Sur les hauteurs de Marseille, des dizaines de conteneurs colorés sont aménagés en prévision de l'ouverture du Marseille International Fashion Center (MIF) 68. Au total, 95 showrooms de grossistes du textile vont ouvrir en février, majoritairement chinois.
"On a enfin un centre du Sud, qui va rayonner vers le Maghreb et la Corse", se réjouit Xavier Giocanti, président du groupe immobilier Résiliance, qui a investi 30 millions d'euros dans le projet du grossiste chinois Dingguo Chen."L'Italie a quatre gros centres de grossistes, la France n'avait qu'Aubervilliers" où est situé le plus grand centre d'affaires en Europe dédié au textile made in China, rappelle cet homme d'affaires marseillais.Il égrène les avantages du Mif 68: des loyers "deux fois moins chers" qu'en banlieue parisienne, le port à deux kilomètres, deux autoroutes qui desservent la plateforme, ainsi que 250 places de parking pour les clients. C'est surtout ce dernier point, l'accessibilité du site, qui a motivé Dingguo Chen - qui exerçait depuis l'an 2000 rue du Tapis-Vert, dans le quartier marseillais de Belsunce - pour ouvrir une plateforme dans les quartiers Nord. "Les clients ne pouvaient ni circuler ni se garer, j'en ai perdu 12 comme ça, ce n'était plus possible de travailler", explique-t-il dans un français très hésitant, évoquant "une tendance globale: à Paris, les grossistes du Sentier ont migré dans le XIe puis à Aubervilliers".
Lancé en juillet 2017, le chantier a été très rapide, grâce à une architecture originale: un enchevêtrement de conteneurs assemblés au moyen d'une grue, sans fondation. Alors qu'il installe la vitrine de son showroom, "trois fois plus grand que celui qu('il) avai(t) dans le centre", Zheng Yinde, grossiste en bijoux et accessoires de mode, assure que le nouvel emplacement est idéal pour ses clients "qui viennent de Corse, de Valence ou de Montpellier".
Méfiance
Alors que le Mif 68 doit être inauguré mi-février, ses responsables affichent un taux de réservation de 85%, en majorité des grossistes chinois. La communication du centre prévoit la création de 700 emplois à long terme. Pour Xavier Giocanti, il s'agit de "placer Marseille sur la nouvelle route de la soie". Le promoteur salue aussi l'ouverture du Mif 68, notamment au Maghreb, qui représente 30% des clients des grossistes.
L'initiative ne fait cependant pas l'unanimité chez les commerçants "historiques" du centre-ville. Si certains ont prévu de rejoindre le plateau des quartiers Nord, d'autres se méfient, comme ce Chinois qui tient une boutique rue du Tapis-Vert: "Ce métier est de plus en plus dur, alors je ne vais pas prendre le risque". Le grossiste craint notamment que la situation excentrée du Mif 68 ne soit "pratique que pour les clients, pas pour les commerçants". "Ici quand un client m'appelle je peux venir en quelques minutes, car je vis à côté", insiste-t-il.
Du côté des politiques aussi, le scepticisme est de mise. Benoît Payan, chef de file de l'opposition (PS) au conseil municipal, craint une "dévitalisation" du centre-ville après le départ des commerçants chinois et dénonce "une politique des rideaux fermés". "Ces commerces de confection, installés depuis l'après-guerre à Belsunce, amènent au quartier des embouteillages, mais aussi une activité très forte, une anarchie sympathique", constate-t-il.
La maire du secteur, Sabine Bernasconi (LR), évoque auprès du site d'investigation locale Marsactu la possible naissance à Belsunce d'"un Chinatown", "en favorisant l'installation de commerces de détail, de restaurants, salons de massage". Pour Benoît Payan, "c'est de l'enfumage: le centre-ville a le taux de vacance le plus fort des grandes villes du pays".
Du côté du Mif 68 - 68 est un chiffre porte-bonheur en Chine -, on voit déjà plus loin: la plateforme pourrait aussi devenir "un lieu d'inspiration et de découverte des nouvelles tendances internationales pour les boutiques et les créateurs locaux".