Il s’appelle "Moi, c’est madame" et c’est le premier jeu de riposte made in Marseille. Inventé par deux Marseillaises, il combat le sexisme à travers des "punchlines" décalées et permet aux femmes d’avoir toutes les cartes en main.
"J’ai pris un grand souffle et j’ai dit : "Ah non mais alors déjà, moi, c’est Madame et mes émotions n’ont rien à faire dans une discussion de travail"", rétorque Alix à un "collègue" avant de lui raccrocher au nez. Aujourd’hui, elle en rigole mais ce jour-là, sa voix tremblait.
À 30 ans, Alix, freelance spécialisée en communication digitale, a vécu une scène sexiste qu’elle a souhaitée partager avec d'autres auditrices dans le deuxième épisode "Warriors au travail" du podcast YESSS. Un podcast créé par trois Marseillaises "qui célèbre les victoires des femmes" comme elles aiment le dire.
Dans ce témoignage, Alix raconte qu’elle se prend des remarques méprisantes sur son travail, sans fondements. "Ça reste très flou, très négatif. Puis il s’arrête et me dit : "Mademoiselle, je vous sens très émotive, il ne faut pas le prendre comme ça, vraiment".
Précédé d’un long soupir de délivrance puis d’un éclat de rire, elle lâche : "Ça m’a fait tellement de bien : Ne pas l’avoir laissé m’écraser et avoir su lui dire : ce n’est pas moi qui aie un problème, c’est toi."Et là, j’ai vu la lumière au bout du tunnel et je me suis rendue compte que je vivais juste une énième scène de paternalisme, de sexisme !
Cette histoire et, surtout, cette punchline "Moi, c’est madame" ont inspiré Elsa Miské, co-fondatrice du podcast YESSS et Axelle Gay, game designer et graphiste, pour créer un jeu de cartes "qui impose le respect et qui t’entraine à riposter face au sexisme".
"On reçoit des centaines de témoignages pour YESSS et l’idée, c’est justement de prolonger l’expérience du podcast et de proposer un outil qui vise à toucher plus de femmes et à briser le silence" explique Elsa Miské.
Avant de poursuivre : "Moi, c’est Madame ! C’est une des répliques qui avait le mieux marché. C'est devenu et resté une évidence parce que ça nous rappelle malheureusement toutes ces scènes de mansplaining."
Le mansplaining, soit la contraction de man, homme en anglais, et explainging, explication. Un concept féministe, né il y a 10 ans, qui désigne une situation où un homme explique à une femme quelque chose qu’elle sait déjà, voire dont elle est experte, sur un ton potentiellement paternaliste.
Les règles du jeu de riposte sont très simples. Il y a des cartes "attaque" et des cartes "riposte", toutes issues d’anecdotes réelles racontées par les auditrices comme Alix dans le podcast YESSS. "On a sélectionné celles qui sont les plus faciles à jouer, qui peuvent être sorties à n'importe quel moment. Elles ont été testées dans la vraie vie, on ne les a pas inventées et ça, ça change tout", précise Axelle Gay, créatrice de jeux de sensibilisation sur des sujets d'actualité depuis 4 ans.Un mec qui t’explique la vie comme s’il était plus légitime quoi!
Le jeu est collaboratif, un aspect "essentiel" selon elle. "Le jeu, c’est un bon moyen de créer du lien, de faire réfléchir collectivement et de prendre position selon sa personnalité. Là, l’idée c’est de s’entraîner entre ami(e)s, dans un cadre safe (ndlr : sécurisé) et d’aborder un sujet lourd de manière accessible, inclusive et légère".
Son amie, Elsa Miské, ajoute : "Ça déclenche des discussions et des débats, les femmes et les hommes peuvent y jouer sans modération car cela permet de confier de nouvelles anecdotes à chaque fois."
Les attaques sexistes sont présentes au quotidien, en vacances, en soirée, au travail, dans la rue. Lorsqu’elles ne sont pas frontales mais déguisées, difficile de les détecter sur le moment, mais surtout de réagir du tac au tac. Un phénomène psychologique qui porte un nom : la sidération.
Notre système de survie évalue que la meilleure des choses à faire est de ne rien dire et notre cerveau va se couper de ce qu’il ressent", explique Majorie Dupré, psychologue à Marseille.C'est l’une des trois réactions de survie : avec le combat et la fuite, il y a le figement.
"Tout dépend de la personne et de ce qu’elle a vécu, nous n’avons pas toutes les mêmes facultés pour répondre. S’entrainer à avoir de la répartie peut être une bonne idée étant donné qu'en situation de stress ou de remarques désagréables, on peut facilement perdre nos moyens", continue la spécialiste.
Attention, ici, pas de riposte trash, d’insulte ou encore de réponses qui soient oppressives pour d’autres minorités. Mais avant tout de l’humour, pour désamorçer. "On a même inclu des défis où l'ont doit improviser en incarnant des contraintes théâtrales comme celle d’imiter un mec virile ou bien de se curer le nez de façon dégoutante", s'exprime Elsa Miské.
On a souhaité que les ripostes ne soient absolument pas agressives mais plutôt décalées. On veut montrer aux victimes que répondre par la violence n’est pas forcément la meilleure des choses à faire", souligne Axelle Gay. Un jeu qui donne à la réflexion plutôt qu’à la confrontation.L'humour, c’est une arme pour déstabiliser un homme sexiste.
"Tu t'es cru sur Tripadvisor pour me donner une note ?"
Pour l’instant, les deux inventrices ont de nombreux retours positifs comme "Grâce à vous, je me sens plus forte", "Maintenant, je réponds carrément" ou encore "J’ose enfin".
Le jeu a déjà été testé avec des personnalités influentes dans le monde du féminisme et est actuellement disposible en prévente sur la plateforme participative ulule. Les fondatrices du jeu ont rajouté l'option "1 jeu acheté, 1 jeu offert à une association".
"Ce qui m’a profondément touché, c’est le nombre de personnes qui ont pris cette option, on se rend compte que beaucoup de gens sont touchés par cette cause", sourit Axelle Gay.
Ça m’a ouvert les yeux, je me suis beaucoup documentée sur le sujet et des choses intégrées à mon quotidien ont pu être remises en question", conclut-elle.Je me considère féministe et depuis ma rencontre avec Elsa et la création du jeu, je me sens désormais militante.
Les fondatrices prévoient même une extension du jeu pour un public plus jeune : les lycéens, avec de nouvelles problématiques comme le harcèlement à l'école ou sur les réseaux sociaux.