaux organisés et leurs ultimes maillons, face à nous ce jour-là.
Au moment de l’achat, nous demandons à qui nous devons donner l’argent. "C’est pareil, la même famille". "Tous les gens sont ensemble ici", déclare-t-il en montrant de la main tout le marché. "On est comme des frères". Malgré la multitude de vendeurs de cigarettes, on ne sent aucune animosité. En apparence, personne n’essaie de "piquer" le client de l’autre.
Avant de retrouver notre voiture bien garée, nous repassons devant le premier stand, en face du parking. Le vendeur n’a pas bougé. "Je suis là tous les jours, de 8h à 16h". Youssef nous explique qu’il vient d’Algérie, qu'il travaille ici depuis quelques mois seulement. Que c’est la galère, mais qu’il gagne de quoi vivre. Que c’est toujours mieux qu’avant, lorsqu’il faisait les poches, en Algérie, pour s’en sortir.