Le sujet du pipeline entre Barcelone est Marseille va être abordé vendredi 9 décembre en marge d'un sommet des pays du Sud de l'Union européenne. Calendrier, coût, tracé... voici ce que l'on sait, à ce stade, de cette initiative lancée conjointement par Madrid, Lisbonne et Paris.
Le projet de pipeline d'hydrogène entre Barcelone et Marseille, pour l'heure surnommée "BarMar", qui sera abordé vendredi en marge d'un sommet en Espagne des pays du Sud de l'Union européenne, est jugé essentiel pour la souveraineté énergétique de l'Europe. Cependant, il repose sur un pari risqué.
Le pipeline sous-marin "BarMar" doit permettre d'acheminer du gaz, puis de l'hydrogène dit "vert" depuis l'Espagne vers la France et le nord de l'Union Européenne. Ce projet, annoncé le 20 octobre lors d'un sommet européen, remplace le "MidCat", lancé en 2003 pour relier les réseaux gaziers français et espagnol via les Pyrénées. Ce projet long de 190 kilomètres avait finalement été abandonné en raison de son manque d'intérêt économique, de l'opposition des écologistes et de celle de Paris.
Double objectif
Le premier objectif du H2Med est d'abord à réduire la dépendance de l'Europe au gaz russe, en améliorant les interconnexions gazières entre la péninsule ibérique et ses voisins. En effet, l'Espagne et le Portugal possèdent 40 % des capacités de regazéification de l'Union Européenne, mais sont mal reliées au reste des pays membres de l'Union.
Ce pipeline permettra surtout, à terme, d'accélérer la décarbonation de l'industrie européenne, en lui donnant accès à une énergie propre produite à grande échelle. L'Espagne et le Portugal se préparant à devenir des références mondiales en matière d'hydrogène vert, grâce à leurs nombreux parcs éoliens et photovoltaïques.
Marseille et Barcelone : "L'option la plus directe et efficace"
Selon les promoteurs du projet, cette connexion est "l'option la plus directe et la plus efficace pour relier la péninsule ibérique à l'Europe centrale". De fait, Barcelone accueille "l'un des plus gros terminaux méthaniers" de l'UE et occupe "une place de choix dans le réseau gazier espagnol", souligne auprès de
l'AFP José Ignacio Linares, professeur à l'Université Pontificia Comillas de Madrid.
Marseille, quant à elle, est bien connectée au réseau français. Elle constitue aussi une porte d'entrée intéressante pour desservir la vallée du Rhône, l'Allemagne, voire le nord de l'Italie, régions industrielles appelées à devenir de fortes consommatrices d'hydrogène "vert".
Le tracé exact du pipeline n'a pas encore été communiqué, mais "le plus logique" serait qu'il "suive la côte", afin d'éviter les zones sous-marines trop profondes, estime M. Linares. Dans ce cas de figure, le H2Med ferait environ 450 kilomètres. Mais un tracé légèrement différent n'est pas exclu, les responsables du projet devant trouver "les terrains les plus stables possibles", quitte à s'éloigner un peu de la côte, précise le chercheur.
Un délai de 5 à 7 ans
Dans un récent entretien au quotidien espagnol El País, la ministre française de l'Energie, Agnès Pannier-Runacher, a évoqué une mise en service en 2030. Son homologue espagnole, Teresa Ribera, a, quant à elle, parlé d'un délai de "cinq, six ou sept ans". Le coût du projet, en revanche, n'a pas été dévoilé.
Mais selon l'European Hydrogen Backbone (EHB), réseau d'opérateurs du secteur, un kilomètre de pipeline d'hydrogène sous-marin coûte entre 3,7 et 4,8 millions d'euros, ce qui laisse entrevoir une enveloppe avoisinant les deux milliards d'euros. Paris, Madrid et Lisbonne espèrent financer en grande partie ce projet sur fonds européens.
Pourtant, le H2Med se heurte à plusieurs difficultés techniques, liées en partie à son caractère inédit. "Un hydrogénoduc sous-marin à cette profondeur, à cette distance, cela n'a jamais été fait", souligne Gonzalo Escribano, expert du centre d'études espagnol Real Instituto Elcano. Pour José Ignacio Linares, l'un des principaux problèmes tient à la nature de l'hydrogène, un gaz constitué de petites molécules susceptibles de s'échapper par les jointures du pipeline et, par ailleurs, extrêmement agressives - donc susceptibles d'entraîner des problèmes de corrosion.
Un projet économiquement viable ?
Mais ces problèmes "ne sont pas insurmontables", souligne cet ingénieur de formation. "Il suffit d'installer une membrane à l'intérieur du tuyau, une sorte de plastique, pour éviter que l'hydrogène ne s'échappe ou n'attaque" le métal, ajoute-t-il.
Le véritable risque, pour les experts, porte sur la viabilité économique du projet. S'agissant d'une technologie balbutiante, "on ignore quand le marché de l'hydrogène vert prendra son essor, quand on sera en mesure d'en produire suffisamment pour l'exporter", explique M. Escribano.
De quoi transformer la construction du H2Med en pari industriel. "Le problème, c'est que les délais de construction d'un pipeline sont tellement longs qu'on ne peut pas se permettre d'attendre. Sinon, on se retrouvera avec une importante production d'hydrogène qu'on ne pourra pas exporter", rappelle M. Linares.