ENTRETIEN. Cinq ans après #MeToo, toujours autant de violences mais plus de signalements d'après Laurence Rossignol

La vice-présidente du Sénat, ancienne ministre et présidente de l'assemblée des femmes, Laurence Rossignol, dresse un bilan de la société cinq ans après le mouvement "#MeToo", dans le cadre de l'université féministe, à Marseille pour sa 29e édition.

Débats féministes. Pour sa 29e édition et après plusieurs années à La Rochelle, l'université féministe de l'assemblée des femmes s'est tenue à Marseille, au palais du Pharo, le week-end des 22 et 23 octobre 2022. Cinq ans après le hashtag MeToo, la présidente de cette assemblée, Laurence Rossignol, dresse un portrait de la société et des rapports entre les hommes et les femmes. Pour l'ancienne ministre des familles, de l'enfance et des droits des femmes, la libération de la parole n'a pas été synonyme de baisse des violences envers les femmes. 

Qu'est-ce qui a changé depuis le hashtag MeToo ?

Cinq ans plus tard, les sujets liés aux violences sexuelles ont pris une visibilité nouvelle du point de vue des femmes. Elles ont pu identifier ces violences et se rendre compte qu'elles n'étaient pas coupables, que ce n’était pas de leur faute. Ce n'est jamais parce que c'est elle, c'est parce que ce sont des femmes. Elles ont vécu ce que toutes les femmes vivent. Les violences sexuelles sont partout et dans la vie de chaque femme. Depuis ce mouvement, il y a des hommes qui commencent à comprendre à quel point la vie des femmes est une vie compliquée, ils comprennent ce qu'est d'avoir toujours une partie de notre cerveau en état de vigilance, parce que le danger est toujours potentiellement présent. La majorité des hommes par exemple, n'a pas peur le soir quand elle récupère sa voiture dans un parking, contrairement aux femmes. Et certains le réalisent désormais.

Peut-on parler d'une libération totale de la parole des femmes ?

Tout n'est pas rose évidemment. Il y a plus de violences signalées mais je n'ai pas pour autant l'impression que les violences baissent. On a aussi remarqué beaucoup de résistance face à ce mouvement. Quand une femme porte plainte, elle se retrouve face à un véritable tribunal médiatique. On lui demande de se taire. C'est une injonction contradictoire. Les femmes parlent davantage, mais elles sont, en général, déstabilisées et dissuadées par les vieux pouvoirs masculins. 

D'après vous, que faudrait-il faire pour améliorer les conditions des femmes ?

Nous réclamons des moyens financiers, des moyens humains et des ruptures nettes sur la pornographie par exemple. On réclame qu’il soit mis fin à ce système d’exploitation de la misérabilité des femmes et des promotions des violences sexuelles. On parle beaucoup de pornographie lors de cette université féministe, à la suite du rapport du Sénat et du travail des associations sur la place de la pornographie dans la vie de 17 millions de personnes. Nous abordons les contenus pornographiques et le lien entre ces derniers et la banalisation des violences sexuelles mais aussi le rôle de ces contenus dans l'éducation des jeunes garçons. 

À quoi sert cette assemblée des femmes ?

L'assemblée des femmes est une association féministe qui a vocation à contribuer à la pensée et à l’action féministe. On appartient à différents réseaux et une fois par an on rassemble une université féministe qui travaille sur l’actualité de cette pensée et ses évolutions. Il y a beaucoup de travaux sur le féminisme. On travaille en réseau avec d'autres associations. Il s'agit de plaidoyers et d'influences de la pensée, de soutien aux actions féministes qui regroupent différentes sphères : violences machistes, conditions sociales, inégalités de patrimoine, solidarité internationale ou encore coût de la virilité. On nous a par exemple expliqués que 93% des individus incarcérés sont des hommes. On mesure alors à quel point cette exacerbation a un coût collectif énorme en termes budgétaires. 

La situation des femmes est-elle particulière à Marseille?

Nous avons intégré dans nos tables rondes les femmes du tissu associatif des villes dans lesquelles nous engageons nos universités féministes afin d'accroître le féminisme populaire à savoir la place que les femmes prennent au quotidien et la manière dont elles transforment le monde au quotidien et la pensée féministe dans leur mode de vie et d’organisation. Marseille a plusieurs caractéristiques avec une vie associative plutôt riche parce que l'histoire de la ville a favorisé la création d'associations. Le maire, Benoît Payan, a ouvert l'université par un discours poignant affirmant que les questions de la place et de l'émancipation des femmes étaient pour lui une priorité. Il a donc présenté une volonté politique forte. 

Lors de nos tables rondes, nous abordons, par exemple, les situations des familles monoparentales à travers des associations de mères isolées à Marseille et, entre autres, le directeur de l'AP-HM et nous interrogeons des responsables du monde du travail pour voir comment prendre en compte la forte proportion de femmes monoparentales. La question est de savoir comment s'adaptent ces nouvelles donnes sociales aux entreprises, notamment anciennes, habituées à ne collaborer qu'avec des hommes. Si ces entreprises commencent à embaucher des femmes seules, il faudra changer leur organisation de travail.

Quelle est votre vision du féminisme ?

C'est une pensée perpétuellement enrichie. Certaines chercheuses travaillent sur le coût de la virilité, l'exploitation des corps dans la pornographie ou encore l’avortement. La richesse et la difficulté de cette pensée c’est qu’elle touche à tout parce que la condition des femmes touche à tout et les rapports sociaux entre les sexes conditionnent l’essentiel de nos activités humaines que ce soient nos rapports intimes avec les hommes (dans un raisonnement hétéronormé), de travail ou familiaux. La question de la place du travail des femmes par exemple, et en particulier du bénévolat sous-jacent au travail des femmes. Elles s'occupent tout le temps de personnes âgées par exemple, et une partie de leur activité est encore bénévole ou parmi les activités les moins rémunérées. Le féminisme est une pensée d'analyse de la place qu'occupe la hiérarchie des sexes dans l'organisation de la société.

    Cette année, la ville de Marseille recevait pour la première fois cette université féministe.

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