ENQUETE FRANCE 3. Confinement : on a infiltré une soirée clandestine qui a rassemblé près de 300 personnes à Marseille

France 3 a réussi à participer, début décembre, à l'une de ces soirées organisées partout en France depuis le début du confinement. Au programme : annonces sur Snapchat, réservations payantes, gaz hilarants et pas de gestes barrières.

L’ambiance est à la fête dans cette grande salle du centre-ville de Marseille, début décembre. Le brouhaha des discussions se mêle au crépitement des chichas, dont la fumée emplit la pièce. Il est seulement minuit, mais déjà près de 200 personnes se pressent dans la large pièce. Pourtant, la France est en plein confinement pour lutter contre le Covid-19 et les rassemblements festifs sont interdits. 

Mais ce soir-là, d’autres jeunes arriveront tout au long de la nuit pour venir faire la fête et oublier, l’espace d’un instant, la crise sanitaire. De nombreuses soirées clandestines de ce type ont été découvertes ces dernières semaines en France, dont l'une des plus importantes a eu lieu dans la nuit du samedi 12 au dimanche 13 décembre dans la cité phocéenne. 

Mais comment s'organise une soirée de cette envergure en plein confinement ? France 3 a infiltré ces réseaux de fêtes illégales et a fini par participer à l’une de ces réunions clandestines qui a eu lieu début décembre à Marseille.

Des annonces faites sur Snapchat

Pour faire connaissance avec ces fêtards, c’est sur le web que cela se passe. Si certains restent discrets sur leurs activités nocturnes, d’autres au contraire l’affichent via leur "stories", des publications temporaires sur Instagram, mais surtout Snapchat. Ils postent alors des vidéos filmées en soirées, voire des teasers, sorte de flyers virtuels ou ils annoncent les soirées à venir. "Seule soirée sur Marseille !" peut-on lire sur l’une des publications du genre.

Il s'agit ensuite de rentrer dans l'un de ces cercles et de s'y faire accepter. Au début, les organisateurs se montrent méfiants, mais la perspective d’entrées supplémentaires délie les langues. Car ces "réservations" sont payantes (de 20 à 70 euros par personne) et constituent une rentrée d’argent conséquente pour les créateurs de ces événements illégaux. A cela s'ajoutent les recettes réunies par les buvettes qui vendent des boissons (pour majorité alcoolisées) tout au long de la soirée.

La méfiance reste cependant de mise dans ces réseaux, qui craignent que des informations puissent fuiter. A juste titre. L’organisateur d’un tel événement peut être poursuivi pour "mise en danger de la vie d’autrui". Un motif passible d'un an d'emprisonnement et de 15 000 euros d'amende, si d'autres infractions sont relevées. Quant aux participants, ils encourent une amende de 135 euros.

Après plusieurs tentatives, nous réussissons à pénétrer l’un de ces groupes à la mi-novembre. Une soirée est prévue le soir même, uniquement sur réservation. Malheureusement, au moment de confirmer notre participation, l’organisateur nous informe qu’il n’est plus possible d’y entrer. La soirée est complète. Ces fêtes clandestines sont prisées et il nous faut donc jouer des coudes pour obtenir notre place. C’est la semaine d’après, que nous obtenons finalement notre sésame.

Le jour J, le lieu de rendez-vous est gardé sous silence jusqu’au tout dernier moment. La soirée est censée commencer à 22 heures, pourtant nous ne recevons le lieu précis de la fête via Snapchat qu’à 22h10. La fête se déroule dans une zone industrielle non loin du centre de Marseille. La rue est calme, seul un discret "boom-boom" trahit la présence de l'événement en cours. Il provient d’une large porte devant laquelle campe un videur, les mains enfoncées dans ses poches. Devant le bâtiment, un groupe de fêtards s'est réuni pour fumer une dernière cigarette avant de rentrer. Car toute entrée est impossible passée 1 heure du matin et toute sortie est définitive.

"Si c’est pour mettre un masque, il fallait rester chez vous !"

"Bah pourquoi vous mettez un masque ?!" Pas encore entrés dans la soirée que le ton est donné par l’un des participants. "Vous venez en soirée et vous portez le masque…" Et quand on répond avec une touche d’humour que l'on pensait participer à une soirée masquée, la réponse est sèche : "Si c’est pour mettre un masque, il fallait rester chez vous !" Effectivement, une fois à l'intérieur, aucune règle de distanciation sociale n’est respectée. Et c’est en partie ce que viennent chercher ces fêtards. Un peu de "normalité" pour oublier, le temps d’une soirée, la crise sanitaire.

