"Il ne faut pas prendre ce problème à la légère" : quatre choses à savoir sur l'algue japonaise qui colonise la Méditerranée

L'algue brune invasive venue d'Asie a colonisé peu à peu la baie de Marseille. Elle empoisonne désormais le quotidien des riverains des Calanques. L'impact à la fois sanitaire, économique et écologique de cette prolifération inquiète Thierry Thibaut, professeur écologue, qui alerte les services de l'État.

Rugulopteryx okamurae est son nom scientifique. Cette algue brune ravageuse venue d'Asie a silencieusement colonisé la baie de Marseille depuis une dizaine d'années et pourrit à présent la vie des riverains du petit port de Callelongue et de la calanque de Marseilleveyre.

Il s'agit en réalité d'une espèce, introduite en France au début des années 2000, qui présente une menace pour la biodiversité marine et peut s'avérer dangereuse pour la santé, à l'instar des algues vertes de Bretagne", comme le souligne Thierry Thibaut, écologue marin à Institut Méditerranéen d’Océanologie (MIO). France 3 Provence-Alpes se penche sur cette potentielle menace. 

Comment cette algue a-t-elle colonisé la Méditerranée ? 

Rugulopteryx okamurae fait son apparition la première fois en 2000 dans la lagune de l'étang de Thau, via le commerce des huîtres. "C'est assez fréquent, malheureusement, l'aquaculture est le principal vecteur d'introduction des espèces", explique Thierry Thibaut, "car il n'y pas de législation, ni de quarantaine." En 2013, l'algue japonaise est repérée à Agde, puis débarque en 2016 dans les calanques de Marseille, "très certainement collée à un oursin consommé par un humain puis rejeté à la mer". "Cela s'appelle 'l'évolution à l'envers de la biodiversité', décrypte-t-il. Elle s'est faite par la création de barrières physiques, les océans, les montagnes qui isolent les espèces." 

Mais avec les transports humains, on a fait voyager des espèces qui jamais n'auraient jamais dû bouger.

Thierry Thibaut, écologue à l'Institut Méditerranéen d'Océanologie

à France 3 Provence-Alpes

On la retrouve un peu plus tard en Espagne, puis au Maroc, dans les iles des Açores, du Cap-Vert, aux Canaris. Elle surgit plus récemment en Sicile et en Algérie.

Son introduction s'est faite, sans aucun doute, par l'activité humaine, "car elle ne flotte pas longtemps. Elle se fragmente en petits bouts et sa reproduction est sexuée donc elle dépose des œufs un peu partout, c'est ainsi que l'on la retrouve dans l'intégralité de la baie de Marseille et tout le golfe du Lion". Sa prolifération n'est toutefois pas encouragée par le réchauffement climatique, car elle se développe dans des eaux froides à tempérées.  

 En quoi est-elle dangereuse pour la santé ? 

Avec les marées, l'algue se détache, flotte sur une courte distance avant de s'échouer, formant un épais tapis sur les plages. Si elle n'est pas nettoyée, elle se décompose, dégageant une odeur d'œuf pourri, caractéristique de l'hydrogène sulfuré. Ce gaz peut être nocif pour la santé lorsqu'il est inhalé à forte concentration, pouvant provoquer des évanouissements, voire une intoxication mortelle. "Il ne faut pas prendre ce problème à la légère", alerte le scientifique, "parmi les gens qui vivent à Callelongue, certains sont tombés malades. C'est le même risque qu'en Bretagne avec les algues vertes ou qu'aux Antilles avec les sargasses", une autre algue nocive aux effets dévastateurs.

En quoi menace-t-elle la biodiversité marine ? 

L'impact écologique est non négligeable, car cette algue japonaise vient perturber l'écosystème marin. Dans la mer, elle tapisse les rochers et modifie l'habitat de certaines autres espèces. De nouveaux poissons, invertébrés, crustacés, mollusques vont se développer, ce qui engendre un bouleversement de la biodiversité.

La disparition de 60% des espèces terrestres et marines de la planète est causée par des espèces introduites. C'est gigantesque, on n'en parle pas assez.

Thierry Thibaut, professeur d'écologie marine à l'Université d'Aix-Marseille

France 3 Provence-Alpes

"Ce sont là les pires impacts sur la planète : la destruction de l'habitat, la destruction des espèces par les espèces invasives", rappelle le scientifique qui déplore un appauvrissement de la biodiversité dû à cette "mondialisation des espèces".

Peut-on lutter contre cette prolifération ? 

Il est trop tard pour l'éradiquer dans les eaux méditerranéennes. Selon Thierry Thibaut, le seul moyen de combattre efficacement ses effets toxiques est le nettoyage régulier des plages. "C'est simple à enlever quand elle est fraiche, mais il faut le faire très régulièrement dès qu'il commence à faire très chaud", explique l'écologue qui prend pour exemple l'Espagne, "où des moyens considérables, à hauteur de plusieurs millions d'euros sont dépensés tous les ans pour l'enlever avant sa décomposition et éviter des dégâts sanitaires".

C'est aux services de l'État d'agir, ils ne prennent pas la mesure de l'ampleur des dégâts écologiques.

Thierry Thibaut, professeur écologue

France 3 Provence-Alpes

Par ailleurs, l'écologue insiste sur la nécessité de sensibiliser le grand public afin de faire de la prévention. "On ne jette rien de vivant à la mer, ni dans son jardin", précise Thierry Thibaut, "on n'arrache pas une plante au bout du monde pour la planter chez soi, et on ne jette des vers de pêche qui viennent de Corée en Méditerranée."

Enfin, il faudrait, dit-il, une législation européenne plus contraignante, sur le modèle américain ou australien, permettant de multiplier les contrôles, en vue d'éviter l'importation d'espèces menaçantes pour l'équilibre environnemental.

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