La salle est spacieuse, et semble destinée à recevoir des événements en tout genre. Quelques tables sont disposées dans la pièce. Sur chacune d’entre elles est posée une chicha autour de laquelle des groupes se réunissent et partagent le tuyau. La fumée qu’ils relâchent reste en suspension, emplissant l’atmosphère. Dans un coin, une scène soutient une table de mixage sur laquelle s’affaire un DJ qui enchaîne des tubes de Rihanna ou Drake.

De l’autre côté de la salle se trouve un bar. Des participants forment une longue file d’attente qui ne diminuera pas de toute la soirée. La promiscuité, la musique forte, la lumière tamisée. Parmi les participants certains se connaissent à peine pourtant personne ne prend les moindres précautions.

"Non, on n’a pas peur du Covid, on espère même l’avoir comme ça, au moins, ça sera fait", lance une jeune femme croisée sur la piste de danse. Jeune professeure en lycée, elle nous fait une confidence surprenante.

 

"Je suis enseignante, j’imagine même pas ce que diraient mes élèves s’ils me voyaient !" 

Une enseignante

Autre "invité" surprenant, un infirmier en service Covid. "Franchement, c’est tellement la merde au service, qu’il me faut bien ça pour ne pas lâcher, explique-t-il. Ça permet de décompresser." Il ajoute, en souriant : "Bon, il ne faut pas le dire, mais j’ai eu le Covid, la semaine dernière." 

Deux salles, deux ambiances

"C’est du gaz hilarant, tu veux essayer ?" Sur la table d’à côté, des capsules brillantes, qui contiennent du protoxyde d’azote, un gaz euphorisant. Assis à cette table, nous faisons la rencontre d’Alice* venue pour l’occasion avec son petit frère Marc*. Inspirant régulièrement dans son ballon de baudruche rempli de gaz, elle nous explique, hilare, souhaiter aller à une autre soirée.

 

"On veut partir, on n'aime pas l'ambiance ici, on va aller dans l’autre soirée parce que de base, il y a deux fêtes."

Alice*

Ce dont parle Alice*, c’est un second rassemblement le même soir, des même organisateurs mais dans le nord de Marseille. Alice* est majeure, mais ce n’est pas le cas de son frère qui a tout juste 17 ans. Même s’ils semblent jeunes pour une soirée du type, ils ne font pas tache par rapport à la moyenne d’âge présente dans la salle. 

Mais les plus âgés ne sont pas en reste ce soir. Un autre événement, plus modeste, est, effet, organisé dans la salle adjacente. Des tubes de Ninho et Aya Nakamura, on passe dans une soirée karaoké aux accents années 1980 avec du Johnny Hallyday au programme. L’ambiance est plus sage mais les participants, la quarantaine passée, ne semblent pas davantage respecter les règles sanitaires. Impossible cependant de s’avancer dans la salle, car bien que juxtaposées, ces deux soirées sont bien distinctes. Une invitation à l’une ne garantit pas l’entrée à l’autre.

"On se retrouve le week-end prochain"

Passé minuit et demi, il est temps de nous éclipser. Pourtant, la fête ne fait que commencer. Les entrées sont de plus en plus nombreuses à mesure qu’approche 1 heure du matin, heure à laquelle les portes seront closes à toute nouvelle arrivée. Mais les organisateurs se sont montrés prévoyants. Ils ont précisé dans un message envoyé aux participants : "Si tu ne peux pas être là avant, c’est pas la peine de venir, on se retrouve le week-end prochain"... 

Un rendez-vous hebdomadaire, comme une sorte d’habitude qui s'installe. Depuis le début du mois de novembre et le confinement, le nombre de ces soirées a progressivement augmenté malgré la mise en place des patrouilles Covid, à l’image de celle intervenue lors de la soirée du samedi 12 décembre. Lors des deux dernières semaines, il était même possible de sortir quasiment tous les soirs avec parfois plusieurs grosses soirées par soir le week-end.

Devant cette recrudescence, la préfète de police des Bouches-du-Rhône nouvellement nommée, Frédérique Camilleri, a réagi lundi matin : "Il n'y a aucune tolérance pour ce genre de choses." Mais pour la préfète, le nombre de ces soirées reste difficile à évaluer. "Ces soirées clandestines sont par définition clandestines", il est donc difficile d’avoir une estimation précise du phénomène. Ferme, Frédérique Camilleri assure que les contrôles seront renforcés pour le réveillon du nouvel an, où le couvre-feu sera en vigueur de 20 heures à 6 heures.

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